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Enquête

PME cherchent négociateurs

Enquête | publié le : 19.09.2006 | Emmanuel Franck

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PME cherchent négociateurs

Crédit photo Emmanuel Franck

Face à la carence de délégués syndicaux dans les PME, le législateur a mis en avant deux autres négociateurs : les élus du personnel, sur les questions d'épargne salariale, et le salarié mandaté, pour les lois de réduction du temps de travail. La production d'accords en a été «boostée». Il reste à savoir si ces négociateurs alternatifs ont avantageusement remplacé les délégués syndicaux.

Le constat est connu : les PME sont un désert syndical. En chiffres, cela donne : 5,6 % des établissements de 10 à 19 salariés ont un délégué syndical (DS) ; 18 % de ceux de 20 à 49 salariés ; et 55 % de ceux de 50 à 99 salariés. En conséquence, 77 % des salariés travaillant dans un établissement de 10 à 99 salariés (1) ne sont pas couverts par un délégué syndical, et ne peuvent donc pas bénéficier d'un accord d'entreprise signé par lui. Ce qui est gênant, puisque le DS dispose théoriquement du monopole de signature, dans un contexte où de plus en plus de lois renvoient à la négociation collective. D'où une inégalité de traitement entre les salariés des petites et ceux des grandes entreprises, elles, largement couvertes (95 % des plus de 500 salariés ont un DS), et un déficit d'attractivité des PME.

Salarié mandaté

Fort de ce constat déjà ancien, le législateur a prévu des modes alternatifs de conclusion d'accords qui se passent du délégué syndical, et qui lui substituent d'autres négociateurs, davantage présents dans les PME. Les dispositifs d'épargne salariale peuvent, ainsi, être négociés par les élus du personnel au comité d'entreprise (CE). Quant à la réduction du temps de travail, elle a institutionnalisé le salarié mandaté. Celui-ci dispose, le temps d'un accord, de la signature d'un syndicat mandant.

Dernièrement, la loi de mai 2004 sur le dialogue social a élargi le champ de négociation des élus du CE, des délégués du personnel et des salariés mandatés, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Ces possibilités de dérogation au monopole syndical de négociation n'ont pas rencontré le même succès. Les dispositions de la loi de mai 2004 n'ont, pour ainsi dire, pas été utilisées (lire p. 26). En revanche, l'épargne salariale et la RTT ont consacré le rôle de négociateur des élus et des mandatés. Environ 11 % des accords signés en France, en 2005, l'ont été par le comité d'entreprise - à 97 % sur des questions d'épargne salariale. Et, en 1999, au moment des lois de RTT, les mandatés étaient à l'origine de 40 % des textes déposés par les entreprises, selon la Dares.

Dialogue informel

Pour autant, ces modes alternatifs de conclusion d'accords sur des thèmes précis n'ont pas résolu tous les problèmes que pose l'absence de délégué syndical. Le mandatement RTT a, certes, «boosté» la production d'accords des PME, mais il n'a pas changé la nature profonde du dialogue social dans ces entreprises. Informel il était, informel il reste. En revanche, le mandatement a institutionnalisé un acteur ancien des relations sociales dans les PME (lire p. 27).

Faible syndicalisation

Par ailleurs, et contrairement au pari de la CFDT, principal syndicat mandant, il ne s'est pas traduit par une syndicalisation massive des entreprises : environ 1 000 syndicats ont été créés, selon l'enquête Réponse 2004-2005 de la Dares, dont les résultats sont en cours de publication. Et bien des mandatés ne sont pas devenus délégués syndicaux par la suite, comme chez Fantronic Composants (lire p. 29).

Surtout, la consécration des élus et des mandatés comme négociateurs pose la question du rapport de force qu'ils sont capables d'instaurer avec la direction. L'«endettement subjectif» du mandaté à l'égard de son employeur, mis en lumière par un rapport du Commissariat au Plan (voir Sources p. 28), laisse planer le doute sur l'indépendance du premier à l'égard du second. Et, pour Daniel Furjot, chercheur à la Dares, la cause est entendue, la négociation avec les élus du personnel est un « simulacre ». A partir d'une enquête de la Dares (2), il constatait que 55 % des élus ayant signé un accord pensent que l'absence de cet accord n'aurait pas changé la décision de l'employeur. Pour lui, les seuls acteurs susceptibles de créer la « tension » nécessaire à la construction de tout compromis sont les délégués syndicaux, qu'il considère comme « les plus avertis parce que les plus impliqués ».

Négociateur professionnel

Dominique Labbé, chercheur à l'IEP de Grenoble, va même plus loin en estimant que le seul moyen de garantir l'indépendance du négociateur est d'en faire un professionnel extérieur à l'entreprise (lire p. 31). Cependant, la syndicalisation dans les PME étant ce qu'elle est, on peut se demander si la présence d'un intermédiaire, quel qu'il soit, n'est pas préférable à l'absence d'intermédiaire. L'expérience montre, en effet, que mandatés et élus sont aussi capables de créer ce fameux rapport de force. Dans un contexte difficile, le salarié mandaté pour négocier les 35 heures dans la SSII Mikros, par exemple, a réussi à peser sur les négociations, mais cela a été possible parce qu'il était épaulé par un syndicat (lire p. 30).

Conceptions différentes

A l'inverse, le salarié mandaté chez le viticulteur Laroche semble avoir abandonné au CE le soin de mener toute négociation (lire p. 28). Il apparaît, cependant, que ce dernier est davantage un interlocuteur écouté qu'une véritable force d'opposition. Même lorsqu'il est investi du pouvoir de négocier, le CE a du mal à quitter sa fonction de consultation.

Cyrille Meunier, consultant à MCR Consultants, cabinet de conseil en rétribution, notamment auprès des PME, note : « Un accord d'intéressement négocié au sein du comité d'entreprise sera centré sur des objectifs de performance et de création de richesse ; les syndicats, eux, vont essayer de sécuriser l'accord afin que l'intéressement se rapproche le plus possible d'un treizième mois et qu'il privilégie une répartition égalitaire des richesses. » Deux conceptions différentes de l'intérêt des salariés.

(1) Dares, Premières informations, premières synthèses, novembre 2001, n° 48-1.

(2) «Réponse 98 », colloque Dares du 27 février 2003.

L'essentiel

1 Dépourvus de délégués syndicaux, de nombreux salariés de PME ne sont pas couverts par des accords d'entreprise. Afin de remédier à cette carence, le législateur a donné un pouvoir de négociation aux élus du personnel et aux salariés mandatés pour les questions d'épargne salariale et de RTT. Cette possibilité a été élargie par la loi de mai 2004 sur le dialogue social.

2 Ces possibilités de négociation alternative posent la question de la qualité du dialogue social lorsqu'il n'est pas pris en charge par le délégué syndical.

3 Les dispositions de la loi de mai 2004 relatives au dialogue social dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ont été très peu utilisées. Mais les négociations des dispositifs d'épargne salariale et des accords de RTT permettent d'esquisser un bilan du travail des mandatés et des élus du personnel.

Auteur

  • Emmanuel Franck