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« Le désir de travail ne se crée pas, mais s'entretient »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 21.03.2006 | Violette Queuniet

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« Le désir de travail ne se crée pas, mais s'entretient »

Crédit photo Violette Queuniet

Appliquée au travail, la théorie psychanalytique éclaire la notion de désir de travail d'un jour différent : il est autant consubstantiel à l'être humain que le désir d'amour. Mais ce désir de travail est fragile : s'il n'a pas à être créé, il a besoin de conditions favorables pour s'épanouir.

E & C : L'envie de travailler, la motivation, l'engagement contenus dans les méthodes de management sont des notions connues. Mais le désir de travail n'est jamais évoqué. En quoi consiste cette notion ?

Roland Guinchard : L'image la plus éclairante pour comprendre cette notion est celle de l'iceberg : la motivation, l'envie de travailler, toutes les occurrences de carrière, d'engagement... sont la partie émergée d'un processus qui est à l'oeuvre de façon souterraine. C'est ce processus-là que j'appelle le désir de travail, qui s'inspire de la psychanalyse.

Mon hypothèse est que le travail est une donnée interne de l'être humain. Dans la vie, il y a deux choses importantes : l'amour et le travail. L'amour est un désir qui s'exprime à l'égard d'un autre, le partenaire, et de son manque supposé. Le travail, c'est du désir aussi. Il s'exprime à l'égard des autres et de leur attente supposée, et, en tout premier lieu, de l'attente des parents et de ce qui est derrière eux : le groupe social.

L'amour et le travail visent tous deux la perpétuation de l'espèce individuelle et de l'espèce en tant que groupe social. Les mêmes mécanismes décrits par la psychanalyse s'appliquent au travail, mais de façon spécifique. Par exemple, la dette paternelle. L'énergie de travail se dirige toujours vers quelque chose qu'on imagine que le père n'aurait pas fait. Il y a aussi le rêve mégalomane : on ne travaille bien que pour quelque chose qui nous dépasse un peu.

Il y a le fantasme du labeur : dans la mécanique psychologique, le propre même du désir est d'aller vers quelque chose, à condition de ne pas y arriver complètement. Plus on peut trouver de signes d'insatisfaction ou de douleur, plus on s'autorise à continuer à travailler.

Enfin, il y a la haine du désir : on travaille pour avoir l'illusion de maîtriser l'environnement humain. Mon approche peut se résumer ainsi : jusqu'à présent, on a toujours cherché à savoir comment on pouvait mettre un peu de désir dans le travail. Or, on commence à comprendre les choses si on renverse le point de vue en regardant quelle est la place du travail dans le désir humain.

E & C : En quoi la connaissance des mécanismes à l'oeuvre dans le désir de travail peut-elle être utile dans une entreprise ?

R. G. : Elle peut permettre de sortir de situations paradoxales que les managers ont du mal à comprendre et sur lesquelles ils peuvent s'exaspérer en pensant qu'il n'y a pas de solution. On est là totalement dans le «psy».

Mais a-t-on le choix si l'on veut tenir compte du facteur humain ? Soit on l'intègre complètement dans l'entreprise, et cela passe par la connaissance des mécanismes psychologiques qui mènent à l'effort, soit on gère les hommes comme des machines. Cette dernière option a d'ailleurs ses avantages, principalement celui de la rentabilité, mais pas celui de la croissance.

Intégrer complètement le facteur humain à l'entreprise a des inconvénients, c'est long, cela prend du temps et il y faut une certaine finesse et de la sincérité. Mais le grand avantage, c'est qu'on y gagne la croissance permanente et l'engagement réel des gens.

E & C : Comment l'entreprise doit-elle s'y prendre avec ce désir de travail ?

R.G. : Le désir de travail est assez sensible et fragile, un peu comme un escargot prêt à s'enrouler dans sa coquille. Si on le laisse aller, il avance à sa vitesse et peut continuer très loin. Il faut l'admettre. Mais on sait aussi que le désir de travail a besoin d'un certain nombre de conditions favorables. C'est, notamment, tout ce qui relève de la dimension symbolique. C'est-à-dire, dans la psychanalyse, la dimension de l'échange, de la parole, de la filiation et du nom. Dans l'entreprise, la dimension de la parole est essentielle pour développer le désir de travail.

Le désir de travail se nourrit du fait de dire les choses. Or, il y a trois ordres qui vont dans le sens inverse de dire : l'évidence (cela va sans dire, donc on ne le dit pas) ; le secret (il ne faut pas dire) et le semblant. Ces trois dimensions sont tout à fait néfastes au désir de travail. C'est donc davantage autour de la parole - et, en premier lieu, celle du manager - que par les méthodes que le désir de travail s'entretient. Mais l'élément le plus favorable au désir de travail, c'est le projet.

E & C : Pourquoi ?

R. G. : Parce que le projet permet de travailler ensemble. C'est en partant de l'individuel qu'on trouve le collectif. Pour une raison simple : la question du désir est toujours le désir de l'autre. On ne peut pas faire autrement que de faire avec l'autre. Toute la question est de savoir comment faire pour articuler plusieurs désirs de travail. La vraie solution, et les hommes politiques le savent bien et en parlent sans jamais le faire, c'est la dimension du projet. La seule façon de travailler ensemble, c'est de travailler sur un projet. C'est-à-dire non pas «toi et moi en rivalité pour obtenir un objet», mais «toi et moi et un autre pour construire un projet». C'est aussi, d'une certaine façon, remettre le travail à son exacte place.

Le travail, une valeur en voie de disparition, Dominique Meda, Alto Aubier, 1995.

L'hystérie ou l'enfant magnifique de la psychanalyse, Juan David Nasio, Payot, 1990.

Le stress professionnel, Nicole Aubert, Max Pagès, Klincksieck, 1989.

parcours

Psychanalyste et psychothérapeute, Roland Guinchard a travaillé pendant quinze ans en hôpital psychiatrique. C'est là qu'il s'est intéressé au thème de la relation au travail et a constitué un groupe d'analyse du travail à destination des personnels soignants. Il dirige, aujourd'hui, la Clinique du travail et de l'entreprise et intervient auprès de dirigeants et de salariés.

Il s'est réorienté vers le conseil et le coaching après un diplôme d'audit social de l'IAE de Toulouse. Il est également expert associé au corps professoral d'Audencia Nantes.

Avec Gilles Arnaud, professeur de gestion à l'ESC Toulouse, il prépare un ouvrage intitulé Le désir de travail (éditions Dunod).

Auteur

  • Violette Queuniet