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Prevenir ou seulement guerir ?

Enquête | publié le : 28.03.2006 | Guillaume Le Nagard

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Prevenir ou seulement guerir ?

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Alors que le coût du stress est de mieux en mieux évalué, les entreprises proposent parfois du coaching, des massages, des services aux salariés, dans une approche individualisée du stress. Certaines, plus ambitieuses, privilégient une démarche globale, avec les spécialistes de la prévention des risques, qui peut remettre en cause l'organisation du travail ou le management.

L'épidémie est discrète mais fait des ravages, et ne cesse d'évoluer : 29 % des salariés européens déclarent souffrir de stress au travail, selon la Fondation de Dublin. Et si le chiffre est resté stable entre les enquêtes de 1995 et 2000, cet organisme tripartite qui ausculte les conditions de travail dans l'UE souligne, dans son rapport de mars 2005, que les problèmes de santé dus au stress sont, eux, en augmentation (enquête sur sept pays).

Car, si le stress n'est pas une maladie, ses effets, dès lors qu'il devient chronique, sont destructeurs (lire p. 16). Selon l'université de Bourgogne, les pathologies dues au stress, en France, coûteraient 413 millions d'euros en soins et 279 millions d'euros en absentéisme. Comment faire face, et qui doit réagir ? Ce qui prend les proportions d'un sérieux problème de santé publique est-il pour autant de la responsabilité des entreprises ? Ces questions ouvrent le débat toujours vif des causes du stress ; lequel oppose les organisations de salariés et le patronat européen, et notamment français.

Responsabilité

« Le stress devrait être considéré comme une condition de travail, résume Bernard Salengro, chargé du dossier à la CFE-CGC (lire p. 23). Le patronat se contente de répondre : on va repérer les gens fragiles. » Les deux camps ont leurs arguments : les syndicats veulent que l'entreprise, souvent défaillante dans l'organisation du travail, la qualité du management, les pratiques d'évaluation, le partage de l'information..., soit reconnue comme responsable du stress au travail.

Approche individuelle

Les employeurs rétorquent que le stress est multifactoriel, peut être en partie importé dans les bureaux et les ateliers, dépend de causes contextuelles (mondialisation et concurrence des pays émergents, chômage...), et qu'il ne faut pas charger la seule barque de l'entreprise. Ce qui permet, également, de conserver aussi éloignée que possible la perspective d'une inscription du stress, ou de ses effets, en maladie professionnelle. Cela aurait, en matière de financement, de tout autres conséquences pour les entreprises.

L'accord européen d'octobre 2004 sur le stress traduit cette controverse, en considérant que l'environnement de travail en est bien responsable, mais en insistant ensuite sur l'approche individuelle de la gestion de ce phénomène. Certaines entreprises n'ont d'ailleurs pas attendu ce document, qui ne prévoit pas de sanctions et n'est pas encore décliné en France, pour mettre en place des solutions privilégiant l'approche individuelle : on propose aux collaborateurs du coaching spécialisé, de la formation à la gestion du stress, des massages sur le lieu de travail et tout une gamme de services aux salariés.

Contrôle des absences

La démarche correspond, en effet, à la conception d'un symptôme individuel, dépendant de la résistance de chacun au changement, d'une capacité personnelle à faire face, que l'on peut chercher à accroître ou à soutenir. Dans les pays anglo-saxons, notamment en Grande-Bretagne, cette approche se concrétise dans certaines grandes entreprises par un contrôle et une évaluation des absences, réalisés en partenariat entre la DRH, le service de santé de l'entreprise et, parfois, un partenaire spécialisé qui gère une plate-forme d'appels aux salariés absents (lire p. 16).

Efficacité à court terme

En France, le cabinet de conseil Mercer HR, par exemple, évalue les chances de succès d'une telle démarche, pour peu que le contexte juridique soit compatible (secret médical, Cnil...). Les promoteurs de cette formule assurent qu'un recueil d'informations auprès des salariés absents permet, ensuite, d'interroger l'organisation et le management de l'entreprise. « La gestion individuelle du stress concerne le plus souvent des gens déjà stressés, qui ont des symptômes, estime Dominique Chouanière, médecin épidémiologiste, responsable du projet risques psychosociaux à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). C'est de la prise en charge plutôt que de la prévention. Cela n'est efficace qu'à court terme, car elle ne traite pas les causes. »

Pour Bernard Salengro, les présupposés de cette approche ne sont pas acceptables : « Arrêtons de sous-entendre en préalable que l'augmentation des arrêts de travail serait due à celle des arrêts de complaisance, tempête-t-il. En France, il y a deux ans, les médecins-conseils ont contrôlé la totalité des arrêts de travail pendant une semaine. Résultats : 6 % d'arrêts de complaisance, alors que le nombre d'arrêts a augmenté de 50 % en cinq ans. Plus généralement, cette approche individuelle du stress ne fait qu'accompagner la tendance générale à l'individualisation des RH - rémunérations, évaluation, voire mise en concurrence, elle-même génératrice de perte de solidarité et de souffrance au travail. »

Individualisation des RH

Le sujet n'est pas simple pour les entreprises, et certains arguments peuvent être entendus, tempère Eric Albert, directeur de l'Institut français d'action contre le stress (Ifas), l'une des premières sociétés de conseil dans ce domaine. « Il existe des causes contextuelles : la mondialisation, le chômage, qui ne dépendent pas d'une entreprise. Mais, nous avons constaté, lors de multiples enquêtes, que l'instance régulatrice du stress dans l'entreprise était le management, y compris à organisation du travail identique. » Pour l'Ifas, la perception qu'ont les collaborateurs du management est déterminante, notamment sur les axes de la juste rétribution, de l'objectivité de l'évaluation et de l'autonomie accordée. « Or, la plupart des managers ne sont évalués que sur leurs résultats et pas du tout sur la façon de les obtenir. »

L'Ifas implante, dans les entreprises qui le lui demandent, un observatoire du stress permettant, avec les médecins du travail, d'évaluer le niveau de stress des salariés (volontaires) au moment de la visite annuelle.

