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Enquête

Attention au divorce

Enquête | publié le : 13.06.2006 | Guillaume Le Nagard

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Attention au divorce

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Tristes noces entre la «génération CPE» et l'entreprise : sentiment de précarisation d'un côté, difficultés à fidéliser de l'autre, incompréhensions mutuelles... Les entreprises qui doivent embaucher ont à revoir leurs procédures pour ne plus se focaliser sur le diplôme, et à répondre au besoin de progression et d'acquisition de compétences des jeunes diplômés.

«Malgré mon diplôme de l'IEP de Toulouse, c'est un vrai parcours du combattant. Y compris pour de simples stages. J'en ai enchaîné trois après mes études, en me débrouillant pour avoir des conventions de stage. Le dernier, je l'ai effectué dans une société qui «emploie» 30 % de stagiaires en permanence. C'est sur nous que les entreprises reportent tous leurs besoins de flexibilité » : depuis 2005 et l'obtention de son diplôme bac + 4 en communication, Leïla a multiplié les lettres de candidature et attendu des réponses qui ne venaient pas. Il y a quelques semaines, elle défilait contre le CPE. Pour l'heure, elle travaille pour un « vrai salaire, mais alimentaire », chez Pizza Hut, 20 heures par semaine en horaires variables. Sa confiance en l'avenir, mais aussi dans l'entreprise, en a pris un coup : « On nous avait dit «faites des études longues, des écoles», or, aujourd'hui, on est tous condamnés à ce bizutage à long terme. »

Dialogue de sourds

De son côté, le recruteur d'une entreprise qui a pourtant de forts besoins d'embauche ne voit pas les choses de la même façon : « Cette génération a du mal à s'investir, connaît mal les réalités du monde du travail et pose parfois d'emblée des questions qui nous étonnent, sur les RTT, la mutuelle, les vacances... », dénonce-t-il. Fracture, fossé, dialogue de sourds ? Ces témoignages ne sauraient résumer l'ensemble de la relation entre les jeunes diplômés et les entreprises. Mais, d'évidence, le courant passe mal entre les sociétés, ou leurs recruteurs, et ce qu'il est maintenant convenu d'appeler la «génération CPE».

Un rendez-vous à ne pas manquer

Dans certains secteurs et entreprises, il ne faudra pourtant pas manquer le rendez-vous avec la jeunesse : par exemple, dans l'hôtellerie-restauration, où le marché du travail est très tendu ; la construction et le BTP, qui avaient déjà du mal à recruter et dont la croissance repart en flèche ; la SNCF, où les départs des baby-boomers va conduire à renouveler 70 % des effectifs entre 1997 et 2012. Ailleurs, les effets du choc démographique sont souvent plus malaisés à prévoir, mais des «guerres des talents» sont possibles.

Le Medef a d'ailleurs commencé à s'interroger sur les nouvelles générations, créant une commission éponyme qui a sollicité plusieurs sociologues. Ils ont notamment diagnostiqué une jeunesse plus individualiste, mais pas repliée sur elle-même, plus critique vis-à-vis de l'autorité qui ne serait pas fondée sur des compétences, une difficulté à s'orienter dans un monde de l'entreprise auquel elle n'a pas été préparée, un vif sentiment de précarité. « C'est la première génération qui peut craindre un déclassement social par rapport aux précédentes, malgré une élévation générale du niveau de formation », souligne Laurence Danon, DRH du Printemps, qui préside cette commission «nouvelles générations».

Diplômés sacrifiés ?

Et c'est sans doute là que le bât blesse le plus durement. Les jeunes diplômés sont-ils sacrifiés sur l'autel de la flexibilité ? A vrai dire, les statistiques du chômage ne suffisent pas à expliquer ce désenchantement : la proportion de 15-24 ans au chômage (rapport population active/sans-emploi), de 8,1 %, est, à ce titre, plus significative que les 22,8 % de taux de chômage sur une population en grande majorité non active (part des lycéens et étudiants). Par ailleurs, le sort de ces jeunes diplômés reste plus enviable que celui des jeunes sans formation (lire p.16).

Emplois précaires

Mais si l'on s'attache à la qualité des emplois, les choses apparaissent différemment. Près d'un jeune actif de 15 à 29 ans sur cinq occupe un emploi temporaire ; c'est trois à cinq fois plus que les autres populations de l'entreprise.

La dernière livraison des Données sociales de l'Insee (mai 2006), rapport triennal sur La société française, indique que les jeunes « terminent leurs études de plus en plus diplômés », mais obtiennent un emploi « plus souvent temporaire ou déclassé », quel que soit le niveau de diplôme. Trois ans après la fin de ses études, un jeune sur quatre occupe un emploi qui requiert un niveau de formation inférieur au sien, ont constaté les statisticiens.

