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La diversité répondà une demande d'équité

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 18.04.2006 | Violette Queuniet

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La diversité répondà une demande d'équité

Crédit photo Violette Queuniet

Pour lutter contre les discriminations, il convient de développer des instruments d'objectivation du recrutement et du déroulement de carrière : testing, mesure, tests professionnels. Progresser dans l'équité des procédures est un facteur de cohésion sociale et ferme la porte à la discrimination positive.

E & C : De nouveaux moyens de lutte contre les discriminations viennent d'être mis en place avec la loi sur l'égalité des chances (CV anonyme, légalisation du testing, renforcement des moyens de répression de la Haute autorité de lutte contre les discriminations). Sont-ils de nature à améliorer la diversité dans les entreprises ?

Jean-François Amadieu : Cela va dans le bon sens, mais des difficultés surgissent sur la mise en application de ces moyens. Deux problèmes se posent à propos du CV anonyme - que j'ai préconisé. Le premier, c'est qu'il n'y a pas eu aménagement des autres étapes de recrutement. Les candidats vont se présenter aux entretiens, mode de recrutement extrêmement discriminant, et seront discriminés à ce stade. Deuxième problème : celui des entreprises de moins de 50 personnes, qui ne sont pas concernées par la loi sur le CV anonyme. Or, c'est dans les petites entreprises qu'on discrimine le plus, comme j'ai pu le constater lors de testings. Par ailleurs, on est en train de voir émerger de plus en plus de marchés parallèles sur le recrutement. A côté de systèmes «d'anonymation» de CV qui vont se mettre en place, on trouve des systèmes de sourcing dédiés, tel <www. diversite-emploi.com> conçu avec l'ANPE, Monster et des associations. Il s'agit là d'une approche communautaire du problème : les entreprises cherchent délibérément sur ce type de site des personnes ayant telle caractéristique - en l'occurrence, appartenir à une minorité visible -, un peu comme cela se fait déjà pour le handicap. Et puis, il y aura toujours les envois de CV papier et non anonymes, parce que l'effet réseau dans le recrutement est puissant. Dans cette évolution du marché, l'égalité de traitement est mise à mal.

E & C : Que préconisez-vous pour y remédier ?

J.-F. A. : Les partenaires sociaux, dans le cadre de la négociation interprofessionnelle dont les travaux vont démarrer en juin, peuvent jouer un rôle important pour arriver à faire évoluer l'ensemble des techniques de recrutement des entreprises par une série d'accords : mettre davantage l'accent sur les techniques objectivant le recrutement tels que les tests de mise en situation professionnelle. D'autre part, la sensibilisation des PME pourrait se faire au niveau des branches professionnelles et des observatoires dont elles sont dotées. Les observatoires pourraient très bien élaborer des guides de bonnes pratiques, mesurer la diversité, faire évoluer les pratiques. Les partenaires sociaux seraient là tout à fait dans leur rôle, car ce n'est pas le législateur qui pourra intervenir pour les PME. Les chartes de la diversité ont déjà été déclinées en régions. Elles pourraient être signées également au niveau d'une branche.

D'autre part, je pense qu'il faut développer les systèmes de mesure. La mesure de la discrimination peut se faire par le testing ou par l'approche statistique, par exemple à partir des prénoms des individus dans un échantillon de candidats à l'embauche ou dans un échantillon de salariés pour étudier leur déroulement de carrière. Je rappelle que cette approche est en conformité avec la Cnil, notamment en utilisant le prénom des individus. Cette approche a également le mérite de fermer la porte à la discrimination positive et aux politiques de quota.

E & C : Beaucoup d'entreprises se sont emparées du thème de la diversité. Qu'est-ce qui les motive le plus : les menaces juridiques ou l'impact sur leur image ?

J.-F. A. : Je pense que c'est davantage la recherche d'une bonne image que les menaces de sanction. Dans le management, il y a toujours des phénomènes de mode. Les grandes firmes ne veulent pas être en retard. Quand il y a une forte demande sociale sur un sujet, les entreprises sont tenues de se positionner dessus. Le risque juridique n'est pas le moteur principal, et il est d'ailleurs sous-estimé. En effet, si l'on appliquait en matière de discrimination de groupes d'individus (minorités, femmes, etc.) la jurisprudence utilisée en matière de discrimination syndicale avec la reconstitution de carrière, le coût serait astronomique pour les entreprises.

E & C : La promotion de la diversité peut-elle avoir un impact sur le climat social de l'entreprise ?

J.-F. A. : Absolument. Derrière la demande de diversité, il y a une demande d'équité. Plus que par le passé, les gens souhaitent qu'il y ait une équité procédurale. C'est-à-dire que les décisions qui sont prises à leur sujet - dans la manière d'être recruté, d'être promu ou pas - soient équitables. Chaque fois qu'une entreprise progresse sur le terrain de la clarification de la prise de décision - règles du recrutement, de la promotion, des augmentations de salaire -, elle améliore beaucoup le climat social, et les gens y sont très sensibles. Encore faut-il ne pas avoir la maladresse de laisser des gens au bord de la route, de se préoccuper seulement que des minorités visibles. Les discriminations sont nombreuses et concernent tout le monde - personnes handicapées, mères de famille n'arrivant pas à trouver un emploi, seniors, obèses, etc. L'inégalité des chances demeure une réalité pour tous dans la France d'aujourd'hui. Pratiquer la discrimination positive sur une seule minorité serait contre-productif et ne résoudrait pas le problème plus vaste des inégalités sociales.

La discrimination positive, Gwénaële Calvès, PUF, coll. Que sais-je ?, 2004.

Le ghetto français - enquête sur le séparatisme social, Eric Morin, Seuil, 2004.

Le sens des valeurs, Raymond Boudon, PUF, coll. Quadrige, 1999.

parcours

Jean-François Amadieu enseigne la sociologie et la gestion des ressources humaines à l'université Paris-1. Il est directeur de l'Observatoire des discriminations et membre du Comité consultatif de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).

Il est l'auteur, chez Odile Jacob, des ouvrages Le poids des apparences (2002) et Les clés du destin (2006).

Auteur

  • Violette Queuniet