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Le syndicalisme de services a-t-il un avenir ?

Enquête | publié le : 07.11.2006 | Emmanuel Franck

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Le syndicalisme de services a-t-il un avenir ?

Crédit photo Emmanuel Franck

Afin de lutter contre la faiblesse endémique du nombre de salariés français syndiqués (8 %), la CFE-CGC et Ségolène Royal proposent, séparément, d'aller vers le syndicalisme de services - services réservés aux adhérents. Une approche qui a fait ses preuves à l'étranger, et en France dans certains secteurs. Mais qui se heurte, dans l'Hexagone, à de nombreux obstacles culturels.

La proposition est révolutionnaire, mais elle est, cependant, passée à peu près inaperçue. La CFE-CGC estime que « l'application des accords d'entreprise pourrait être réservée aux salariés adhérents d'une organisation syndicale ». Pour Bernard Valette, secrétaire national au développement et à l'action, qui porte cette proposition au sein de la confédération de l'encadrement, c'est le meilleur moyen, à la fois, d'augmenter le nombre d'adhérents, de rompre avec l'émiettement et l'idéologisme, de casser l'image d'un syndicalisme révolutionnaire qui effraie encore les patrons et de promouvoir un syndicalisme de propositions. C'est, également, la réponse de la CFE-CGC à la proposition de la CFDT et de la CGT d'asseoir la représentativité d'un syndicat sur des élections.

Echo populaire

Si l'idée de la CFE-CGC ne rencontre pas l'adhésion des autres confédérations, qui lui reprochent son approche consumériste et de faire fi de la liberté de ne pas adhérer, elle semble correspondre à la proposition de Ségolène Royal d'un syndicalisme obligatoire et de masse. Elle rencontre également un certain écho dans l'opinion. Interrogés par l'institut CSA, en octobre dernier, les Français se montrent partagés à l'idée d'une adhésion obligatoire pour les salariés : 48 % y sont favorables, 48 % y sont opposés.

Avec cette proposition, la CFE-CGC rompt avec la tradition syndicale française pour entrer dans le syndicalisme de services. En France, ce type de syndicalisme est forcément limité, essentiellement pour deux raisons. D'une part, parce que la collectivité prend en charge les services essentiels : assurance chômage, protection sociale..., à l'inverse de la Suède (80 % de syndiqués), où c'est l'adhésion à un syndicat qui ouvre automatiquement droit aux allocations chômage (lire p. 31).

Intérêt de l'adhésion

D'autre part, parce qu'un accord bénéficie à l'ensemble des salariés, syndiqués ou non. Du point de vue des théoriciens de l'individualisme et de l'utilitarisme, le salarié n'a, non seulement, aucun intérêt à adhérer à un syndicat puisque le bien collectif produit par ce dernier est accessible à tous, mais il a même intérêt à ne pas adhérer, ce qui lui permet de se soustraire au coût de la participation à l'action collective qui produit ce bien. Autrement dit, il n'y a que des coups à prendre à se syndiquer.

«Closed shop»

Aux Etats-Unis, cette contradiction est résolue par le système du «closed shop». Le salarié doit adhérer au syndicat s'il veut l'emploi, la protection sociale, la formation, et jusqu'à l'inspection du travail. Autant de services qui peuvent être pris en charge par le syndicat (lire p. 28). Le syndicat se substitue alors totalement à la DRH et, pour partie, aux pouvoirs publics. Résultat : 100 % d'adhésions dans les entreprises où un syndicat s'est implanté.

C'est aussi ce qui se passe, en France, chez les ouvriers du livre, mais pour des raisons totalement différentes. Les bureaux de placement du Livre-CGT lui donnent, de fait, un pouvoir patronal dans les entreprises où le syndicat est implanté. C'est le prix consenti par les employeurs afin de disposer des ressources humaines nécessaires pour faire face aux variations de charge de travail, mais aussi un privilège conservé de haute lutte par le syndicat pour organiser le marché du travail au profit de ses seuls adhérents (lire p. 26). En conséquence, la quasi-totalité des ouvriers du livre sont syndiqués.

Paritarisme

Le syndicalisme de services existe donc déjà en France, là où perdurent de vieilles et puissantes corporations. Il existe également à l'Education nationale. Mais il s'appuie, là, sur le paritarisme, qui donne du poids aux syndicats dans la gestion de carrière des enseignants. Les services des syndicats et ceux de la DRH y sont à la fois concurrents et complémentaires (lire p. 28). En partie pour cette raison, le taux de syndicalisation y est relativement important : aux alentours de 25 %.

Offres limitées

Hormis ces cas particuliers, l'offre syndicale de services individuels aux salariés français est réduite à la portion congrue. Celle-ci se restreint, finalement, à de l'information via la presse syndicale, et, surtout, à la défense du salarié : aide juridique en cas de conflit avec l'employeur, mise à disposition d'un avocat, voire caisse de grève.

La CFE-CGC propose également à ses adhérents des contrats d'assurance contre les risques juridiques de la vie professionnelle, une assistance psychologique et une bourse à l'emploi. La CGT refuse, quant à elle, d'entrer dans cette logique : elle propose un accompagnement prud'homal à tous les salariés, mais les adhérents sont dispensés du paiement du «soutien».

Stratégies divergentes

De fait, toutes les confédérations offrent des avantages à leurs adhérents, même s'ils n'ont rien à voir avec ceux proposés par leurs homologues suédoises ou américaines. Mais les points de vue diffèrent sur leur efficacité à attirer de nouvelles recrues.

Pour la CGT, l'accompagnement prud'homal ne débouche pratiquement jamais sur une adhésion, même lorsque l'issue de la procédure est favorable au salarié, parce qu'une adhésion est d'abord un engagement en faveur d'un projet de société. A l'inverse, Bernard Valette estime que les sections qui proposent des services ont davantage d'adhérents que les autres et qu'elles ont donc intérêt à développer leur offre.

L'essentiel

1 Si le taux de syndicalisation dans le secteur privé est si faible en France, c'est parce que les salariés n'ont aucun intérêt à adhérer, si l'on s'en tient à une approche strictement utilitaire. En effet, un accord signé par des syndicats s'appliquent même aux salariés non syndiqués.

2 Partant de ce constat, la CFE-CGC propose de réserver les bénéfices d'un accord d'entreprise aux seuls adhérents d'un syndicat. En écho, Ségolène Royal parle d'une syndicalisation obligatoire.

3 Ce syndicalisme de services existe déjà en France, dans certains secteurs, et à l'étranger. Il permet effectivement de susciter des adhésions, mais suppose une rupture culturelle radicale d'avec le modèle syndical français.

Auteur

  • Emmanuel Franck