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Quand la justice s'en mêle

Enquête | publié le : 24.10.2006 | Anne Bariet

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Quand la justice s'en mêle

Crédit photo Anne Bariet

Plus question de prendre la négociation sur la GPEC à la légère. Les récentes décisions des TGI de Nanterre et de Paris ont rappelé aux employeurs leurs nouvelles obligations : le devoir de maintenir l'employabilité de leurs salariés, via des mesures préventives mises en place dans le cadre de leur accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les DRH n'ont pas droit à l'erreur !

Ce n'est pas encore une tendance lourde, plutôt un frémissement, qui fait pourtant vaciller la certitude des DRH : la validité des PSE dépend de plus en plus des mesures préventives mises en place dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Le TGI de Paris l'a rappelé, le 5 octobre dernier, à NextiraOne, ancienne filiale d'Alcatel, spécialisée dans la distribution et les services de télécommunication aux entreprises, en suspendant son plan social. Motif : l'entreprise n'avait pas ouvert de négociation triennale sur la GPEC, alors qu'elle prévoyait de conclure un accord de méthode avec les partenaires sociaux pour la consultation des livres III et IV, dans le cadre de la suppression de 322 emplois (sur un effectif de 1 830 salariés). Le TGI, saisi par la CGT, Sud et la CFDT, a demandé la suspension de la restructuration. Pour le tribunal, la raison est simple : l'obligation triennale ne signifie pas disposer d'un délai de trois ans pour se conformer à cette obligation : cette négociation aurait dû être mené dès la publication de la loi du 18 janvier 2005.

Repérer les emplois en danger

« Nous sommes satisfaits de la décision, commente Pierre-Henri Beauval, délégué syndical central de la CFDT, car seule une GPEC, organisée en amont, aurait permis d'identifier les postes en danger et de repérer des profils précis. A ce moment-là, nous aurions pu les faire évoluer vers des métiers plus porteurs. Nous sommes une société high tech, la formation est importante mais néglige les moins formés, assistantes ou seniors, en somme, les plus fragilisés par les suppressions de poste. » La DRH s'alarme, en revanche, de ce résultat. « Cette décision va très au-delà de ce que l'on attend habituellement d'un référé, indique Simon Saloin, DRH de NextiraOne. Cela s'apparente à un jugement sur le fond, avec une explication détaillée sur ce que doit contenir un accord de GPEC ! » L'entreprise fait, d'ailleurs, appel de la décision.

Rappel à l'ordre

Ce rappel à l'ordre des tribunaux vaut également pour Capgemini. Le 5 septembre dernier, le tribunal de grande instance de Nanterre a suspendu la procédure de plan social de la SSII. Saisi par les élus et les organisations syndicales, il a constaté un «trouble illicite» et demandé la suspension de la consultation des livres III et IV. La société avait pourtant signé un accord de GPEC, le 9 mai 2005. Mais, pour le tribunal, elle n'a pas mis en oeuvre son accord avant d'acter la suppression de 198 postes. Le texte prévoyait, en effet, trois volets : un programme de formations selon les métiers, des redéploiements de postes, et l'ouverture d'un plan social.

Vigilance des juges

Capgemini doit verser une astreinte de 5 000 euros par jour de retard, à défaut de GPEC. NextiraOne est, quant à elle, condamnée à verser 2 000 euros à chacun des syndicats au titre des frais de justice. Ces deux décisions s'inscrivent dans le droit fil des arrêts «Pages jaunes», rendus par la Cour de cassation il y a un an, à savoir que les juges seraient plus vigilants sur les obligations de la GPEC, instituées par la loi du 18 janvier 2005. Les syndicats peuvent voir, ainsi, dans cette obligation, une nouvelle arme pour limiter ou retarder, de façon préventive, la mise en place de plans sociaux. Un épouvantail judiciaire qui a fait bondir de nombreuses entreprises. Car le désappointement des directions des ressources humaines est à la hauteur des conséquences sociales encourues. L'irruption des juges dans ces affaires risque, en effet, de retarder l'application d'une restructuration.

Débat pollué

Pour Paul-Henri Antonmattei, professeur à la faculté de droit de Montpellier, la décision du TGI de Paris (affaire NextiraOne) est contestable : « La GPEC est évidemment nécessaire à toute politique RH, mais ce serait dommage de polluer le débat avec ce genre de décision. Cette lecture judiciaire me paraît un peu audacieuse. En aucune manière, la loi du 18 janvier 2005 ne précise que la négociation sur la GPEC doit intervenir dès la publication de la loi. Qui plus est, la liaison entre GPEC et licenciements collectifs est dangereuse. Le législateur a commis une erreur en glissant l'obligation de GPEC dans le livre III des licenciements économiques. »

Employabilité

Plus question, donc, de prendre cette obligation à la légère. Ces décisions judiciaires ont rappelé aux employeurs, et surtout à ceux qui voulaient se réorganiser, leurs nouvelles obligations : le devoir de maintenir l'employabilité de leurs salariés, via des mesures préventives mises en place dans le cadre de leur accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ce qui n'est pas une mince affaire.

Car, pour l'heure, peu sont passés à l'acte : une vingtaine d'accords ont été déposés à la DGEFP, selon le ministère de l'Emploi. Or, le temps presse. C'est, en effet, en décembre 2007 que les négociations sur la GPEC, obligatoires dans les sociétés de plus de 300 salariés, doivent être amorcées. Mais peu importe qu'elles soient bouclées ou non, l'obligation porte uniquement sur l'ouverture des discussions.

Démarche préventive

« L'avertissement est clair, indique Béatrice Pola, avocate associée chez Proskauer Rose. Le législateur veut que l'entreprise se lance dans une démarche préventive, qu'elle identifie les compétences de son personnel et adapte leur savoir-faire en fonction des besoins actuels et futurs. Quelles seront les compétences de demain ? Quelles seront les adaptations nécessaires ? Quelles mesures peuvent être mises en place ? Un CIF, un DIF, comment utiliser le plan de formation ? »

Nul doute : le moment est venu, désormais, pour les DRH, de passer à l'acte.

L'essentiel

1 Après avoir condamné Capgemini, en septembre, pour ne pas avoir mis en oeuvre son accord de GPEC avant de licencier, les juges ont suspendu, le 5 octobre, le PSE de NextiraOne, car l'entreprise n'avait pas mené, au préalable, de négociations sur la gestion des emplois et des compétences.

2 Des décisions bien accueillies par les syndicats, mais qui inquiètent les DRH. Ils y voient l'application du PSE retardée.

3 Seules une vingtaine d'entreprises, à ce jour, ont conclu des accords de GPEC.

Auteur

  • Anne Bariet