48 000 visites

Renault a été l'une des premières entreprises à en mettre un en place, en 1998. « Plus de 48 000 tests ont été effectués depuis, indique Jean-Jacques Ferchal, chef du département conditions de travail. Nous sommes passés de 27 % de cas de sur-stress en 1998, à 21 % aujourd'hui. » Un accompagnement individuel est proposé aux salariés qui le souhaitent, notamment sous la forme de e-learning («bien comprendre ses émotions» ; «mieux communiquer»...). Mais les managers sont aussi appelés à suivre des formations dédiées à la prévention, du type «mieux comprendre et gérer le stress de l'autre».

En revanche, le groupe ne décline pas de cet observatoire une approche systématique de la prévention collective des risques psychosociaux. « Sur l'organisation du travail et le management, les améliorations passent par les autres canaux que sont l'entretien et le 360° feedback, par exemple », argumente Jean-Jacques Ferchal. Si certains experts considèrent les observatoires comme une réponse partielle, dans la mesure où ils ne servent qu'à identifier des situations de stress, Eric Albert estime que les entreprises peuvent ensuite décliner des solutions plus ou moins volontaristes. Et de mentionner un programme lourd de formation de tous les managers à la détection du stress, qui vient de commencer dans un grand laboratoire pharmaceutique.

Remise en cause de l'organisation

« Notre philosophie d'action ne consiste pas à proposer une approche individuelle des risques psychosociaux, mais à travailler sur les contraintes organisationnelles », explique, a contrario, Dominique Chouanière. La méthodologie élaborée à l'INRS, et portée par un réseau d'experts, notamment au sein des services de prévention des risques des Cram, suppose, de la part de l'entreprise, une acceptation de la remise en cause de son organisation, l'inscription de la démarche dans le cadre du document unique d'évaluation des risques, et l'accord conjoint de la direction et des partenaires sociaux.

Le dispositif fait appel à un comité de pilotage interne à l'entreprise qui fait intervenir des experts externes (Cram ou Aract ou cabinet agréé) pour réaliser le diagnostic des causes du stress dans l'entreprise, et proposer des actions concrètes au sein de chaque service, lesquelles seront mises en place par le comité de pilotage (lire p. 17). Les services des Cram sont de plus en plus sollicités sur le sujet.

Les Aract, qui, comme les Cram, peuvent habiliter les intervenants en prévention des risques, déploient une démarche proche, avec plus d'antériorité. Leur caractère paritaire leur a permis d'intervenir dans des centres d'appels, des établissements bancaires, à France 3 Aquitaine notamment. L'approche consiste à passer des plaintes individuelles à une démarche collective, avec une évaluation des niveaux de stress fondée sur des indicateurs d'alerte, puis une intervention avec des préventeurs externes. « Nous avons beaucoup de demandes, indique Caroline Brun, experte Aract Aquitaine. Et nous formons des médecins du travail sur une partie de la méthode, qui concerne les indicateurs d'alerte. »

C'est dire que si l'épidémie se poursuit, la recherche de traitements et de moyens de prévention semble désormais s'organiser rapidement.

L'essentiel

1 Si le stress, ses pathologies associées et leur coût commencent à être mieux évalués, les démarches de prévention restent rares.

2 Beaucoup d'entreprises préfèrent une prise en charge individuelle (coaching, formation, services aux salariés). Le stress est alors considéré comme propre à chaque individu et à sa capacité à s'adapter, plutôt que lié à l'environnement de travail.

3 Certaines entreprises, aidées notamment par les Cram ou les Aract, utilisent des dispositifs préventifs, dans le cadre du document unique d'évaluation des risques. Dans ce cas, elles peuvent travailler sur les causes organisationnelles et managériales.

Les définitions du stress

Le stress en lui-même n'est pas une maladie. Au travail, il se définit essentiellement comme l'état ressenti par une personne lorsqu'elle perçoit un déséquilibre entre ce qu'on lui demande de faire et les ressources dont elle dispose pour y répondre (surcharge, organisation défaillante, relations de travail dégradées, environnement physique, environnement socio-économique). C'est, globalement, le modèle dit de Karasek, retenu par l'Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao. Un autre modèle, celui de Siegrist, vient parfois le compléter : il prend en compte le déséquilibre entre les efforts déployés et les récompenses obtenues (reconnaissance ou rémunération).

Le stress chronique est pathogène, car il déclenche une activation d'hormones, la mise en tension des muscles, d'éventuelles conduites addictives et peut conduire à des maladies cardio-vasculaires, des troubles musculo-squelettiques, des états anxio-dépressifs.

Les maladies dues au stress ne figurent pas dans le tableau des maladies professionnelles. Quelques cas - une vingtaine de dépressions sévères - ont néanmoins été reconnus en maladie professionnelle, en France.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard