Chacun des âges de l'histoire humaine se distingue par des ressorts de succès bien particuliers. A l'âge industriel, ce sont les usines, les machines et la force de travail des ouvriers qui comptent. Arrive l'âge de l'information : le devant de la scène est tenu par les technologies et ceux qui les maîtrisent. Les fameux travailleurs du savoir, si bien dépeints par Peter Drucker, grand visionnaire du management, occupent une place de choix. On pourrait croire que cet âge dispose encore d'un bel avenir. Pourtant, de multiples signes montrent déjà l'effritement de son pouvoir.
Pour commencer, la suprématie technologique n'est plus l'apanage exclusif des grandes puissances. Avec la concurrence mondiale, la plupart des travaux classiques d'informatique, de comptabilité, de conseil juridique et de bien d'autres domaines d'expertise sont maintenant fort bien maîtrisés par des pays nouveaux, l'Inde en tête, à un coût nettement moins élevé.
Mais la mondialisation des technologies n'est pas le seul facteur de cette révolution silencieuse. Les compétences analytiques et logiques qui ont fait la fierté et le succès de l'Occident ne sont probablement plus les mieux placées pour réussir dans le monde de demain. Rarement les chefs d'entreprise vous disent que leur organisation présente un déficit criant d'analyses, de chiffres, de raisonnement cartésien, de logique. Ils sont généralement assez bien équipés sur ce plan. En revanche, ils évoquent souvent un manque de créativité, de compréhension globale, d'esprit d'équipe, de réceptivité aux besoins des clients, de synthèse face aux multiples priorités.
A l'horizon se profile déjà le prochain âge, l'âge du cerveau droit. Certains l'appellent l'âge de la conceptualisation. Devant la profusion technologique et les turbulences du monde moderne, les individus auront besoin de prendre du recul, de sentir les choses, de mieux comprendre, de nuancer leurs opinions selon le contexte, de choisir intelligemment, de trouver du sens. Les aptitudes qui permettront d'être à l'aise demain et d'agir avec efficacité seront la vision globale, l'empathie, la lecture des signaux faibles, la compréhension des dynamiques cachées derrière les événements, la conceptualisation de solutions inédites. Ces capacités font appel à l'imaginaire et à l'émotion autant qu'à l'aptitude à synthétiser, à dégager du sens et à transmettre un message éclairant. Sensibilité, empathie, intuition, synthèse... Ce n'est plus la pensée cartésienne qui permettra les grands bonds en avant. Ironie de l'histoire : les pays les mieux nantis pour réussir cette révolution de pensée et d'action, ce «saut quantique» tourné vers l'avenir, ne sont pas forcément en Occident...
Meryem Le Saget est conseil en entreprise à Paris. <
