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L'entreprise non conformiste aligne le discours sur ses actes

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 12.09.2006 | Violette Queuniet

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L'entreprise non conformiste aligne le discours sur ses actes

Crédit photo Violette Queuniet

Pour être une source d'innovation, le non-conformisme doit s'enraciner dans le vécu de l'entreprise ; s'il se limite au discours, il contribue à démotiver les salariés. Recruter des profils non conformistes est également un risque à prendre pour relancer la création.

E & C : Vous avez mené une recherche sur l'entreprise non conformiste. Que recouvre ce concept ?

Jean-Jacques Pluchart : Il s'agit d'un concept à la fois générique et polysémique, qui a été enrichi par de nombreux courants de pensée, de Max Weber à Foucault. On peut y rattacher, par exemple, un courant prometteur encore en gestation : celui de l'intelligence émotionnelle. Le non-conformisme transgresse les logiques conventionnelles en faisant vibrer la fibre passionnelle. Les managers d'aujourd'hui - et notamment les responsables RH - essaient de stimuler l'esprit créatif des acteurs de l'organisation en leur ménageant un cadre favorable à l'émotion.

Une autre approche plus complexe du non-conformisme, empruntée à Brunsson, est celle du management paradoxal. Le conformisme est d'abord affiché dans les discours conventionnels de la hiérarchie, souvent qualifiés de «langue de bois», mais il ne l'est pas forcément dans les comportements qui se révèlent de plus en plus pragmatiques, voire parfois opportunistes. Le non-conformisme consiste alors à aligner ses discours sur ses actes. Dire clairement que l'on licencie pour des raisons strictement économiques afin de créer plus de valeur à court terme pour l'actionnaire, c'est tenir, en définitive, un discours non conformiste... avec des actes qui sont conformistes. Le non-conformisme ne consiste-t-il pas, en fait, à ne plus pratiquer un management paradoxal ?

E & C : Votre recherche porte sur des entreprises de la net-économie. D'autres secteurs peuvent-ils être concernés par le non-conformisme ?

J.-J. P. : Le non-conformisme touche plutôt les secteurs qui pratiquent une personnalisation de leur offre, en particulier les secteurs du luxe, de la publicité, des services... Leur valeur ajoutée durable repose souvent sur une création de «rupture». Il faut rompre avec un discours et des attitudes établis, ce qui suppose une certaine inventivité dans les discours mais aussi dans les comportements. Toutes les entreprises qui sont confrontées à une forte innovation technologique ou sociale sont contraintes, d'une certaine manière, d'avoir des comportements non conformistes. Dans un processus d'innovation, la phase initiale - dite d'exploration ou de fibrillation - fait appel à un état d'esprit non conformiste. Au cours des phases suivantes de formalisation de l'invention, de tests et de lancement, des approches plus conformistes sont probablement nécessaires.

E & C : Cela suppose aussi, pour l'entreprise, de sélectionner des profils non conformistes ?

J.-J. P. : En effet, et le cas des profils atypiques est un problème compliqué de GRH. Que faire en présence d'un candidat présentant un tel profil ? Pour certains postes ou métiers, il est nécessaire que le recruteur prenne ce risque. Il faut, d'une certaine manière, qu'il se comporte en financier : s'il veut un rendement supérieur, il doit prendre plus de risques. S'il reste sur le couple rendement/risque, du type caisse d'épargne, il a peu de chances d'obtenir de forts rendements. Il s'agit, ensuite, de savoir gérer le risque, en mettant en place une procédure d'intégration destinée à en faire courir le moins possible à la communauté de l'entreprise : tester le cadre atypique sur un parcours progressif, par exemple. Dans les domaines de la recherche ou du marketing, il existe, ainsi, des comités qui s'efforcent de «tuer les monstres dans l'oeuf», c'est-à-dire les projets à trop haut risque pour l'entreprise.

E & C : Est-ce que le non-conformisme, qui se traduit par une stratégie de rupture dans des domaines divers - commercial, stratégique, organisationnel, social -, est une source de motivation et d'engagement pour l'ensemble du personnel ?

J.-J. P. : Quand il se limite au discours, le non-conformisme est intentionnel, géré, managé, manipulatoire ; il peut alors susciter des réactions négatives de la part de toutes les parties prenantes de l'entreprise, et notamment des salariés. En revanche, quand le non-conformisme est vraiment non intentionnel, que les discours sont suivis d'actes, alors, cela peut être très stimulant pour la communauté de l'entreprise. Mais il faut une sincérité perceptible, ce qui suppose des leaders ayant une personnalité non conformiste, sans être toutefois anticonformiste. L'anticonformisme repose, en effet, sur une opposition, un rejet, et renvoie à une attitude négative. Alors que s'il s'agit d'une attitude de libération, de déconstruction en vue de devenir ce que l'on est, je pense que c'est très motivant pour tous les acteurs qui ont un certain potentiel de créativité.

Gouvernement, organisation et gestion : l'héritage de Michel Foucault, sous la direction d'Armand Hatchuel, Presses de l'université de Laval, 2005.

Management des RH : méthode de recherche en sciences humaines et sociales, sous la direction de Patrice Roussel et Frédéric Wacheux, De Boeck, 2006.

Théorie des organisations, Jacques Rojot, Ed. Eska, 2005.

parcours

Jean-Jacques Pluchart a travaillé pendant vingt ans au sein du groupe Total où il a été responsable d'une filiale.

Il est, aujourd'hui, professeur de gestion à l'université Paris-2 et responsable de la recherche en gestion à l'université de Picardie, (Centre de recherche sur les institutions, l'industrie et les systèmes économiques).

Il est l'auteur de nombreux articles, dont L'entreprise non conformiste, une forme d'organisation pionnière, paru dans le n° 8 de la Revue Management & Avenir (2e trimestre 2006). Son ouvrage L'ingénierie financière de projet (éd. d'Organisation, 2000) a obtenu le prix Turgot en 2001, qui récompense le meilleur livre d'économie financière de l'année.

Auteur

  • Violette Queuniet