logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les Pratiques

La profession veut offrir des repères fiables

Les Pratiques | Point fort | publié le : 20.06.2006 | Anne Bariet

Image

La profession veut offrir des repères fiables

Crédit photo Anne Bariet

Mauvaise couverture sociale ? Absence de convention collective ? Face à l'inquiétude suscitée par le développement du portage salarial, le principal syndicat, le Sneps, pointe de nouvelles exigences afin de tirer cette profession vers le haut. Mais toutes les entreprises ne suivent pas.

La lecture du Plan seniors, présenté par le gouvernement le 6 juin, a, tout à coup, réconforté les acteurs du portage salarial. Tout du moins, ceux adhérant au Sneps (Syndicat national des entreprises de portage salarial), la plus ancienne organisation professionnelle du secteur, qui tente d'offrir des repères fiables à cette profession émergente. L'article 22 encourage les nouvelles formes d'emploi, notamment le portage salarial, en proposant la signature d'une convention entre l'Etat, l'Unedic et la fédération professionnelle du secteur. Objectifs ? Régler les conflits avec l'assurance chômage et définir, d'ici à la fin de l'année, les pratiques à privilégier. Une première victoire pour cette profession apparue il y a vingt ans en France. Car le secteur, en l'absence de cadre légal, peine à gagner en légitimité. Malgré ses 15 000 portés. La couverture sociale reste, parfois, fragile.

Assignation contre l'Unedic

La CFDT devrait prochainement déposer une assignation auprès du tribunal de grande instance de Paris contre l'Unedic, l'assurance chômage refusant d'ouvrir des droits à six salariés portés par la société ITG, arrivés en fin de mission. « On oppose la réalité des faits à une vision doctrinaire de l'assurance chômage », indique Laurent Coquelin, chargé de mission de la section professionnels autonomes de la CFDT Cadres. Ces salariés ont cotisé à l'assurance chômage lorsqu'ils étaient chez ITG. Ils ont donc droit aux indemnités versées par le régime. » Selon le Sneps, qui représente 70 % de l'activité de portage salarial, les 15 membres du syndicat (dont ITG) ont versé 4,5 millions d'euros à l'Unedic en 2004. Mais le régime ne reconnaît pas les portés comme des ayants droit. Son argument ? Le lien de subordination, caractéristique de tout contrat de travail, n'est pas respecté. Le portage est, de fait, une relation triangulaire qui inclut à la fois un porté, une entreprise et un client. Le consultant prospecte et décroche des missions comme un indépendant. Celles-ci sont réglées sous forme d'honoraires à une société de portage qui prend en charge toute l'intendance juridique et administrative. Elle paie, ensuite, le consultant en salaire, après avoir prélevé, en moyenne, 10 % du chiffre d'affaires qu'il a réalisé pour frais de gestion. Rien à voir donc avec un salarié classique.

Encourager un vrai dialogue social

Pour tirer la profession vers le haut, le secteur s'est doté d'un observatoire paritaire, créé avec la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et le Sneps, afin de repérer le professionnalisme des sociétés. « L'ensemble des partenaires sociaux se rassemblent pour tenter de définir les bonnes règles du jeu, assure Alexandre Maciera, président de Jam Conseil et vice-président de l'observatoire. Il ne s'agit pas d'une discussion unilatérale, mais d'encourager un vrai dialogue social. Nous avons défini un calendrier de négociations. Le travail de l'observatoire consistera alors à apporter des critères de sélection plus précis dans les pratiques. » En clair, de faire le ménage dans une profession qui est loin d'être homogène. Plus question d'accepter le tout-venant, tiers «employeurs» ou simples «factureurs», à la seule condition qu'ils fassent du portage.

