Pendant six ans, Dorothée Ramaut, médecin du travail, a noté au jour le jour le quotidien des salariés d'une grande surface, qu'elle recevait en consultation de médecine du travail. Ce journal met en évidence les agissements d'un management brutal, qui n'hésite pas à recourir au harcèlement moral et à la violence psychologique pour augmenter la productivité des employés, voire pour se débarrasser d'eux quand la direction estime qu'ils ne sont pas assez performants ou trop rebelles.

Au-delà de l'anecdote, ce que l'auteur cherche à mettre en évidence est la mécanique de cette machine à broyer, qui a un coût humain et économique important puisque les arrêts maladie et les frais de santé sont à la charge de la collectivité. Loin d'être des marginaux, ces salariés mis au ban de la grande distribution sont souvent d'anciens employés modèles qui ont énormément investi leur emploi car il les nourrissait au propre comme au figuré, puis, pour une raison qu'ils ne peuvent, souvent, pas comprendre, sont devenus l'homme ou la femme à abattre.

Dorothée Ramaut dénonce l'impuissance ou la démission des différentes instances chargées de protéger les travailleurs. De la hiérarchie qui ne répond pas aux syndicats qui ne se battent pas quand le harcèlement touche les cadres (sous-entendu, des privilégiés), en passant par les autorités de tutelle ou les tribunaux qui hésitent à prononcer des peines sérieuses.

L'une des raisons qui expliquent cette conspiration du silence est, paradoxalement, la place centrale du travail dans la construction de l'identité de chacun. La limite est alors étroite entre le dépassement de soi, qui signe la valeur de l'individu à ses propres yeux, et le sentiment d'échec savamment entretenu, qui enferme l'individu dans la solitude de la souffrance individuelle.