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La prévention passe par la gestion des émotions au travail

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.09.2006 | Pauline Rabilloux

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La prévention passe par la gestion des émotions au travail

Crédit photo Pauline Rabilloux

D'abord axée sur les risques physiques, puis élargie à la charge mentale, la prévention des risques liés au travail s'intéresse aujourd'hui à l'activité émotionnelle des salariés. Une évolution qui interpelle directement la fonction RH dans sa mission de gestion des compétences.

E & C : Les émotions, traditionnellement associées à la sphère privée, semblent faire leur entrée dans le champ de l'entreprise et du management. En quoi les concernent-elles ?

Vincent Grosjean : Les émotions jouent un rôle essentiel à l'articulation entre le corps et l'esprit. Elles permettent de mobiliser les énergies en vue de l'action. Les émotions sont la manifestation de notre sensibilité à l'environnement et, en retour, nous permettent d'agir sur celui-ci de manière adaptée. Dans une économie qui repose de plus en plus sur les services, cette notion d'émotion vient donc naturellement à l'avant-plan. Si l'on prend l'exemple de la relation aux clients, il est important pour le salarié en contact avec eux d'à la fois décrypter les émotions de son interlocuteur et de maîtriser les siennes, cela dans un contexte émotionnel tendu du fait des contrôles incessants de la direction. Dans le champ de l'entreprise, on peut donc maintenant aussi parler de compétence relationnelle. Les entreprises, qui ne veillaient pas à la santé au travail dans la mesure où certains risques ne leur incombaient pas financièrement, se soucient désormais de la gestion émotionnelle, puisqu'elle a une incidence sur la rentabilité.

E & C : Quels sont, concrètement, les points de convergence entre la GRH et la problématique de santé au travail concernant la sphère des émotions ?

V. G. : Trois axes de convergence existent. La durabilité de l'emploi, l'adaptation des postes de travail et le management de la qualité. Dans le premier cas, la logique de développement durable amène l'entreprise à tenir compte des effets de ses orientations RH sur son environnement humain. Par exemple, une politique de bien-être favorise sur le long terme la préservation des compétences et des personnes dans l'entreprise. La deuxième perspective est ergonomique : il s'agit d'adapter le poste de travail et son environnement. Les informations relatives au ressenti des salariés nourrissent la réflexion en vue de cette adaptation. La troisième concerne la performance de l'entreprise. Pour augmenter sa valeur ajoutée et, par conséquent, son avantage concurrentiel, l'entreprise a tout à gagner à développer des emplois de qualité. Une politique de bien-être permet de satisfaire ses clients, de préserver la motivation et la créativité. Cette préoccupation, qui est d'abord apparue dans les métiers de l'informatique et dans le secteur hospitalier, est en passe de se développer dans d'autres secteurs comme le BTP, parce que la main-d'oeuvre qualifiée s'y fait rare.

E & C : Est-ce le signe d'une mutation profonde de la logique de la prévention du risque professionnel ?

V. G. : En effet, à côté des approches juridique et médicale des problèmes de santé au travail, l'action sur des risques liés à l'organisation impose une perspective largement consensuelle. On cherche à renforcer les partenariats entre les acteurs de la prévention, d'une part, et les services RH et le management, d'autre part. A l'INRS, par exemple, nous travaillons depuis quelques années sur la notion de «bien-être au travail». Elle est, effectivement, une cible que peuvent partager les acteurs de la santé et ceux des RH.

Du point de vue de la prévention, cela permet de traiter en amont des risques tels que le harcèlement moral, la violence, les troubles musculo-squelettiques... tout en ayant en point de mire certaines des préoccupations du management et de la RH (implication, fidélisation du personnel...). C'est un parti pris largement mis en avant dans les pays du Nord, par exemple dans le cadre d'initiatives telles que les programmes d'assistance aux employés (EAP). Cette vision de la santé ne consiste ni à identifier les victimes ni à stigmatiser les responsables : elle s'ancre, au contraire, dans une logique pragmatique du résultat.

La France, comme l'Angleterre, semble en retard sur cette problématique de gestion de la santé émotionnelle du salarié. Cependant, la question émerge dans certains secteurs, entraînant parfois des relocalisations comme on commence à en voir pour certains centres d'appels. C'est ainsi que Bouygues Télécom, par exemple, a fait le pari de garder les hot-lines, en France et de ne pas les sous-traiter, dans le souci de développer la qualité de service, ce qui passe aussi par le développement d'outils capables d'évaluer le ressenti subjectif des salariés (observatoire du stress et du bien-être). Dans un contexte de mondialisation, l'atout de l'Europe de l'Ouest, en effet, réside avant tout dans son savoir-faire. Pour les tâches à forte valeur ajoutée, l'épanouissement émotionnel peut donc devenir un enjeu et une finalité de gestion.

Comportement organisationnel. Contrat psychologique, émotions au travail, socialisation organisationnelle, Delobbe, Herrbach, Lacaze et Mignonac, éd. De Boeck, 2005.

Management de la santé et de la sécurité au travail. Un champ de recherche à défricher, E. Abord de Chatillon et O. Bachelard, éd. L'Harmattan, 2005.

Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, C. Baudelot et M. Gollac, éd. Fayard. 2003.

parcours

Vincent Grosjean a intégré l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) en 1992. Dans le cadre du département de l'Institut Homme au travail, il anime la thématique santé et bien-être au travail. Il participe également à des enseignements universitaires en France et en Belgique.

Il dirige des recherches de terrain dans différentes entreprises en France, entre autres dans le secteur des centres d'appels téléphoniques.

Ses publications sont accessibles sur le site de l'INRS <www.inrs.fr>

Auteur

  • Pauline Rabilloux