De nombreux dérapages

Car le secteur est loin d'être «sain» dans son ensemble, la plupart des sociétés se plaçant dans l'illégalité la plus flagrante en raison de nombreux dérapages : paiement des salaires uniquement en cas d'encaissement, aucune sécurité financière pour les salariés employés dans des sociétés au capital très faible, ponction d'une marge bénéficiaire sur le travail du porté... « Une petite dizaine de sociétés sur 150 à 200 ont vraiment un code de déontologie », regrette Jacques Vau, président d'ITG et ancien président du Sneps. Soit encore une part bien minoritaire de la profession. « Les pratiques définies par l'observatoire doivent s'imposer à l'ensemble du secteur, insiste Alexandre Maciera. La prochaine étape consistera à mettre en place des moyens d'évaluation et de contrôle. »

Structuration de la profession

D'ores et déjà, sans attendre l'annonce du Plan seniors, plusieurs avancées ont été réalisées. Les sociétés de portage salarial adhérentes au Sneps tentent de montrer patte blanche en offrant le maximum de sécurité aux salariés «portés». Leur stratégie ? Gagner un à un ses galons de légitimité en palliant le déficit social. C'est pourquoi le Sneps multiplie les accords de branche ou d'entreprise, notamment avec la CFDT. « Il est temps de structurer cette profession », prévient Laurent Coquelin. « Le portage se développe encore en dehors de tout cadre de référence avec des pratiques qui restent contestables. Le vrai enjeu est de réguler ce secteur, et la régulation passe par la voie de la négociation collective afin de mettre en place une vraie GRH. » Plusieurs règles communes ont été posées : paiement mensuel, dès le premier mois d'activité du consultant ; formation, garantie financière dans le cas où le client laisse une ardoise, responsabilité civile. Toutes s'appuient également sur la convention collective Syntec. Onze sociétés, dont Acly's, Ad'Missions, Alter & Co, ITG, Jam Conseil, appliquent ainsi ces règles communes définies dans des accords d'entreprise.

Cet accord-cadre pose également le principe du temps de travail effectif, prenant en compte l'ensemble du temps de travail du consultant, la prospection (deux à trois jours par mois), les interventions, mais aussi la formation. La plupart des contrats comportent également des clauses d'objectifs. Les entreprises peuvent donc licencier pour cause réelle et sérieuse le salarié qui n'atteindrait pas les objectifs fixés contractuellement. « Au bout de deux mois, par exemple, le consultant est licencié s'il n'obtient pas de nouvelles missions », prévient Laurent Coquelin. Mais il existe des limites à ce modèle : c'est « de faire endosser au salarié la seule responsabilité de la chute de l'activité économique ». C'est pourquoi des sociétés telles ITG ou encore Jam Conseil n'ont pas hésité à rémunérer le temps de prospection et mis en place des formations. ITG a, par ailleurs, développé une bourse de missions, Missioneo (missioneo.fr), destinée à la fois aux consultants en quête de mission et aux entreprises à la recherche d'experts, tandis que Jam Conseil aide les portés à répondre à des appels d'offres. Une façon « de donner les moyens au consultant de développer son activité ». Des aménagements imaginés pour compenser le vide juridique de cette profession.

Des avancées dans les entreprises

Les entreprises ont aussi avancé de leur côté. C'est ainsi qu'Ad'Missions a signé un accord sur le DIF pour l'ensemble de ses salariés ayant six mois d'ancienneté. Les salariés portés de Links bénéficient des 35 heures, d'une retraite complémentaire, d'une mutuelle de groupe facultative. Ils disposent également de tickets-restaurant. ITG, de son côté, a conclu, en novembre 2004, un accord sur la participation, la mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise, un accord sur la rémunération minimale collective conventionnelle, à laquelle s'ajoutent des primes sur objectifs en fonction de l'activité engendrée.

