Les managers qui ne jurent que par la logique et l'expertise détestent certains mots : leurs oreilles sifflent rien qu'à entendre «incertitude», «doute» ou «changement». Ils aiment ce qui est rationnel, carré, mesurable, certain. Ils préfèrent que les processus soient sous contrôle. Et ils détestent par-dessus tout douter. Rien de surprenant, car notre système éducatif produit ces façons de penser. Dans les cursus les plus valorisés, ceux qui forment les managers ou les élites de demain, peu de place est réservée à l'étude des comportements, à la psychologie, aux relations humaines. La voie royale reste celle des mathématiques, alors que ces étudiants auront immanquablement des équipes à animer et des projets à mener. A quoi pense-t-on ?
En fait, nous formons des cerveaux empreints de certitudes, arrogants quant à leurs «savoir-faire» et mal à l'aise dès qu'un doute se présente. Ce monde hypercartésien, enclin à séparer le business et l'humain comme il sépare, également, le corps et la pensée, développe des croyances presque caricaturales pour le XXIe siècle. Par exemple : une chose est blanche ou noire ; si on est intelligent, on n'est pas dans l'incertitude ; il y a une seule bonne idée ou une seule solution, il suffit de réfléchir ; celui qui ne sait pas est un incapable ; logiquement, tout peut se maîtriser... Malheureusement, la vie ne se laisse pas ainsi mettre en boîte. L'entreprise n'est pas une machine, mais un organisme vivant. Elle traverse donc des changements, rencontre des imprévus, vit des turbulences. Comme notre société aussi, d'ailleurs. Nous devons donc avancer avec souplesse et flexibilité, en restant humbles devant ces événements.
Dans le domaine de la santé - un autre domaine en transformation -, on commence à savoir que le corps, le mental et l'émotion sont intimement liés. L'avenir s'en fera davantage l'écho, comme le souligne déjà le succès grandissant d'ouvrages sur le sujet.
L'entreprise d'aujourd'hui comprend-elle le lien indissociable entre les personnes et le business ? Considère-t-elle ses salariés et partenaires comme des cellules vivantes d'un organisme humain ou comme les pièces interchangeables d'une belle machine ? Sait-elle observer avec finesse les dynamiques humaines, les élans fédérateurs, les résistances au changement ? Progresser, ce serait admettre que beaucoup d'aspects nous échappent encore et que le monde qui nous entoure ne peut être compris avec notre logique actuelle. Ce serait rester humble, curieux, ouvert aux nouvelles approches même lorsqu'elles sont déroutantes, et savoir garder une âme d'explorateur pour faire avancer les choses. Ce serait se tourner vers autrui et prendre conscience que dans un monde fait par l'homme (et non une planète inhabitée), c'est par la relation à l'autre que l'on se transforme.
Meryem Le Saget est conseil en entreprise à Paris, <