Fidélisation

Est-ce là l'origine de cet appétit des nouveaux embauchés pour les formations que l'entreprise peut leur proposer, et de cette demande de progression rapide qui, si elle est déçue, conduit les mieux armés à chercher ailleurs ? Cette hâte à engranger de la compétence est soulignée par de nombreux recruteurs et DRH, et elle pose un nouveau problème aux entreprises, au-delà du maintien de leur attractivité : celui de la fidélisation des jeunes «francs-tireurs». « Certains jeunes ont surcodé le message répété des pouvoirs publics et du patronat, selon lequel on ne peut plus promettre un emploi à vie ; les changements de métier seront nombreux et, avec la formation tout au long de la vie, l'employabilité sera de la responsabilité de chacun, estime Pascale Levet, directrice de Lab'Ho, le laboratoire de recherche du groupe Adecco. Ils sont catéchisés et, pour ceux qui en ont la possibilité, voient l'entreprise comme une sorte d'outil de travail pour leur carrière. Ils ne sont pas faciles à manager dans un collectif de travail, les enjeux du développement et de l'employabilité supportent mal la question du pouvoir et de l'autorité. »

Expérience valorisante

Pour ceux-là, l'entreprise doit réfléchir aux parcours professionnels qu'elle propose, travailler sur l'intérêt des tâches et former dès le départ, notamment pour permettre à ces jeunes d'identifier les enjeux internes et d'utiliser les leviers nécessaires pour faire de leur poste une expérience valorisante.

« Les populations bac + 3 à bac + 5, en particulier, réclament les moyens de l'autonomie qu'on leur demande, estime Isabelle La Chimia, RRH d'Adecco Ile-de-France. Elles veulent un accompagnement de qualité et de la transparence sur la mobilité interne. » Pour ses nouveaux salariés, Adecco a structuré un parcours d'intégration complet, avec des formations théoriques et le soutien d'un tuteur sur le terrain.

Formation et accompagnement

La plupart des grandes entreprises qui ont des besoins de recrutement importants ou réguliers, comme McDonald's, Vinci ou Michelin, par exemple, ont mis en place un triptyque qui associe une montée en qualité du recrutement (simulations, détection des potentiels - au- delà du diplôme), un effort de formation important dans les premiers mois et l'accompagnement sur le poste (tuteur, référent, compagnon ou parcours diversifié). Celles-là ont compris, comme le disait Hervé Serieyx (Jeunes et entreprise : les noces ambiguës), qu'un jeune, « ce n'est pas un adulte en moins vieux ».

L'essentiel

1 Des aspirations nouvelles, souvent mal comprises des recruteurs, et la conviction de faire les frais de la flexibilité : le courant passe mal entre la «génération CPE» et l'entreprise.

2 Les jeunes diplômés, moins menacés que les autres, subissent néanmoins déqualification et emplois temporaires dans les premières années professionnelles, particulièrement pour certains cursus universitaires.

3 Les entreprises qui ont de forts besoins d'embauche revoient leurs procédures de recrutement et boostent les premières années par de la formation et des promotions rapides.

Le chômage des jeunes en chiffres

Les statistiques sont parfois trompeuses : le chiffre de 22,8 % de chômage pour les 16-24 ans concerne une classe d'âge dont la part de population active est très faible (la majorité sont lycéens et étudiants). La proportion de jeunes au chômage, qui englobe l'ensemble de la classe d'âge, non-actifs compris, est, elle, de 8,1 %, soit dans la moyenne européenne.

D'autre part, cette population n'est pas uniforme au regard de ses chances d'accès à l'emploi : les jeunes diplômés conservent de meilleures chances que les jeunes sans formation. Le risque de chômage décroît avec un diplôme : 15 % des sans-diplôme étaient au chômage en 2004, contre 9,5 % des titulaires bac ; 6,1 % des bac + 2 (BTS, DUT) et 7,4 % des diplômés du supérieur (Insee). On constate, néanmoins, que les diplômes du supérieur court sont plus efficaces que les diplômes plus élevés.

Pour les jeunes actifs de 15 à 29 ans occupés en 2003 et suivis par le Céreq, le diplôme a été déterminant dans l'accès à un CDI, mais ne constitue pas une garantie : au cours des quatre trimestres suivants, 47 % des non-diplômés ont connu le chômage ou l'inactivité, comme 29,5 % des CAP-BEP, 27,7 % des titulaires d'un bac. Mais ils étaient 13,6 % parmi les bac + 2 et près de 20 % pour les diplômés du supérieur. La situation de précarité n'épargne donc pas les diplômés, ce que ne suffit pas à indiquer la proportion de jeunes au chômage.

Autre élément à considérer : un quart des jeunes de moins de 26 ans occupent un emploi requérant un niveau de formation inférieur au leur.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard