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Les syndicats doivent aller vers les jeunes et le secteur privé

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 16.05.2006 | Christelle Fleury

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Les syndicats doivent aller vers les jeunes et le secteur privé

Crédit photo Christelle Fleury

Le renouvellement des syndicats est non seulement possible mais souhaitable. Il a déjà commencé, notamment à travers un questionnement sur la conquête des jeunes et des salariés du secteur privé. Les organisations doivent maintenant se montrer à la hauteur des enjeux auxquels elles font face.

E & C : Depuis des décennies, les syndicats assistent, impuissants, à l'érosion du nombre de leurs adhérents. Le congrès de la CGT vient d'avoir lieu. Celui de la CFDT se déroulera le mois prochain. Les organisations syndicales peuvent-elles encore donner un sens à leur action dans la société actuelle ?

René Mouriaux : Certaines personnes sont convaincues que les syndicats relèvent du passé et que, dans une société individualiste, il n'y a plus de place pour un mode d'expression collective. Je pense, au contraire, que les salariés et ceux qui les dirigent appartiennent à des mondes distincts, répondant à des logiques et à des intérêts différents. Les organisations syndicales ont encore leur place dans cette configuration.

Par ailleurs, d'un point de vue historique, les organisations syndicales ont la légitimité de ce qu'elles ont accompli en faveur du droit du travail en France. De plus, elles disposent d'un enracinement électoral important dans la fonction publique et là où il existe des comités d'entreprise. Enfin, elles ont une légitimité sociale, car les dossiers qu'elles traitent sont pris en considération.

Pourtant, elles traversent en ce moment une crise qui a débuté au milieu des années 1970. Depuis l'après-guerre, les syndicats ont perdu les deux tiers de leurs troupes. Le taux de syndicalisation des salariés atteint à peine 9 %. Cette perte doit toutefois être relativisée, car la syndicalisation n'a jamais dépassé 25 % en France.

E & C : Face à cette crise, les syndicats doivent évoluer. Y parviennent-ils ?

R. M. : On voit déjà des signes de renouvellement. Tout d'abord, sur le plan idéologique, avec une prise en compte des enjeux actuels, notamment des transformations du salariat. Pour toutes les organisations, sortir des bastions historiques, notamment celui de la fonction publique, pour s'attaquer à la syndicalisation des précaires, apparaît désormais comme une priorité.

Des pratiques nouvelles sont ainsi mises en place. La CGT a réussi à constituer un type de syndicat nouveau, multiprofessionnel, qui s'adresse à tous les salariés d'un même métier, quelle que soit leur entreprise d'appartenance. Des ouvriers travaillant dans la construction navale ont fait grève ensemble à Saint-Nazaire en 2005. Des syndicats ont également lancé des campagnes en faveur des travailleurs saisonniers, etc.

Ensuite, sur le plan stratégique, des changements ont également lieu, mais ils sont encore à l'état d'ébauche, notamment en ce qui concerne l'intégration des niveaux européen et mondial. Des initiatives ont lieu, comme le projet de fusion de la Confédération mondiale du travail (CMT) et de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL). Mais la mise en route de pratiques de solidarité, de concertation et de lutte au niveau international demeure trop frêle pour avoir un poids véritable.

E & C : Comment les syndicats peuvent-ils toucher ceux qui ne les connaissent pas ou ne croient pas en eux, notamment les jeunes et de nombreux salariés du secteur privé ?

R. M. : Il a toujours existé un décalage culturel entre les jeunes et les syndicats, renforcé aujourd'hui par le fait que les jeunes n'ont connu que des défaites : ils n'ont pas vécu le plein emploi, ils n'ont plus de grandes perspectives puisque la gauche est suspecte, depuis les expériences Mitterrand et Jospin, et que l'URSS est morte.

Pour attirer les jeunes, il faut aller vers eux. Pour cela, il est nécessaire d'essayer différentes formules : se présenter à eux dans les universités, instaurer un parrainage dans les entreprises, etc. Ce qui s'est passé autour du CPE montre qu'il est possible de trouver des liens. Quand la CGT est allée à la rencontre des jeunes en grève dans la restauration rapide (dans les restaurants McDonald's entre 2001 et 2004, NDLR), il en a résulté une certaine syndicalisation. Mais cette démarche est difficile car il existe un véritable désert syndical français, notamment dans les petites structures sans comité d'entreprise ou dans certains secteurs. L'organisation syndicale doit donc instaurer un rapport avantageux pour les deux parties : elle doit être à même d'entendre les revendications et de les prendre en charge, et donner ainsi aux nouveaux venus l'envie de s'impliquer.

Réinventer le syndicalisme, revue Mouvements, éditions La Découverte, janvier 2006.

Syndicats : lendemains de crise, Jean-Marie Pernot, éditions Gallimard, 2005.

Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la Confédération européenne des syndicats, Anne-Catherine Wagner, éditions du Croquant, 2005.

parcours

Licencié en philosophie, René Mouriaux est docteur d'Etat en sciences politiques et spécialiste du syndicalisme.

Désormais retraité, il a été directeur de recherche au Centre d'études sur la vie politique française (Cévipof) et membre du syndicat Snap-FNSP-FSU de la Fondation nationale des sciences politiques.

Il codirige l'Année sociale, revue annuelle des éditions Syllepse, et a écrit de nombreux ouvrages de référence sur le syndicalisme, dont Le syndicalisme en France depuis 1945 (éd. La Découverte, 2004, 2e édition) et Le syndicalisme en France (Que sais-je ?, éd. PUF, 2005, 5e édition).

Auteur

  • Christelle Fleury