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Conduire le changementen y associant les salariés

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 11.07.2006 | Violette Queuniet

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Conduire le changementen y associant les salariés

Crédit photo Violette Queuniet

Parmi les facteurs d'intensification du travail figurent les changements d'organisation incessants, qui perturbent les salariés. Pourtant, il est possible de conduire le changement de façon à ce qu'il améliore réellement les conditions de travail. Le climat social, mais aussi la performance de l'entreprise ont tout à y gagner.

E & C : Toutes les enquêtes consacrées aux conditions de travail s'accordent pour conclure à son intensification. Et la façon dont se déroulent les processus de changement dans les entreprises aggrave les conditions de travail. Pourquoi ?

Bernard Dugué : Il est frappant de constater, dans beaucoup de projets, l'absence de réflexion sur les objectifs mêmes du changement. Cela pose un problème car, souvent, le maître d'ouvrage, c'est-à-dire la direction de l'entreprise, s'en remet aux fabricants, aux consultants ou aux fournisseurs pour élaborer le contenu du changement. Si l'on regarde les cahiers des charges, qu'ils soient techniques, architecturaux ou organisationnels, on constate qu'ils sont souvent extrêmement pauvres ou généraux. C'est le prestataire externe qui remplit les manques et donc déterminera une partie du changement. Et l'on sait bien, alors, que la solution proposée n'a que peu de rapport avec le travail réel. Le changement ne se passe donc pas comme prévu, on revient sur le projet, on en change. En soi, ce n'est pas grave. Sauf que, dans l'intervalle, les salariés ont dû s'adapter, changer, organiser différemment leur activité... Et l'on parle de résistance au changement ! Mais les salariés n'arrêtent pas de changer. Entre les changements techniques, organisationnels, les modifications du produit fabriqué ou du service rendu aux usagers, les projets se succèdent sans interruption. Le problème est que ces projets sont construits en dehors des salariés, et ceux-ci ont le sentiment qu'on ne parle pas des réalités concrètes de leur activité. Ils ont donc de bonnes raisons de ne pas s'impliquer.

E & C : Comment peut-on conduire le changement sans renforcer les contraintes des salariés ?

B. D. : Pour qu'il soit réussi, un changement doit se faire à plusieurs conditions. D'abord, partir d'une analyse très fine des processus existants, avec leurs points faibles et leurs points forts. Car, dans tout changement, il faut maintenir une continuité. Deuxième condition : construire les objectifs en assurant la confrontation des différentes logiques présentes dans l'entreprise (production, commercial, maintenance, service après-vente, etc.). L'élaboration du cahier des charges sera le résultat de la prise en compte et du compromis entre ces différentes logiques.

Troisième condition : tenir compte de la dimension sociale. Elle est souvent négligée dans les projets, alors qu'elle est un élément de leur réussite.

Enfin, dernière condition : prendre en compte le travail réel et non tel qu'il est censé se réaliser. Cela signifie de mettre en débat, dans l'entreprise, certaines questions concernant le travail, associer les salariés (cadres et opérateurs) et construire des compromis sur la base d'une connaissance précise de la manière dont les choses se passent concrètement.

Mettre en débat certaines questions dans un projet veut dire qu'on va organiser des tests, des simulations, avant de prendre des décisions. Après la mise en oeuvre du projet, cela veut dire aussi s'accorder sur une évaluation du changement, sur des pratiques de retour d'expériences pour nourrir, éventuellement, les projets futurs.

Par expérience, on constate que, lorsqu'un projet a suivi toutes ces étapes, les salariés expriment leur satisfaction. Quand vous les entendez dire : « Maintenant, on a l'impression que c'est vraiment notre outil de travail », un pas énorme a été franchi par l'entreprise. Ce n'est pas uniquement le produit technique qui est considérablement amélioré, ce sont aussi les relations sociales.

E & C : Précisément, quel rôle les acteurs du dialogue social - DRH et organisations syndicales - pourraient-ils jouer ?

B. D. : Un des enjeux des organisations syndicales est vraiment de s'investir dans la compréhension et l'analyse des conditions de travail. Cette question est au coeur des préoccupations des salariés aujourd'hui, et c'est aussi, pour les organisations syndicales, l'occasion de faire le lien entre les attentes individuelles des salariés et les enjeux collectifs. Quant au DRH, il est en grande partie l'orchestrateur du dialogue social dans les entreprises. Il peut aussi avoir un rôle à jouer pour organiser la controverse. Les entreprises connaissent un vrai déficit de débat, elles fonctionnent trop au consensus, ce qui conduit à des décisions prises sans connaissance de toute la complexité de la réalité. Par sa proximité, notamment avec le CHSCT, le DRH peut être celui qui va favoriser la prise en compte du travail réel et qui va faire en sorte qu'il devienne un objet commun de discussion. Le DRH peut aussi argumenter sur le fait qu'améliorer les conditions de travail, c'est gagner en performance globale. On le voit dans certains bassins d'emploi : quand la tension du chômage se desserre un peu, les salariés vont dans les entreprises dont les conditions de travail sont réputées les moins difficiles.

Le regard sociologique, Everett C. Hughes, éd. de l'EHESS, 1996.

Le conflit, Georg Simmel, Circé Poche, 1995.

Sociologie et anthropologie, Marcel Mauss, PUF, 1989.

parcours

Bernard Dugué est docteur en sociologie, aujourd'hui ergonome au laboratoire d'ergonomie des systèmes complexes de l'université de Bordeaux-2. Il intervient régulièrement auprès des entreprises et des CHSCT.

Il a publié, en 2005, Le travail de négociation - Regards sur la négociation collective d'entreprise (éditions Octarès). Il est l'un des contributeurs de l'ouvrage, dirigé par Laurence Théry, Le travail intenable - Résister collectivement à l'intensification du travail (La Découverte, 2006).

Auteur

  • Violette Queuniet