Becquet, Medica France et Hommes et Emploi : une PME de VPC, qui a réduit la pénibilité physique des postes ; un groupe de maisons de santé, qui capitalise sur l'expérience de ses seniors ; et une filiale d'un groupe de sidérurgie, montée pour éviter un plan social qui aurait essentiellement pesé sur les salariés de plus de 50 ans. Ce sont les vainqueurs du 1er Prix Innova Seniors, créé par Entreprise & Carrières, NotreTemps.com, Sodie, Seniorscopie, et soutenu par l'Anact. La remise de ces prix de bonnes pratiques dans le domaine de l'emploi des seniors a eu lieu au Conseil économique et social, à Paris, le 3 juillet.

Le jury, constitué de professionnels des RH, et présidé par Bernard Quintreau, président de la section cadre de vie du Conseil économique et social, auteur du premier rapport du CES sur le retournement démographique (Ages et emplois à l'horizon 2010), a ainsi distingué des sociétés de tailles et de secteurs d'activité très divers, dont la gestion remarquable des salariés seniors illustre les défis qui devraient s'imposer à un grand nombre d'entreprises françaises dans les années à venir.

Le premier prix de cette édition 2006 revient à l'entreprise Becquet. Cette société de vente par correspondance de 210 personnes, filiale des 3 Suisses, spécialisée dans le linge de maison, a entamé dès 2004, avec l'Agence régionale d'amélioration des conditions de travail (Aract), une vaste réflexion sur l'ergonomie des postes dans son atelier logistique, pour anticiper l'accroissement des inaptitudes à la manutention ou à l'emballage (lire p. 15).

Tout autre contexte chez Médica France, arrivée seconde dans les votes du jury : cette société de 4 300 salariés, composée d'un réseau de 105 établissements de soins et d'hébergement de la personne âgée, très décentralisée, a mis l'expérience des seniors au coeur de sa culture du travail. Là aussi, la dimension stratégique est présente, dans la mesure où les seniors comprennent et rassurent les résidents âgés de ces établissements et leurs familles (lire p. 16).

Le jury a également voulu accorder un «Prix spécial» à une entreprise atypique, qui n'est pas inconnue des spécialistes du social. Il s'agit d'Hommes & Emploi, société créée par Arcelor en 1999, alors que le sidérurgiste cédait sa filiale lorraine Unimetal à Mittal Steel (déjà !). Il fallait retrouver du travail aux quelque 200 salariés âgés de plus de 50 ans, mais trop jeunes pour accéder aux préretraites. Hommes & Emploi a donc vu le jour pour adapter une activité et des services aux capacités de ses nouveaux salariés, plutôt que l'inverse (lire p. 17).

Ces expériences, comme celles des autres nominés, Mécanique et Chaudronnerie des Flandres (MCF) et Amadeus (lire p. 18), démontrent combien la gestion des seniors est le plus souvent une gestion des âges en général. « Elle bénéficiera sans aucun doute à l'ensemble de l'entreprise, qui ne peut plus se contenter d'investir exclusivement sur les salariés âgés de 30 à 45 ans, comme elle l'a souvent fait jusqu'ici », souligne Bernard Quintreau. Et de citer, notamment, les démarches ergonomiques qui ont deux facettes : curative pour les seniors, préventive pour les autres générations.

La gestion des secondes parties de carrière facilite les mobilités à tous les âges, avec pour effet induit de rassurer les quadragénaires. La transmission des savoir-faire, notamment à travers le tutorat, est, par définition, une démarche transgénérationnelle. La gestion des salariés seniors, avec son effet domino sur l'ensemble du corps social de l'entreprise - surtout s'ils sont sacrifiés -, est bien une démarche générale de management.

La prise de conscience a commencé dans de nombreuses entreprises. Quelques grands groupes ont déjà mis en oeuvre des dispositifs souvent médiatisés. Le groupe Caisse d'épargne propose, depuis plusieurs années, à ses salariés de plus de 45 ans, l'entretien professionnel de seconde partie de carrière, rappelé dans le plan senior du gouvernement et inscrit dans les avenants de l'accord interprofessionnel sur la formation de 2003, mais pas encore obligatoire ; AXA, avec son accord Cap Métiers, s'est engagé à favoriser les mobilités internes sans exclusive ; France 3 a lancé un vaste programme «Moderniser avec les seniors», aidé par le programme européen Equal de lutte contre les inégalités au travail ; Thalès a créé une structure interne de conseil, constituant une forme de sas de réflexion pour les salariés souhaitant se réorienter en interne ; Renault et PSA ont beaucoup travaillé sur la réduction de la pénibilité des postes, etc.

