S'il est difficile d'expliciter les principes sur lesquels se fonde la justice, chacun possède un sens inné du juste et de l'injuste, sans qu'il soit toujours facile de ramener ce sentiment très vif à des raisons objectives.

Etrangement, les inégalités considérées comme justes deviennent presque invisibles tant elles semblent naturelles. A contrario, le progrès dans l'égalité n'est pas forcément appréhendé comme un progrès dans la justice. C'est ainsi, par exemple, que les inégalités hommes- femmes n'ont jamais été autant vivement dénoncées que ces dernières années, alors même que la situation des femmes s'est sensiblement améliorée.

Les inégalités sont de nature hétérogènes et composites. C'est parce que le travail cristallise un ensemble de mécanismes et de rapports sociaux particulièrement propices à la manifestation du sentiment d'injustice que les critiques adressées aux conditions et aux relations de travail s'imposent avec une force particulière.

Le sentiment d'un déni de justice dans la sphère professionnelle est donc particulièrement exacerbé et tourne autour des valeurs d'égalité, bien sûr, mais aussi de mérite et d'autonomie. François Dubet et son équipe de chercheurs en sociologie ont non seulement mis en lumière ces lignes de fracture, mais aussi, plus profondément, les valeurs communes que leur dénonciation met en oeuvre.

François Dubet est professeur de sociologie à l'université Bordeaux-2 et directeur d'études à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).