De nouvelles exigences

Garde-fous suffisants ? Non. De nouvelles exigences pointent. La quête de la respectabilité pourrait également passer par le rattachement du Sneps à la convention CICF (Chambre des ingénieurs-conseils de France), l'une des branches du Syntec qui représente la branche ingénierie et conseil auprès des pouvoirs publics, des organismes et des entreprises. « Notre entrée au conseil d'administration nous permettrait d'être partie prenante dans les négociations, assure Michel At, vice-président du Sneps, et nous donnerait la possibilité de prévoir une annexe à la convention collective réservée aux portés. » Le syndicat espère, cette fois, voir sa démarche couronnée de succès : il y a quelques années, la négociation d'un avenant à la convention collective Syntec (qui regroupe les gros cabinets de conseil) avait échoué alors que toutes les organisations syndicales représentatives du Sneps souhaitaient la conclusion d'un tel accord. Peur de voir le portage comme une nouvelle forme de concurrence ?

Quelle fédération ?

150 à 200 sociétés de portage et 3 fédérations professionnelles. Chacune avec ses positions. Le Sneps, le syndicat le plus ancien, tout d'abord, ne regroupe que les prestations intellectuelles. Il tente de rapprocher le portage du salariat classique grâce à des accords. Sans revendiquer une modification de fond du Code du travail. Mais cette position n'est pas du tout partagée par la FENPS (Fédération des entreprises de portage salarial), qui demande la création d'un statut spécifique du porté, entre salariat et indépendant. Tandis que l'Uneps (Union nationale des entreprises de portage spécialisées), qui s'ouvre à l'ensemble des branches professionnelles telles que l'artisanat, l'immobilier et le commercial, assure, de son côté, que la loi du 2 août 2005, relative au travail à temps partagé, « apporte un cadre légal qui lève le délit du prêt de main-d'oeuvre ». Une position que réfute totalement le Sneps. « Cette loi est faite pour les groupements d'employeurs afin de favoriser le prêt de main-d'oeuvre, qui est un délit en temps normal », clame Michel At, vice-président du syndicat.

Le pari d'Olivier Spire

Aucune fédération professionnelle du portage salarial n'est citée en référence, aucune estimation n'est donnée en termes de chiffre d'affaires ni en nombre de portés... Et pourtant, le groupe Quincadres, dirigé par Olivier Spire, lance un pavé dans la mare en créant une activité de portage salarial via... sa filiale Quincadres Intérim. Comment ? En s'appuyant sur l'article 22 de la loi du 2 août 2005 en faveur des PME créant dans le Code du travail un chapitre IV intitulé «travail à temps partagé». Anodine, la formule propose une nouvelle forme de travail. « La loi du 2 août, insiste Olivier Spire, permet à toute société d'intérim de mettre à disposition d'une entreprise un collaborateur ayant un niveau de compétences approprié. » Concrètement, le porté de Quincadres bénéficie d'un CDI, mais touche une rémunération variable en fonction de la facturation du client, versée ou non. « Notre système, poursuit Olivier Spire, permet de lever les risques à la fois des portés, qui ne peuvent pas recevoir les indemnités Assedic en cas de rupture de contrat, du client, qui court le risque de requalification de contrat en cas de multiplication de CDD, et de la société de portage, qui ne sait pas si elle a le droit de licencier ou non le porté en cas d'absence d'activité. » Malgré ces certitudes, quelques flous subsistent : que signifient exactement les termes «personnel qualifié» et «salaire équivalent» utilisés dans l'article ? En outre, la taille maximale de l'entreprise cliente n'est pas précisée. Pour l'heure, le groupe Quincadres compte deux portés.

L'essentiel

1 Le portage rencontre un succès croissant, mais peine à faire reconnaître sa légitimité : les salariés portés ne disposent pas d'une couverture sociale équivalente à celle des salariés classiques.

2 Malgré les divergences de la profession, le Sneps, le principal syndicat, a mis en place un certain nombre de garanties collectives : prévoyance, retraite complémentaire, droit à la formation, rémunération mensuelle.

3 D'autres avancées restent à faire, notamment l'adhésion à la convention CICF (Chambre des ingénieurs-conseils de France), l'une des branches du Syntec, pour peser dans les négociations.

Auteur

  • Anne Bariet