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Enquête

Le tabac fait l'union contre lui

Enquête | publié le : 12.09.2006 | Marion leo à Berlin, Valérie Demon à Madrid, Marie-Noëlle Terrisse à Milan, Stéphanie Salti à Londres, Didier Burg à Amsterdam

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Le tabac fait l'union contre lui

Crédit photo Marion leo à Berlin, Valérie Demon à Madrid, Marie-Noëlle Terrisse à Milan, Stéphanie Salti à Londres, Didier Burg à Amsterdam

Alors qu'avec la loi Veil (1976) et surtout la loi Evin (1991), la France était le pays pionnier en matière de législation anti-tabac, d'autres Etats européens l'ont, depuis, dépassée. Avec plus ou moins de bonheur. Tour d'horizon dans cinq d'entre eux.

Allemagne

Alors que l'Allemagne discute encore de la nécessité d'interdire ou non de fumer dans les restaurants et les lieux publics, la question est réglée depuis longtemps dans les entreprises, du moins en théorie. Ainsi, le nouveau paragraphe 3a de «l'ordonnance sur le lieu de travail» (Arbeitsstättenverordnung) oblige l'employeur, depuis le 3 octobre 2002, « à prendre les mesures appropriées pour protéger les salariés non fumeurs des risques pour la santé provoqués par le tabagisme ».

Avec quel résultat ? L'Organisation fédérale pour la santé (BfGe), chargée par le gouvernement d'informer et d'aider les entreprises à mettre en oeuvre la protection des non-fumeurs, dresse aujourd'hui un bilan mitigé.

Les PME à la traîne

« La majorité des grandes entreprises de plus de 500 salariés ont appliqué l'ordonnance. En revanche, la situation est beaucoup plus contrastée dans les PME », explique Michaela Göcke, coordinatrice de projets de l'organisation BfGe, qui rappelle que, sur 3 millions d'entreprises outre-Rhin, 2,6 millions sont des PME.

Des pièces réservées aux fumeurs

Comme de nombreuses grandes entreprises allemandes, BASG Coatings AG (2 400 salariés), filiale de BASF basée à Münster, a créé, par exemple, en janvier 2006, des pièces spéciales pour fumeurs, en accord avec le comité d'entreprise. « Cette mesure a surtout constitué un changement pour les locaux administratifs. Car il a toujours été strictement interdit de fumer dans les usines. Nous sommes une entreprise chimique », rappelle un porte-parole.

Pour ses salariés fumeurs, l'entreprise a proposé des stages de désintoxication de trois mois avec entretiens personnels ou en groupe,des patchs et, surtout, un grand programme de sport. « Le sport constitue notre meilleure politique de prévention », assure le porte-parole.

Espagne

L'entrée en vigueur de la loi anti-tabac, le 1er janvier dernier, a provoqué une véritable révolution culturelle et sociale. De surcroît dans un pays supposé être le paradis pour les fumeurs. Car, auparavant, rien ne leur était interdit, pas même les lieux publics. Et si interdiction il y avait, peu de fumeurs la respectaient. L'interdiction totale de fumer dans les entreprises a donc été brutale pour les accros à la nicotine.

La loi ne prévoit pas de répit, les entreprises ne pouvant pas aménager d'endroits spécifiques pour les fumeurs. Les employeurs s'exposent à des amendes pouvant aller jusqu'à 10 000 euros s'ils laissent un salarié fumer. Mais beaucoup de fumeurs se retrouvent à griller leur cigarette dehors, sur le pas de la porte de l'entreprise.

Cette loi a supposé tant de changements que, durant tout le mois de décembre 2005, il ne s'est pratiquement pas passé un jour sans que les chaînes de télévision diffusent un reportage sur l'un des aspects répressifs de la nouvelle loi ou sur l'une des mille manières d'arrêter de fumer.

Aides financières des entreprises

Comme la loi ne prévoit pas que la Sécurité sociale finance les traitements anti-tabac, comme les médicaments censés faire diminuer le stress, les chewing-gums de nicotine ou les patchs, certaines entreprises ont pris les devants. A l'image de Codorniu, leader de la production de cava (champagne espagnol), où un collaborateur sur quatre est fumeur ; 75 % d'entre eux ont décidé de suivre un programme spécifique qui coûtera à l'entreprise près de 12 000 euros. Les salariés ont le choix d'y adhérer, mais la direction a aussi mis les points sur les «i» : il n'y aura plus de pause pour fumer.

Italie

«Un an et demi après son entrée en vigueur, la loi qui interdit de fumer sur les lieux de travail est appliquée de façon sereine. Nous avions pourtant craint des problèmes, des conflits, mais le bilan est positif », se réjouit Mario D'Ambrosio, président national de l'AIDP, l'association italienne des directeurs du personnel.

