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Comment sécuriser les parcours professionnels ?

Enquête | publié le : 05.09.2006 | Anne Bariet

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Comment sécuriser les parcours professionnels ?

Crédit photo Anne Bariet

Comment concevoir des transitions professionnelles de façon positive ? En sécurisant les parcours professionnels. Inspirée du modèle danois de flexsécurité, la sécurité sociale professionnelle revient sur le devant de la scène avec les élections présidentielles. Malgré les divergences, quelques initiatives ont vu le jour au sein des branches professionnelles, des territoires et de quelques entreprises. Leitmotiv : éviter les ruptures et tirer profit des aléas pour mieux rebondir.

Il n'y a pas de surprise. La sécurisation des parcours professionnels, si chère à la CGT, sera au coeur de la campagne présidentielle de 2007. Du PS à l'UMP, en passant par l'UDF et le PCF, les états-majors affinent leurs projets sur ce sujet. Le concept, avancé par Jean Boissonnat, en 1995, dans son rapport Le travail dans vingt ans, puis repris par Alain Supiot, préconise de substituer au contrat de travail un «contrat d'activité», avec l'idée que les droits de la personne ne sont pas attachés à son emploi mais à l'individu, à la manière du droit individuel à la formation. L'objectif étant d'apporter un revenu garanti malgré la perte de son emploi. La référence française reste le modèle danois qui instaure la flexsécurité, alliant souplesse et mobilité de l'emploi, absence de contraintes pour les entreprises qui licencient et sécurité pour le salarié accompagné et fortement indemnisé en période de chômage. Car, à des degrés divers, tous les observateurs partagent le même diagnostic : la gestion de l'incertitude devient une nécessité.

Restructurations permanentes

En France, l'insécurité sociale n'est pas un phénomène nouveau. Mais elle s'inscrit dans un cadre différent de celui du passé. La mondialisation a fini par bouleverser tout ce qui constituait l'ordre établi : les restructurations sont devenues permanentes, la mobilité est au point mort et les carrières ne sont plus linéaires. Pour autant, la sécurité des pays nordiques n'est pas forcément celle décrite en France.

Aides concrètes

« Les allocations chômage ne sont pas plus élevées dans les pays nordiques, explique Alain Lefebvre, conseiller social pour les pays nordiques (1). En revanche, la possibilité d'obtenir rapidement une aide concrète des services de l'emploi, d'effectuer une formation qui peut être longue - et rémunérée - pour trouver un autre emploi, quitte à se reconvertir complètement, est un gros avantage. Ces périodes de chômage sont souvent considérées comme des périodes de transition pour préparer une seconde carrière, faire un nouveau métier. Du coup, les reconversions professionnelles sont possibles et les chômeurs se sentent plus sécurisés. »

Mais, comment, chez nous, réussir à transformer ces périodes d'instabilité de façon positive ? Pour les syndicats comme pour les partis politiques, les nuances existent. A droite, on retient, tout d'abord, les devoirs des salariés, tandis qu'à gauche, on revendique surtout des droits, c'est-à-dire celui d'être reclassé. Qu'importe les variantes ! « Si l'idée a été reprise, c'est qu'elle touche juste », assure Maryse Dumas, numéro 2 de la CGT. La confédération est, toutefois, loin d'y reconnaître ses propos. Car l'axe principal de ses revendications est la progression des droits des salariés au cours de leur carrière : salaire doublé, niveau de qualification grimpant de 20 points, formation pouvant représenter 10 % du temps total de travail (soit à peu près quatre ans au cours de leur carrière).

Premières ébauches

En dépit des tâtonnements, les premières ébauches de sécurité sociale professionnelle se font jour. Les politiques ont ouvert la voie avec le contrat de transition professionnelle (CTP), expérimenté, depuis fin avril, dans sept bassins d'emploi (Charleville-Mézières, Vitré, Morlaix, Saint-Dié-les-Vosges, Valenciennes, Toulon et Montbéliard). D'une durée de douze mois, le CTP s'adresse aux personnes licenciées d'entreprises de moins de 1 000 salariés.

Congé mobilité

Le projet de loi sur la participation, discuté à la rentrée, prévoit, par ailleurs, la création d'un congé mobilité, destiné à préparer le reclassement «à froid» des salariés. Concrètement, il devrait permettre aux salariés de grandes entreprises (plus de 1 000 personnes) menacés de licenciement d'effectuer des missions à l'extérieur de leur entreprise ou sur un autre poste. L'objectif premier étant d'éviter toute rupture.

Les premières ébauches de dispositifs de sécurité sociale professionnelle sont également à repérer sur le terrain. Quelques branches professionnelles ont pris les devants. C'est ainsi que le syndicat des fondeurs de France, touché, depuis dix ans, par d'importantes vagues de délocalisations, a décidé de prendre le problème à bras-le-corps. L'enjeu est crucial : entre 2 000 et 2 500 emplois sont supprimés chaque année.

Reconversion

Pour limiter cette hémorragie, le syndicat travaille à un projet de reconversion de son personnel. Des passerelles pourraient être établies avec le secteur du bâtiment, en recherche permanente de main-d'oeuvre. Pour faciliter la transition professionnelle, des programmes de formation lourds (de 400 à 500 heures), financés par l'Opcaim, l'organisme collecteur de la branche industrielle, sont à l'étude. Trois millions d'euros seraient déboursés sur la période 2006-2007.

