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Construire un «New Deal» à la française

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 09.05.2006 | Christelle Fleury

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Construire un «New Deal» à la française

Crédit photo Christelle Fleury

Le modèle social français existe toujours mais il est fondé sur un environnement économique qui a, lui, évolué. Pour construire un «New Deal» à la française, la priorité consiste à sécuriser les carrières et à stimuler l'employabilité, plutôt qu'à augmenter la flexibilité.

E & C : Alors que la France doute de ses capacités à donner un emploi aux jeunes, à financer les retraites des seniors et à maintenir un système d'assurance maladie pour tous, vous affirmez que le modèle social français existe toujours. En quoi consiste-t-il aujourd'hui ?

Thierry Pech : L'expression «modèle social français» est une manière très générale de nommer un ensemble de spécificités dans l'organisation de notre pays. Parmi elles, les institutions de l'assurance sociale contre les aléas de l'existence, comme le risque vieillesse ou le risque maladie, et une certaine politique de l'emploi, qui a d'ailleurs évolué au fil des années. Ce modèle s'est construit, pour l'essentiel, entre 1945 et 1970, à une période de taux de croissance soutenus, de plein emploi durable et de carrières professionnelles sédentaires et linéaires. On comptait aussi avec la pérennité d'un appareil productif de type industriel, caractérisé par de grandes entreprises verticales et intégrées qui étaient de véritables lieux de socialisation.

Nous ne sommes plus dans cette situation aujourd'hui, parce que les taux de croissance sont plus faibles, que le chômage oscille, depuis vingt ans, entre 8 % et 12 % et que les carrières professionnelles ont un profil plus accidenté. De plus, nous sommes passés à une économie de type post-industriel, avec des unités de production plus petites qu'autrefois, dont la stratégie de développement repose en grande partie sur la capacité d'innovation et le type de relations qu'elles tissent avec les autres entreprises.

E & C : Pour faire face à ces évolutions, la solution est-elle le recours à une plus grande flexibilité ?

T. P. : La plus grande partie des salariés travaillent dans un environnement plutôt sécurisé (en stock, environ 90 % des salariés sont en CDI). Mais la flexibilité est déjà presque maximale pour les emplois peu ou pas qualifiés : depuis vingt ans, les formes de contrat précaire se sont multipliées (CDD, intérim, intermittents, etc.) et les politiques d'exonérations fiscales des divers gouvernements vont dans le même sens. Pour ces groupes, la question n'est donc pas d'augmenter la flexibilité mais de créer un modèle social qui partage de façon plus équitable les risques et les richesses.

Les pays scandinaves proposent une alternative au «modèle» anglo-saxon - qui n'est, en fait, que le résultat de ce qui se passe quand on ne fait rien ou quand on se contente de démanteler les sécurités existantes. Dans ces pays, la politique de l'emploi ne s'occupe pas que de l'indemnisation des chômeurs mais aussi de renouveler le capital d'employabilité des individus, par la formation, l'accompagnement individuel, etc.

En France, l'effort budgétaire par chômeur est une fois et demie moindre que celui du Danemark. Certes, l'ensemble de la dépense publique française pour l'emploi représente une part du PIB proche de celle du Danemark. Mais il existe donc des zones d'élasticité pour faire plus et mieux. Faire plus, cela signifie augmenter l'effort par chômeur. Faire mieux, c'est travailler sur les institutions de la politique de l'emploi et réformer le système d'éducation.

E & C : Quel rôle les entreprises ont-elles à jouer dans la construction de ce nouveau modèle social ?

T. P. : Elles jouent un rôle financier, bien évidemment. Mais elles peuvent aussi jouer un rôle collectif, à travers leurs organisations représentatives : elles disposent d'ailleurs d'un pouvoir d'initiative et de proposition qu'elles n'exercent pas assez, à mon avis. Les entreprises ont également un devoir d'intégration sociale. Je ne comprends pas pourquoi elles se représentent les jeunes publics uniquement comme un risque, alors qu'ils sont plutôt plus formés que les anciens et coûtent moins cher. Ils apportent à l'entreprise des idées, des facilités face aux nouvelles techniques, des envies, etc. Il est temps que l'entreprise les regarde comme une chance et les forme au monde du travail.

Bien sûr, il existe aussi un problème de l'emploi des plus de 55 ans. Aux entreprises de plus de 50 salariés d'anticiper sur leurs pyramides des âges et d'adapter les postes de façon à valoriser le capital d'expérience des plus de 50 ans. Les échéances électorales de 2007 doivent être l'occasion de débattre sur ces grandes orientations de la solidarité au XXIe siècle.

Faut-il brûler le modèle social français ?, Dominique Méda et Alain Lefebvre, Seuil, 2006.

L'inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Marie Duru-Bellat, Seuil, 2006.

L'égalité des possibles, la nouvelle société française, Eric Maurin, Seuil, 2002.

parcours

Normalien, Thierry Pech a d'abord enseigné les lettres à Paris-10. Au milieu des années 1990, il a été secrétaire général adjoint de l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ).

Il a travaillé avec Nicole Notat pour la CFDT, où il était en charge des relations entre l'organisation syndicale et les experts et intellectuels.

En 2002, il crée, avec Pierre Rosanvallon, la République des Idées, un think tank qui participe aux débats de société à travers des conférences et des publications.

Il est le coauteur, avec Marc-Olivier Padis, des Multinationales du coeur. Les ONG, la politique et le marché (Seuil, 2004). Il vient également de diriger La Nouvelle critique sociale (Seuil, 2006).

Auteur

  • Christelle Fleury