E & C : Cette génération de jeunes diplômés qui entre de façon plus ou moins précaire dans les entreprises est-elle différente des précédentes ?

N. F. : Elle est différente des générations antérieures, mais les interrogations actuelles à propos des jeunes se posaient dans les mêmes termes dans les années soixante-dix. L'effet de surprise sur cette classe d'âge a eu lieu avec les vagues importantes de recrutement entre 1998 et 2001. Le nombre a permis d'exprimer des attentes et de manifester des comportements. Certaines entreprises qui avaient peu recruté depuis dix ans ont simplement redécouvert ce qu'était un jeune.

E & C : Cette nouvelle génération de salariés a pourtant été largement auscultée depuis quelques années et a posé question au management...

N. F. : Sans doute parce qu'elle exprimait les évolutions récentes de la société auxquelles les entreprises n'étaient pas toujours préparées : pour le management, il faut, par exemple, passer plus de temps à expliquer à ces jeunes comment leur tâche s'intègre dans les process ou le contexte de l'entreprise.

D'autre part, ils ont appris qu'ils auraient à se débrouiller dans un monde précaire, qu'ils changeraient de métier et auraient la charge de leur propre carrière : ils arrivent souvent en demandant comment ils feront leur route dans l'entreprise, comment celle-ci compte les aider à construire leur carrière. Au plan collectif, cette jeunesse ne conteste pas un modèle de société, mais elle déplore l'écart entre ce qu'on lui avait annoncé et la place qu'on lui réserve.

E & C : Le CPE a-t-il catalysé cette prise de conscience ?

N. F. : La jeunesse n'a pas découvert la précarité avec le CPE. Cette génération se sent exposée à la précarité. Le CPE a peut-être accéléré ce mouvement, après les CNE et les autres contrats précaires, en segmentant une population cible par sa tranche d'âge et en autorisant le licenciement non motivé. La jeunesse a pu traduire : « Nous faisons les frais de cette précarisation du travail au profit des autres générations. »

(*) Nicolas Flamant a régulièrement travaillé sur la question des générations dans l'entreprise. Lire, notamment, les études d'Entreprise & Personnel n°250 : Les jeunes, les seniors et l'entreprise ; et n°212 : L'intégration des jeunes dans l'entreprise.