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La relation école-entreprise crée un nouveau «capital social»

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 04.04.2006 | Pauline Rabilloux

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La relation école-entreprise crée un nouveau «capital social»

Crédit photo Pauline Rabilloux

Le niveau d'études augmente et, malgré le phénomène de déclassement lié à l'inflation des diplômes et à la pénurie d'emplois, les relations sociales héritées de la famille ne suffisent plus pour accéder à son premier emploi. Le travail de collaboration des établissements scolaires et universitaires avec le monde professionnel prend ici tout son sens.

E & C : Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le «capital social», et dans quel sens faites-vous évoluer cette notion ?

Marc Lecoutre : Originellement, le capital social est le carnet d'adresses, c'est-à-dire l'ensemble des ressources mobilisables par une personne au fil de son parcours social, qu'il s'agisse de trouver un emploi, un appartement, un médecin..., mais aussi d'exercer un pouvoir.

Chez Bourdieu, le terme désigne plus spécifiquement un ensemble de ressources individuelles, qui nécessite un travail d'investissement, d'où le terme «capital». Mais la particularité du capital social est qu'il n'existe que parce que vous avez des relations avec d'autres au sein d'un groupe. Le capital social est une production collective dont l'usage est individuel. Une partie est, bien sûr, héritée du milieu familial, mais, au-delà, l'individu s'inscrit dans des organisations qui lui donnent ou non accès à du capital social. L'école en fait partie. Elle est encastrée dans un fonctionnement social qui l'englobe au-delà du seul projet formation. A côté de l'intérêt académique de l'enseignement, ce capital social collectif peut ainsi constituer une part non négligeable de l'attractivité d'un cursus. Cette ressource, construite à partir des contacts que les membres de l'institution scolaire entretiennent avec le monde professionnel, peut être délibérément recherchée et cultivée par l'école. Elle permet alors des phénomènes de compensation pour les jeunes les moins bien dotés en capital social familial au moment d'entrer sur le marché de l'emploi.

E & C : Concrètement, à quoi sert ce capital social d'un genre nouveau ?

M. L. : On peut distinguer trois modalités d'entrée sur le marché du travail. Le recours à ces canaux relationnels construits par l'institution scolaire - responsables, intervenants, tuteurs, stages... - ; le recours à des canaux relationnels propres aux élèves - amicaux ou familiaux - ; enfin, le recours à des canaux médiatisés et impersonnels comme les centres d'information, les institutions, les annonces presse, etc.

Toutes ces ressources sociales que l'individu accumule au fil de son histoire peuvent se combiner. Le capital social de l'école se révèle alors très important pour un premier emploi, quand le jeune ne dispose pas encore de relations professionnelles. Pour ceux issus de milieux peu favorisés, c'est un maillon décisif. Les canaux institutionnels, moins efficaces, constituent souvent le dernier recours, quand le capital social personnel ou collectif fait défaut.

E & C : Le capital familial ne compte-t-il plus ou compte-t-il moins aujourd'hui ?

M. L. : Il compte, certainement, pour les catégories sociales les plus élevées. Mais pour les autres, on peut risquer l'hypothèse de la baisse de l'efficacité du capital familial pour l'accès au premier emploi. Alors que la professionnalisation croissante du système de formation offre l'opportunité d'une augmentation du poids de son capital social dans l'accès au marché du travail, le fait que le niveau de formation atteint par les jeunes aujourd'hui soit nettement supérieur à celui qu'ils atteignaient il y a seulement dix ou quinze ans accroît l'écart entre le milieu social d'origine et le milieu social potentiel auquel ils peuvent prétendre accéder en fonction de leur niveau d'études. Cela vaut particulièrement pour les familles de niveau moyen ou modeste. Pour elles, on peut donc s'attendre à un affaiblissement du rôle des ressources relationnelles familiales à la sortie de l'école. Non seulement celles-ci devraient être moins souvent sollicitées, mais, si elles le sont, elles devraient être source d'un déclassement potentiel.

En revanche, aujourd'hui, la sociabilité lors de la période de jeunesse est particulièrement intense, le comportement des jeunes de milieux aisés se diffuse à tous. Cela permet de tempérer le pessimisme auquel conduiraient les études de sociabilité constatant les différences persistantes entres groupes sociaux. Ainsi, les ressources offertes par le milieu éducatif peuvent gagner en pertinence et en efficacité par rapport à celles héritées, ce qui représente une petite révolution sociale et constitue, à soi seul, une justification des efforts faits par les écoles pour être en prise sur le monde professionnel. Une coopération bien comprise doit cependant être à double sens. L'école a toujours son rôle strictement civique et éducatif, et ne peut être un simple réservoir de salariés pour les entreprises. Ces dernières, bien souvent incapables de dire quels seront leurs besoins spécifiques de main-d'oeuvre dans quelques années, doivent, à leur tour, mieux comprendre l'école pour réfléchir en commun sur les enjeux des évolutions des métiers et des compétences à moyen terme.

La propension des choses, François Jullien, Seuil, 1992.

La méthode, T6 éthique, Edgar Morin, Seuil, 2004.

Street Corner Society. The Social Structure of an Italian Slum, William Foote Whyte, University of Chicago Press, [1943] 1993, 4th ed.

Marc Lecoutre, diplômé en économie et docteur en sociologie, est professeur de sociologie et management au Groupe ESC Clermont Graduate School of Management, et chercheur associé au Lise-Cnam (Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique).

Il a été chercheur au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), où il a réalisé de nombreuses études sur les parcours professionnels, les politiques publiques de formation professionnelle et l'usage de la formation en entreprise.

Il participe à la préparation d'un ouvrage collectif sur le thème du pilotage des activités à projet.

Auteur

  • Pauline Rabilloux