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Confronter les cultures pour sortir les jeunes du chômage

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 02.05.2006 | Gina de Rosa

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Confronter les cultures pour sortir les jeunes du chômage

Crédit photo Gina de Rosa

Selon qu'un jeune est au chômage en France, en Italie ou en Finlande, les solutions apportées pour son intégration dans l'emploi vont surtout dépendre de la représentation culturelle que la société se fait de lui.

E & C : Un des constats de votre thèse* est que les politiques d'intégration des jeunes dans l'emploi, en France, sont similaires depuis les années 1970. Pourquoi ce manque d'innovation ?

Pascale de Rozario : Ce n'est pas un manque d'innovation. C'est, je pense, lié aux représentations culturelles que les institutions et, en général, la société française, portent sur les jeunes. La politique en place a deux principaux axes : baisser le coût d'un jeune au travail - exonérations des charges sociales patronales, primes à l'embauche, etc. Le second axe cherche à augmenter l'attractivité des jeunes par leur formation - formation professionnelle et formation par alternance. Cette manière de traiter la question de mieux intégrer les jeunes générations est une dominante de la culture institutionnelle française. C'est également lié à des calculs macroéconomiques où l'on pense qu'il y a un lien direct entre le niveau de formation ou d'éducation, le taux d'embauche et la performance économique des entreprises. C'est un modèle dont on a montré les limites, mais qui perdure.

E & C : Quelles sont les solutions apportées en Italie ?

P. d. R. : En Italie, l'intégration des jeunes passe beaucoup par l'idée qu'ils doivent créer leur propre activité économique avec l'aide d'un réseau. Les banques, l'Etat, les régions, etc. financent et aident la création d'activités et d'entreprises par les jeunes sur un territoire. C'est une mesure de la politique d'emploi. J'ai eu l'occasion de visiter, par exemple, une entreprise de fabrication d'icônes, où les salariés sont des jeunes mais aussi des handicapés. Des profils de salariés très différents. La performance au travail n'est pas la première valeur ici. Ce qui compte, c'est de suffisamment vendre pour s'autofinancer et dégager du bénéfice... et surtout de «faire société ensemble» (fare comunità). Dans ce contexte, s'intégrer ne dépend pas de la formation ou du niveau de diplôme mais du fait d'être dans un réseau qui aide et soutien l'activité économique.

En France, on se représente plutôt les jeunes comme des individus immatures, devant être accompagnés pour devenir compétents. On n'imagine pas qu'une personne de moins de 20 ans soit capable de créer quelque chose comme un adulte compétent. Pourtant, on leur demande très tôt un projet professionnel précis, pratique, qui n'a pas de sens en Italie ni en Finlande.

E & C : Que devraient faire les entreprises pour mettre les jeunes en confiance ?

P. d. R. : Nous restons un peu trop centrés sur les mesures publiques d'Etat alors que les entreprises font beaucoup de choses, souvent peu diffusées : le bâtiment, les Compagnons du Tour de France, les petites structures... Certains patrons considèrent personnellement qu'ils ont quelque chose à faire pour les jeunes. Ils leur montrent le côté positif du travail et, surtout, comment comprendre les règles du jeu et la culture du métier ou de l'entreprise. Par exemple, la ponctualité, être bien habillé, porter une cravate... n'est pas toujours nécessaire ni jugé de la même manière par les secteurs professionnels et les employeurs. Des petites structures et supermarchés recrutent des jeunes en fonction de leur clientèle : le critère central de recrutement repose sur leur capacité à comprendre et à bien communiquer avec les clients.

Les mondes professionnels sont souvent homogènes et tolèrent peu les différences de codes vestimentaires, de comportements. Tout cela s'apprend... dans le monde du travail et nécessite des explications, car certains codes viennent des coutumes, et on a oublié à quoi ils servent vraiment aujourd'hui. Dans ce cas, les stratégies sont à la fois commerciales et sociales, car cette démarche est souvent liée à la personnalité du dirigeant. Ce mélange de business et d'insertion n'est pas toujours bien vu en France ou en Finlande ; il semble en revanche central pour donner une chance d'intégration aux jeunes en Italie.

E & C : Comment la Finlande cherche-t-elle à intégrer ses jeunes chômeurs ?

P. d. R. : En Finlande, l'insertion se fait par le biais d'ateliers de travail, les «workshops». L'accent est mis sur la conscience des valeurs de la société finlandaise : respect de l'environnement et de la nature, responsabilité individuelle face à la société... En comparant avec la France et l'Italie, ce n'est pas la qualification ou la compétence qui comptent le plus, ni le fait d'être dans le bon réseau et la bonne communauté, mais plutôt l'engagement qu'une personne prend et ses décisions.

En Finlande, le recrutement des jeunes dépend beaucoup des syndicats : le gouvernement est tripartite. Rien ne se décide en termes de diplômes ou de mesures sur l'emploi sans l'avis des partenaires sociaux. Comme les Luxembourgeois, les Finlandais trouvent ce système trop long mais, une fois qu'une mesure est décidée, elle s'applique. Avec l'entrée dans l'Europe en 1995, le ministère du Travail a découvert les aides du Fonds social européen (FSE) et, en même temps, pris conscience de l'ampleur du chômage des jeunes. Le pays a décidé de réformer les politiques publiques d'aide, en réduisant l'endettement de l'Etat. Le service public est pensé comme coproduit et il faut y faire participer les bénéficiaires dès sa conception. D'ailleurs, au terme de bénéficiaire, on préfère celui de «stakeholder» (partie prenante). Peut-on imaginer, en France, des jeunes codécider le contenu des mesures d'emploi qui les concerneront ? Nous sommes plus centrés sur la représentation des intérêts de manière organisée, ce qui répond à une autre culture de la participation.

En fait, chaque pays a une vision différente de la manière de gérer le chômage des jeunes. Il est nécessaire de confronter ces visions. La France a, elle aussi, des réalisations à exporter, comme, notamment, ses référentiels de compétences, la VAE, le service des missions locales..., approches qui intéressent particulièrement les partenaires étrangers.

* «Le mandat d'intégrer les jeunes en France, en Italie et en Finlande».

Le tiers-monde qui réussit, Philippe d'Iribarne, éd. Odile Jacob, 2003.

L'immaturité de la vie adulte, Jean-Pierre Boutinet, éd. PUF, 1998.

Sociologie de la jeunesse, l'entrée dans la vie, Olivier Galland, éd. Armand Colin, 1991.

Parcours

Pascale de Rozario est, depuis trois ans, responsable des diplômes homologués (RNCP) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), et expert pour la Commission européenne sur la lisibilité et la transparence des diplômes et titres professionnels européens (2000-2002). Elle est responsable de projets européens (Leonardo da Vinci) au Cnam, portant sur les cultures de l'insertion des jeunes en France, Italie et Finlande, la validation des acquis professionnels, la mobilité européenne et les conditions de lisibilité des compétences et des parcours.

Elle est également enseignante à la chaire de formation des adultes du Cnam.

Elle a publié, notamment, VAP et entreprises, enjeux et défis européens (3 vol., éd. Cnam, 2005).

Auteur

  • Gina de Rosa