Selon la loi du 16 janvier 2003, entrée en vigueur le 13 janvier 2005, « il est interdit de fumer dans les locaux fermés, à l'exception des lieux privés, non ouverts aux usagers et au public ». Le droit de fumer reste garanti, mais les bureaux et les usines (ainsi que les bars et les restaurants) sont devenus non- fumeurs, à l'exception de salles réservées, qui doivent respecter de stricts critères en matière d'aération. Les entreprises se sont donc mises aux normes. Beaucoup ont préféré renoncer à aménager les (coûteux) locaux pour fumeurs et envoient dehors, sur les terrasses ou dans les cours, ceux qui ne peuvent renoncer à la cigarette.

« Le seul vrai problème, aujourd'hui, est celui des pauses. Beaucoup d'entreprises ont pratiquement institutionnalisé une pause-cigarette de cinq minutes toutes les heures. Mais cela correspond à 40 minutes par jour, et il faut désormais rééquilibrer le temps de travail avec celui des non-fumeurs : en demandant aux fumeurs de récupérer ce temps ou en permettant aux non-fumeurs de bénéficier, eux aussi, de pauses », explique Mario D'Ambrosio. Le président de l'AIDP met cependant l'accent sur un effet important de la loi : « On estime que 20 % à 25 % des fumeurs ont renoncé à la cigarette sur leur lieu de travail. »

Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne a décidé de se montrer particulièrement sévère avec les fumeurs. Suite à un livre blanc publié par le gouvernement (Choosing Health : making choices easier), une loi sur la santé, sous le nom de the Health Bill, a été introduite auprès de la Chambre des communes en octobre 2005. Et, en février dernier, les députés ont voté en faveur d'une interdiction totale de fumer dans les lieux publics.

Les fumeurs en entreprise bénéficient d'un délai de grâce : l'interdiction n'entrera en vigueur que l'été prochain. Toutefois, les contours définitifs du projet ne seront pas dévoilés avant la fin de cette année. Par quelques indiscrétions, on sait déjà que l'interdiction touchera tous les lieux professionnels «clos», ainsi que certains véhicules utilisés à des fins professionnelles. La loi devrait également interdire la création de pièces réservées aux fumeurs à l'intérieur de l'entreprise.

Mortalité des fumeurs passifs

Selon l'association Action on Smoking and Health (ASH), 1 200 fumeurs passifs meurent ,en effet, tous les ans, en Grande-Bretagne, soit 3 par jour. Selon le CIPD (Chartered Institute Personnel of Development) - une organisation spécialisée dans les ressources humaines -, les employeurs doivent, d'ores et déjà, réfléchir au meilleur moyen de respecter cette nouvelle réglementation. L'organisme recommande la création d'une aire fumeurs à l'extérieur des bâtiments, mais toujours dans l'enceinte de l'entreprise.

Dans le reste du Royaume-Uni, le Health and Social Care Act 2005 a été introduit en Ecosse depuis le 26 mars dernier. En Irlande du Nord, l'interdiction de fumer dans les espaces publics et professionnels entrera en vigueur en avril 2007.

Pays-Bas

En place depuis le 1er janvier 2004, l'interdiction de fumer sur le lieu de travail est passée comme une lettre à la poste. La mesure a fait l'objet d'un compromis implicite. Disciplinés, les fumeurs ont accepté ces nouvelles conditions. Quant aux entreprises, elles ont fait preuve de bonne volonté en aménageant des espaces pour eux. D'ailleurs, quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi, 70 % des employeurs s'y étaient conformés.

L'aide au sevrage encore délaissée

Mais, si les grandes entreprises se sont lancées pour l'occasion dans des campagnes de prévention, celles à l'origine de vraies mesures d'aide au sevrage tabagique se comptent sur les doigts d'une main. Le groupe postal TNT fait régulièrement des piqûres de rappel dans ses journaux internes sur les bienfaits de l'arrêt du tabac.

De plus en plus de contrats d'assurance santé collectifs prévoient une prise en charge partielle des frais de sevrage tabagique. La police de la mutuelle Zilveren Kruis offre une réduction de 25 % à tout fumeur suivant un tel stage.

Mais il n'y a guère que quelques compagnies d'assurances et une poignée d'entreprises, dont le géant de l'électronique Philips, qui prennent complètement en charge ces frais. La première compagnie d'assurances du pays, Achmea, propose, au choix, deux cursus payés par l'employeur, dont la méthode Allen Carr. Les salariés de Philips ont, quant à eux, toute latitude pour trouver la bonne solution.

Sur le terrain, il apparaît que les employeurs néerlandais ne sont pas tous sensibilisés au même degré au tabagisme. Si 85 % des institutions de santé et d'enseignement appliquent la loi à la lettre, seules 28 % des entreprises du bâtiment la respectent.

Auteur

  • Marion leo à Berlin, Valérie Demon à Madrid, Marie-Noëlle Terrisse à Milan, Stéphanie Salti à Londres, Didier Burg à Amsterdam