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« Le «capital social», un facteur de compétitivité »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 04.07.2006 | Anne Bariet

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« Le «capital social», un facteur de compétitivité »

Crédit photo Anne Bariet

L'investissement dans le collectif, et donc la manière d'accumuler du capital social, est en phase avec la performance économique de l'entreprise. C'est ce que s'appliquent à démontrer Antoine Bevort et Michel Lallement à travers un ouvrage collectif sur le capital social. L'humain est une valeur montante !

E & C : Vous venez de diriger, avec Michel Lallement, un ouvrage composé de plusieurs contributions sur le capital social* ? Que signifie ce concept ?

Antoine Bevort : Le concept de «capital social» met en évidence la notion de réseaux et se fonde sur une hypothèse : les performances économiques et sociales d'un individu, d'une entreprise, ou d'une nation ne dépendent pas uniquement du capital économique dont ils disposent, mais aussi de la qualité des relations sociales au sein desquelles s'insère leur activité. Ce concept est apparu sous la plume des sociologues, voilà une vingtaine d'années. Pierre Bourdieu, d'abord, le définissait, en 1980, comme un « réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées, d'interconnaissance et d'interreconnaissance ». Robert Putnam, quinze ans plus tard, avance, lui, l'idée de « réseaux et de règles » qui expliquent les plus ou moins grandes facilités de coordination et de coopération permettant l'action collective. Et il montrait, dans un article (Bowling Alone, «faire du bowling en solitaire», traduit dans notre ouvrage), que le déclin du capital social affaiblit la société civile et, aussi, la solidité de la démocratie. Les différentes contributions éclairent les nombreux débats qu'ont suscités les problématiques du capital social, notamment celles inspirées par l'approche de Putnam, qui avance l'idée que les adhésions à une association, à un syndicat, à une institution politique ou à une organisation professionnelle - que l'on peut assimiler à un patrimoine - peuvent produire des effets bénéfiques sur le développement économique et social.

E & C : Mais comment évaluer concrètement la performance du capital social ?

A. B. : C'est une question très débattue. Pour notre part, avec une équipe de sociologues rouennais, nous avons pris pour cadre l'entreprise dans une étude évoquée dans le livre. Nous nous sommes attachés à étudier dans quelle mesure le capital social peut favoriser l'innovation. Pour ce faire, nous avons d'abord examiné la force des acteurs patronaux et syndicaux, représentée par un indice d'«engagement». Cela nous a permis de distinguer trois grandes familles de relations professionnelles. La première, fondée sur un mode de régulation institutionnelle, se caractérise par un degré d'implication très élevé des acteurs. Ce monde est typiquement celui de la grande entreprise. Toutefois, il n'exclut pas d'autres établissements de plus petite taille : dans ces deux cas,les relations professionnelles répondent le mieux aux normes formelles du droit du travail ; les syndicats y sont les mieux implantés et le mieux reconnus.

La seconde famille favorise un mode de régulation «semi-institutionnelle». Ici, les relations professionnelles sont proches de la moyenne : les acteurs sociaux sont très volontaires et ne subissent pas l'application formelle des règles qui régissent les relations du travail. Enfin, la dernière famille regroupe les entreprises qui pratiquent un mode de régulation non institutionnelle. Les syndicats y sont quasi absents et les relations professionnelles prennent une tournure informelle entre directions et salariés. Ce sont majoritairement les plus petits établissements qui composent cette troisième catégorie.

Nous avons également étudié les formes d'information et de consultation des salariés, ainsi que les pratiques de la négociation au sein de l'entreprise, aboutissant ainsi à un indice de «coopération». Pour chacun des modes de régulation que nous venons d'observer, nous avons évalué le degré de «coopération» entre acteurs sociaux. Nous avons choisi de nommer «régulations négociées» les classes où cet indice de coopération (consultations, information, négociation) est élevé, et «régulations non négociées» les classes où cet indice est, a contrario, très bas. L'intérêt d'un tel découpage est bien évidemment de confronter ces différentes formes de régulation aux performances qui leur sont associées en termes d'«innovation».

E & C : Quels sont les résultats de cette recherche ?

A. B. : On observe d'intéressantes variations entre modes de régulation et propension des établissements à innover. Concrètement, il apparaît bien que l'innovation est forte là où l'indice d'engagement des acteurs sociaux est le plus élevé et où les pratiques d'information, de consultation et de négociation sont les plus répandues. Le capital social paraît donc bien une variable pertinente dans les politiques d'innovation et un facteur de compétitivité. Cette étude suggère que la force des acteurs aussi bien patronaux que syndicaux, et leur capacité à négocier, loin de freiner les performances d'une entreprise sont, au contraire, des atouts pour l'action collective au bénéfice de tous.

* Le capital social, performance, équité et réciprocité, sous la direction d'Antoine Bevort et Michel Lallement, 2006, éditions La Découverte.

Autour du Front populaire, aspects du mouvement social au XXe siècle, Antoine Prost, Seuil, 2006.

Noces, L'été, Albert Camus, Folio Gallimard, 1959.

La haine de la démocratie, Jacques Rancière, La Fabrique éditions, 2005.

parcours

Antoine Bevort est professeur de sociologie au Cnam, agrégé de sciences économiques et sociales, responsable de deux cours, l'un sur les relations professionnelles, l'autre, sur l'insertion professionnelle. Il est membre du Lise-Cnam (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique).

De 1995 à 1998, il a travaillé comme responsable d'un programme francophone à la faculté de sciences économiques et de sciences politiques à l'université du Caire en Egypte.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Le capital social (2006), avec Michel Lallement ; Pour une démocratie participative (2003), Performances institutionnelles et traditions civiques comparées en France et aux Pays-Bas, le cas des politiques de la ville, avec David Charasse (2003).

Auteur

  • Anne Bariet