La filière des équipementiers automobiles (Fiev), adhérente également de l'UIMM, pourrait lui emboîter le pas. Dans cette profession, les plans sociaux se succèdent : 2 000 suppressions d'emploi ont eu lieu entre 2004 et 2005 sur un effectif de 124 455. La profession cherche à accompagner les PME dans la définition de leur gestion prévisionnelle des compétences avant que l'emploi ne se dérobe.

Anticipation

L'anticipation est aussi le défi que tente de relever, au niveau régional, l'Oref-Carif des Pays de la Loire, avec le projet Coopire. Cette structure de formation s'applique à bâtir des parcours professionnels pour des salariés âgés et exerçant des métiers à risque. Afin de faciliter les transitions choisies, le Carif a décidé de mettre en place des parcours «transecteurs». C'est ainsi que les ouvrières du textile pourraient découvrir les métiers du nautisme, que les caristes pourraient entamer une deuxième carrière en devenant chauffeurs routiers. Des compétences transférables et déterminées en fonction des besoins du bassin d'emploi.

L'idée de sécurisation fait aussi son chemin dans les entreprises. C'est la démarche lancée par Arcelor, à Mardyck, près de Dunkerque, dès 2003, qui a annoncé la fermeture de son site industriel trois ans avant le jour J. Une démarche payante puisque l'anticipation va permettre de repositionner l'ensemble des salariés sur les autres sites du groupe. Sans aucun licenciement.

STMicroelectronics réfléchit, de son côté, à la création d'une Maison de la mobilité, en coopération avec les acteurs économiques de la région (entreprises, Opcaim, fonds régionaux...), destinée à favoriser, au sein du bassin d'emploi, les mobilités internes et externes. Quatre entreprises voisines ont d'ores et déjà donné leur accord de principe. « Nous avons besoin de garder une souplesse dans la gestion de l'emploi car nos métiers évoluent très vite », assure Thierry Deanjean, DRH du groupe. Cette idée repose sur une expérience menée, l'an passé, alors que le groupe annonçait la suppression de 1 000 emplois (équivalents temps plein). « Les salariés ont bénéficié d'une aide à la formation et à la reconversion au sein d'une structure interne, le CRSP (Centre de ressources et de services partagés), et ceux désireux de créer ou de reprendre une structure ont reçu un accompagnement à cette transition vers la petite et moyenne entreprise ; 350 postes ont pu être maintenus. »

Mobilité professionnelle

C'est aussi pour favoriser la mobilité professionnelle que cinq entreprises pharmaceutiques et cosmétiques, du bassin orléanais, Famar, Merck, Pfizer, Shiseido, Servier, se sont associées pour monter un programme commun de formation (avec la CCI, l'ANPE, et l'IMT, l'Institut du médicament de Tours), afin de former 55 opérateurs de ligne en contrat de professionnalisation, avec l'obtention de trois validations différentes : CQP (certificat de qualification professionnelle) ou diplôme de l'Education nationale. L'avantage est double : il s'agit, pour les entreprises, de constituer un vivier de compétences sur le bassin d'emploi, rongé par les départs à la retraite, tout en assurant des passerelles entre les différentes entreprises du secteur aux candidats à la formation.

Des obstacles existent cependant. Les 1 500 salariés d'Heuliez, dans les Deux-Sèvres, menacés par un plan social, l'ont appris à leurs dépens. Le projet, défendu par la CFDT, consistait à reclasser ces salariés au sein d'entreprises locales, via la plate-forme Bocacompétences, tout en conservant leur contrat de travail. Une sorte de super contrat de transition professionnelle, en somme. Mais le projet, plébiscité également par les maires du département et la présidente de la région, Ségolène Royal, s'est, toutefois, heurté au refus de l'Assedic qui n'a pas souhaité financer l'expérimentation alors qu'aucun licenciement n'avait été prononcé.

Concurrence entre les dispositifs

« On touche à une difficulté importante, assure Jean-Raphaël Bartoli, président d'Amnyos Consultants, qui a organisé un séminaire «Sécurisation des parcours professionnels», le 16 mai dernier. Celle du cloisonnement des systèmes sociaux. Le risque de concurrence entre les dispositifs de l'Etat, des régions, des branches professionnelles, des départements ou des agglomérations entrave le développement de la sécurisation des parcours. La mise en cohérence de l'ensemble des dispositifs financiers, tels que les Fongecif, les Opcareg, et l'Agefos, s'avère difficile. La fongibilité des systèmes serait un atout. » Vrai. Mais comment rendre un financement plus transparent, améliorer la transférabilité des droits attachés à l'individu ? Quel est le bon niveau administratif (Etat, régions, communes) pour fédérer ces parcours ? Le débat ne fait que commencer.

(1) Coauteur, avec Dominique Méda, de Faut-il brûler le modèle social français ? (Seuil, 2006). Lire également son interview dans Entreprise & Carrières n° 821.

L'essentiel

1 Passer d'une mobilité subie à une mobilité choisie : tel est l'objectif de la sécurisation des parcours professionnels, un concept un peu flou, repris par les syndicats, les politiques et inspiré du modèle danois de flexsécurité.

2 Plusieurs initiatives vont en ce sens : des acteurs - branches professionnelles, entreprises, organismes de formation, pouvoirs publics - ont déjà tracé quelques ébauches : le Syndicat des fondeurs de France, par exemple, la Fiev, la filière des équipementiers automobiles, l'Oref-Carif des Pays de la Loire, STMicroelectronics, Famar, Arcelor...

3 Mais des obstacles demeurent : le cloisonnement des systèmes sociaux, la non-transférabilité des droits, la réticence des employeurs, la faiblesse des rapports sociaux...

Auteur

  • Anne Bariet