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Les Pratiques

Deux cents années de conciliations

Les Pratiques | Expériences & Outils | publié le : 11.04.2006 | L. P.

Les conseillers prud'homaux de Lyon célèbrent actuellement le bicentenaire de la création de leur juridiction, à l'origine des 270 conseils de prud'hommes de France.

C'est un décret pris par Napoléon Bonaparte qui donne naissance, le 18 mars 1806, à la première juridiction professionnelle des conflits du travail : à Lyon, et uniquement pour la soierie. Ce premier conseil de prud'hommes a aussi pour mission de traiter des conflits de concurrence et de servir de bureau des plaintes pour les litiges entre donneurs d'ordres et sous-traitants. A cette époque, l'activité de la soierie s'organise, en effet, autour de trois catégories d'acteurs : les négociants fabricants (qui conçoivent les collections), les chefs d'atelier, qui sont leurs prestataires, et la main-d'oeuvre des compagnons et apprentis.

Propriété intellectuelle

Les premiers conseillers ont, ainsi, plusieurs casquettes : juges des «petits différends» du travail, ils sont aussi les garants de la propriété intellectuelle, car le conseil archive les dessins des fabricants. Le décret leur reconnaît enfin un droit d'instruction judiciaire dans les affaires de vol. L'historien du CNRS Pierre Vernus explique que les prud'hommes sont une invention des soyeux et de la chambre de commerce « pour remédier au vide juridique de la loi Le Chapelier de 1791, en matière de fraude et de contrôle de la main-d'oeuvre. En supprimant les corporations, cette loi avait aussi supprimé leurs structures de régulation ».

Le conseil a d'abord été une juridiction de notables bénévoles, hébergée à l'hôtel de ville. Dans les conflits du travail, c'était déjà la voie de la conciliation qui était proposée aux parties, préalablement au jugement. La procédure était également peu formaliste. Au XIXe siècle, 98 % des litiges se concluaient par une conciliation, parfois faite le jour même de la plainte.

Rôle immédiat de régulation sociale

Le conseil lyonnais aurait rempli, d'emblée, sa fonction de régulation sociale. Selon Pierre Vernus, « le nombre des recours est passé de 407, la première année, à plus d'un millier en 1810 », alors que d'autres juridictions sont créées dans la région de Lyon et à Saint-Etienne. Les prud'hommes lyonnais seront aussi au coeur de la première grande insurrection sociale du XIXe siècle. En 1831, la révolte des canuts est partie d'un engagement non tenu du conseil. Celui-ci devait garantir un tarif minimum pour les prestations des chefs d'atelier, mais il avait été désavoué par les grands marchands et par le gouvernement.

La juridiction lyonnaise est, aujourd'hui, la deuxième de France. Elle compte 244 conseillers et 36 fonctionnaires pour traiter un stock de 6 500 affaires. Comme au niveau national, depuis deux ans, la proportion des conflits pour discrimination et pour harcèlement est en forte augmentation. Une récente étude du ministère de la Justice sur les évolutions du contentieux du travail, en France, entre 1993 et 2004 (1), montre que si le nombre global de demandes a baissé de 7,3 % sur la période, celles-ci portent désormais principalement sur le motif personnel du licenciement, et vont plus souvent en appel (hausse de 35 % sur la période), voire en cassation (+31,3%).

Hausse des demandes chez les cadres

Le délai moyen d'attente d'un jugement est de treize mois. Ou deux ans si le juge départiteur doit intervenir, faute d'accord entre les conseillers, ce qui se produit une fois sur cinq. En outre, l'attente varie selon les sections : entre onze mois pour l'industrie et quinze mois pour l'encadrement. En cause : la hausse des demandes déposées par les cadres, mais aussi les différences de culture. « Dans l'industrie, les conseillers employeurs sont souvent des DRH habitués à discuter avec les syndicats, souligne Bernard Augier, président (CGT) de la juridiction. Ce n'est pas le cas du commerce, alors que cette section totalise le plus grand nombre d'affaires. »

Transactions

Le conseil lyonnais réalise près de 16 % de conciliations. « Quelle juridiction civile peut se prévaloir d'un tel taux ?, se félicite Joseph Aguera, avocat patronal. Pour autant, la conciliation n'est pas l'alpha et l'omega des conflits du travail : la transaction peut venir après l'audience de conciliation. » A Lyon, le président du tribunal estime que « 48 % des affaires non conciliées «disparaissent» avant la procédure de jugement ».

(1) Le droit du travail en perspectives contentieuses 1993-2004, ministère de la Justice, novembre 2005.

Chronologie

1806 : la loi du 18 mars crée le conseil de prud'hommes de Lyon pour la soierie. L'article 34, de portée générale, stipule que le gouvernement peut créer des conseils partout où il le juge nécessaire.

1831 et 1834 : révoltes des canuts.

1848 : nouveau mode d'élection : les ouvriers élisent les conseillers parmi la liste proposée par les patrons, et inversement.

1905 : la loi du 15 juillet généralise l'institution et organise la juridiction d'appel.

1907 : les femmes deviennent électrices aux prud'hommes. Elles seront éligibles à partir de 1908.

1924 : incorporation de la législation des conseils des prud'hommes au Code du travail.

1979 : généralisation territoriale et professionnelle des conseils de prud'hommes.

1982 : la loi du 6 mai définit le statut actuel des conseillers.

Auteur

  • L. P.