Pressées par la perspective du départ de leurs baby-boomers, contraintes d'abandonner - sans démotiver leurs troupes - des dispositifs de préretraites désormais fortement taxés, soucieuses d'ajuster l'âge de leur effectif à celui de leurs clients, conscientes des contraintes de l'allongement des carrières liées à la réforme Fillon de 2003 (et aux ordonnances Balladur de 1993) sur les durées minimales de cotisation retraites..., ces entreprises, comme nos lauréats du prix InnovaSeniors, préfigurent une révolution. Celle-ci consiste d'abord à sortir de trente ans d'une confortable culture des préretraites, financées par la collectivité publique, et ancrant durablement dans les esprits l'idée que l'emploi senior pouvait être la variable d'ajustement des entreprises ou nuisait à l'emploi des jeunes.

D'autres pays l'ont fait, comme la Finlande ou la Grande-Bretagne, et, cette année, le gouvernement a décidé d'inscrire officiellement à son tour l'emploi des seniors comme priorité nationale : pas moins de quatre ministres l'ont annoncé en présentant leur «Plan national d'action concertée pour l'emploi des seniors» , le 6 juin dernier, au Conseil économique et social. Ce plan de campagne se présente comme la déclinaison gouvernementale de l'accord interprofessionnel sur l'emploi des seniors, bouclé le 13 octobre précédent. C'est dire qu'il était connu pour l'essentiel (lire Entreprise & Carrières n°s 781 et 815). Le ministre de l'Emploi, Gérard Larcher, a d'ailleurs assuré les conditions d'une concertation suivie avec les partenaires sociaux sur le sujet.

Même si les paraphes de la CGT et de FO manquaient au bas du texte d'accord, ce plan, qui devait, à l'origine, être annoncé à la fin du mois de mars dernier, en pleine fronde anti-CPE, est donc certainement promis à un plus bel avenir que le contrat première embauche. Un comité tripartite de suivi doit, d'ailleurs, veiller à sa bonne application.

Réussira-t-il, comme il se l'assigne en préambule, à faire remonter le taux d'emploi des seniors de 37 % à 50 % d'ici à 2010, permettant à la France d'honorer son engagement européen ? Le ministre de l'Emploi le croit en tout cas de nature à permettre « une modification profonde de notre culture de l'emploi à l'égard des seniors ».

La campagne d'information du gouvernement, prévue à partir de septembre prochain, ainsi que les premiers décrets de mise en application du plan commenceront peut-être à redonner progressivement leur place dans l'entreprise aux seniors. De même, nous l'espérons, que la diffusion des bonnes pratiques.

1 Les vainqueurs de la première édition du Prix Innova Seniors sont : Becquet, Médica France et Hommes & Emploi.

2 Confrontées à des enjeux différents, ces entreprises ont assuré leur pérennité ou leur performance en améliorant l'ergonomie des postes, en favorisant le recrutement ou la promotion des seniors, voire en adaptant leur activité.

3 Dans le cadre du Plan d'action national concerté pour l'emploi des seniors, lancé par le gouvernement le 6 juin dernier, le partage de bonnes pratiques sera déterminant.

Dans un contexte à venir de retournement démographique et compte tenu de l'allongement progressif des carrières et de la disparition des préretraites, il sera difficile aux entreprises de faire l'économie d'une véritable réflexion sur le maintien dans l'emploi des seniors : travail sur l'ergonomie des postes, sur la mobilité, sur le transfert de compétences, sur l'organisation du travail, sur la diversité du recrutement...

Le Prix InnovaSeniors a récompensé certaines des initiatives les plus innovantes ou exemplaires en la matière.

Dix-huit cas d'entreprises ont été portés à la connaissance du comité d'organisation, qui a présenté cinq nominés au jury. Ses votes ont distingué deux entreprises obtenant des scores très proches, Becquet et Médica France, et un prix hors palmarès a été attribué à l'expérience atypique de Hommes & Emploi.

Le jury était composé de :

> Bernard Quintreau (président du jury), membre CFDT du Conseil économique et social, président de la section cadre de vie, auteur du rapport du CES Age et emploi à l'horizon 2010.

> Marie-Laurence Alexandre, directrice du développement des ressources humaines de Bayard Presse.

> Myriam Dubertrand, rédactrice en chef d'Entreprise & Carrières.

> Noël Huret, directeur des ressources humaines France et relations sociales groupe Alstom.

> Laurence Milone-Meunier, consultante Sodie.

> Jean-Marie Peretti, professeur à l'IAE de Corte et à l'Essec.

> Jean-Paul Peulet, chargé de mission à l'Anact.

> Christian Pin, président du comité d'orientation d'Aravis.

> Pierre-Yves Poulain, délégué général de l'ANDCP.

> Dominique Thierry, vice-président de Développement & Emploi.