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Les Pratiques

Bataille judiciaire chez IBM sur la mesure du stress

Les Pratiques | Expériences & Outils | publié le : 02.05.2006 | Guillaume Le Nagard

S'appuyant sur une enquête d'évaluation du stress aux résultats préoccupants, réalisée par les médecins d'IBM, le CHSCT de Paris Est a voté une expertise externe, refusée et attaquée devant les juges par la direction.

Chez IBM, la question du stress a fini par tourner au vinaigre judiciaire. Le dossier, porté devant le tribunal de Bobigny en 2004, est en appel, depuis, devant le TGI de Paris. La direction et les syndicats, à couteaux tirés, bataillent autour des expertises, de leur légitimité et de leur validité. Dernier épisode en date, la restitution, le 24 avril, aux CHSCT, des résultats d'une enquête interne, menée à l'initiative de la direction, auprès d'un service marketing software, et les pistes évoquées en matière de formation à la détection et à la gestion du stress. Ni les résultats, ni les solutions n'ont convaincu les représentants des salariés, selon une source syndicale.

44 % de salariés atteints

Toute l'affaire commence en septembre 2003, avec la restitution aux CHSCT des sites franciliens d'une enquête détonante, menée par les médecins du travail de l'entreprise, auprès de 900 salariés (8 % de l'effectif) : 44 % des salariés, évalués sur le modèle de Karasek*, étaient stressés (la moyenne est d'environ 25 % en France). Ils se situaient, sur l'échelle EVA, recommandée par l'OMS et allant de 1 à 10, sur des niveaux allant de 6 à 10. Mais, en outre, 3 % étaient au niveau maximum, celui du burn-out, de l'épuisement ou de la dépression grave.

« Nous avons pu mesurer l'ampleur du problème, indique Marie-Claude Picard, déléguée CFDT et secrétaire du CHSCT. Le CHSCT de Paris Est a demandé, en mars, une expertise extérieure indépendante pour analyser les causes de ce stress et s'est adressé au cabinet Cyndex. » Récusant l'existence d'un risque grave, la validité de l'étude des médecins du travail, « résultat de questionnaires d'autoévaluation » et contestant la nécessité, la durée et le coût de l'expertise, la direction assigne alors le CHSCT en référé au tribunal de Bobigny pour faire annuler la délibération demandant cette enquête externe.

Le 7 décembre 2004, le tribunal rend « un jugement de Salomon », selon Marie-Claude Picard : il donne gain de cause à IBM en invalidant le recours à une expertise externe, mais en précisant que « la direction ne peut nier l'existence du risque grave lié aux maladies du stress ». La CFDT a fait appel. Entretemps, la direction a mis en place un groupe pilote. Il est constitué d'une douzaine de personnes, dont des cadres, les secrétaires des CHSCT d'Orléans et de La Défense, et deux médecins du travail, sur la demi-douzaine que compte l'entreprise. L'étude porte sur un service marketing software d'une quarantaine de salariés ; ses résultats viennent donc d'être rendus, peu avant le jugement en appel.

De son côté, le CHSCT de Montpellier avait préféré une autre voie. « Nous ne sommes pas allés au conflit sur une demande de mission externe, indique, en effet, Michel Perraud, alors délégué syndical CFDT (aujourd'hui CGT). Nous avons réalisé une enquête en interne, en préparant les questionnaires avec l'inspection du travail et la Cram. » Résultat, une confirmation de l'enquête des médecins du travail : sur 1 000 salariés actifs, 66 % de personnes stressées. Une partie de questions ouvertes ajoute au document des médecins des pistes sur les causes ressenties de ce stress. « Toutes les réponses mettaient en cause la gestion des ressources humaines, le comportement de l'encadrement et l'individualisation de la GRH », précise Michel Perraud.

Système de gestion mis en cause

Les deux piliers du système de gestion d'IBM sont montrés du doigt par les syndicats. Il s'agit du taux d'utilisation des salariés et de la notation des personnes. Depuis 2001, les salariés doivent autoévaluer leur productivité, avec un outil de reporting qui ferait grandement croître le stress dans l'entreprise, selon les syndicats. « L'entreprise détermine un taux d'utilisation des salariés, ce qui génère de l'angoisse, indique Marie-Claude Picard. D'autant plus qu'ils ne sont pas maîtres de leur environnement. S'ils sont formateurs sur un produit en fin de vie, par exemple, le taux d'utilisation sera faible. La formation ne fait pas partie du temps productif. Quant aux syndicalistes, avec leurs heures de délégation non prises en compte, ils ont toujours un taux d'utilisation parmi les plus faibles. »

Notation dénoncée

Ce classement par taux d'utilisation est croisé avec la notation, instaurée en 2001. L'évaluation des salariés sur une échelle de 1 à 4 (sur une échelle à cinq niveaux, avec un 2 +) est dénoncée depuis longtemps par les syndicats, d'autant que les managers évaluent les salariés, non pas dans l'absolu, mais en fonction des résultats des autres membres de l'équipe et en utilisant des quotas par niveaux. Ces deux mesures interviennent, en outre, dans la politique salariale, « alors que les augmentations collectives sont bloquées depuis 1986 », ajoutent les syndicats.

Le TGI de Paris devrait rendre son jugement sur l'expertise indépendante après les vacances d'été. La direction n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

* Modèle retenu par l'Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao. Analyse du déséquilibre entre les tâches prescrites à un salarié et les ressources disponibles pour y faire face (surcharge, défaillance de l'organisaton, relations de travail dégradées, environnement physique, socio-économique...).

Auteur

  • Guillaume Le Nagard