Les sources d'inspiration ne manquent pas pour les comédiens amateurs, les professeurs, les consultants ou les agences de publicité qui mettent en scène des parodies managériales sur l'Internet. Les succès d'audience sont à la clé. Un phénomène révélateur de certains excès et d'une prise de recul par rapport à l'entreprise.
«Bon, y a pas le feu non plus, on ne vous vire pas comme un malpropre. Votre remplaçant n'arrive qu'à 14 heures. » Voilà comment Canal + présente Brother & Brother (B & B), une série de tranches de vie managériale dans un cabinet de consulting, depuis le 10 septembre. La série met en scène les M3M (managers du IIIe millénaire), tous plus ambitieux, froids et jargonneux les uns que les autres.
Il y avait déjà eu la série Camera café sur M6, qui jouait sur cette corde de l'entreprise. L'histoire de B & B est originale dans la mesure où 3 des 4 personnages sont des comédiens amateurs. Tout a commencé en mai 2005 par des vidéos de quelques minutes, filmées dans une cave et diffusées sur l'Internet. En un an, leur succès a été tel (100 000 téléchargements en mai 2006) que Canal + a proposé à la «dream team» les moyens de monter en puissance. Jean-Michel Hua, alias «Maillard», inspirateur et scénariste de Brother & Brother, vient de négocier un mi-temps avec son employeur, l'agence de publicité BETC Euro RSCG. Ses deux compères, qui travaillent respectivement dans une banque d'affaires et dans l'immobilier, n'ont pas franchi le pas. «Amandine», la perfide, est donc la seule comédienne professionnelle. « Il n'est pas question d'arrêter de travailler. C'est une source d'inspiration sans fond. L'idée n'est pas de verser dans la contestation, mais de prendre du recul pour pointer du doigt quelques excès », explique Jean-Michel Hua, qui a travaillé dans une société financière avant de rejoindre BETC Euro RSCG.
CV anonyme, «développement interminable», égalité des chances, les sujets n'ont pas manqué au fil des quelque 50 vidéos diffusées sur le site de B & B. « Nous savons que nos sketches sont parfois réutilisés par des consultants dans le cadre de formations en entreprise, pour créer un décalage », rapporte «Maillard». Le sketch du repositioning où le board de B & B décide de faire passer le second B à la place du premier pour dynamiser son image, après six mois d'audit, aurait ainsi introduit des séminaires internes de France Télécom, lors de la cannibalisation de la marque Wanadoo par Orange.
B & B exploite le filon du jargon et des anglicismes qui envahissent le vocabulaire managérial. Dans son Dicoblog qui démanage, Emmanuel Carre, professeur à l'école de management de Bordeaux et consultant, a entrepris un ambitieux travail de décryptage de ce jargon avec un succès d'audience à la clé. La définition du debriefing devient « traitement d'inspiration psychologique à base de verbalisation de noms d'oiseaux et de hurlements cathartiques destiné à prévenir le stress post-traumatique que constituera, pour toute l'équipe, l'annonce officielle d'une prochaine baisse du chiffre d'affaires ».
Ce blog ne se réduit pas à un dictionnaire mais propose aussi des portraits de toutes les typologies de consultants, de l'endosseur d'échecs au cosmétologue financier, et des scènes de vie au bureau. « Je suis fasciné par la perméabilité de notre expression lorsqu'elle est soumise pendant une période intensive au jargon du consultant. Ce blog me sert de soupape d'aération », souligne l'auteur, qui affirme ne pas user de son blog comme outil pédagogique avec ses étudiants.
Le management parodique a aussi séduit les annonceurs sur l'Internet. Eurostar et 3M, pour sa marque Post-It, ont ainsi décidé de recourir à des agences de publicité. En roulant pour Eurostar, le businessman Chris Esquerre partage ses secrets pour réussir via une dizaine de vidéos. King Coach fait de même pour le compte de Post-It avec une devise : « Il n'y a rien de plus efficace que l'efficacité. »
Il y a fort à parier que Scott Adams, l'auteur américain de la célèbre bande dessinée satirique Dilbert, qui relevait déjà, en son temps, les absurdités managériales, se serait aujourd'hui fait connaître sur l'Internet. Mais, c'est en 1989 que le dessinateur a commencé à publier ses planches dans les journaux. Jusqu'en 1995, ce diplômé de management a continué à travailler chez Pacific Bell, une entreprise de télécommunication, sa source d'inspiration.
n Brother & Brother : <
n Le dicoblog qui démanage : < e-manuel.blogs.com/ >
n King coach : <
n Mes clés du succès : < eurostar.lesclefs dusucces.com/ >
1 Les sites parodiant le management se multiplient sur l'Internet français, avec de tels succès d'audience que les chaînes de télévision et les publicitaires s'y sont investis. La plupart de leurs auteurs sont ancrés dans la vie active.
2 L'exploitation du jargon managérial, dont abusent les consultants et les cadres, constitue le socle de toutes ces initiatives d'autodérision en ligne.
3 Ces parodies présentent des vertus «thérapeutiques». Certains formateurs vont jusqu'à les utiliser comme introduction à leurs stages ou séminaires.
