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Le contrat unique devra être... unique

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 14.03.2006 | Anne Bariet

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Le contrat unique devra être... unique

Crédit photo Anne Bariet

Le contrat unique sera viable pour les employeurs et les salariés s'il ne s'ajoute pas aux contrats de travail déjà existants. Pour certains experts, c'est la diversification des contrats qui est source de rigidité. Reste à revoir les règles de transférabilité des droits sociaux.

E & C : Le projet de contrat unique, fusion du CDI et du CDD, est-il une idée nouvelle en Europe ?

Claude-Emmanuel Triomphe : Le projet est intéressant, c'est une vraie opportunité de débat sur la relation au travail et sur le lien contractuel. Ce sujet va, d'ailleurs, faire l'objet d'un livre vert de la Communauté européenne, à paraître cette année. Mais, pour l'instant, il s'agit d'un concept et non d'un contrat. Juridiquement, il n'existe pas. En France, l'idée a été émise par le rapport de Michel Camdessus (1), ex-président du FMI, puis par celui de Cahuc-Kramartz (2). En Europe, le contrat unique ne fait l'objet d'aucun débat, les priorités tournant autour de la flexibilité, voire de la flexécurité. Le modèle dominant repose, actuellement, sur la diversification des contrats de travail. A noter, toutefois, qu'un contrat de type CNE/CPE figure dans le programme de la «grande coalition» allemande. Comme en France, ce contrat introduirait une période d'essai de deux ans, et ne s'adresserait qu'aux jeunes. Les Hollandais ont, quant à eux, fusionné, voilà dix ans, le régime du CDD et de l'intérim en créant un régime quasi unique, avec une accumulation progressive des droits.

E & C : La France prend-elle le contre-pied de la tendance dominante ?

C.-E. T. : L'idée du contrat unique prend surtout à contre-pied tous ceux - syndicats, partis politiques - qui se sont battus contre la diversification des contrats pour finalement l'intégrer. Pour Pierre Cahuc, Francis Kramarz et Michel Camdessus, la diversification des contrats de travail est une source de rigidité. Elle engendre une segmentation du marché, décourageant les employeurs et enfermant les salariés dans des contrats précaires et récurrents. Le CNE (contrat nouvelles embauches) et le CPE (contrat première embauche) apportent l'idée d'un renforcement de la protection sociale au fur et à mesure que l'ancienneté s'accroît. Mais le contrat unique sera-t-il unique ? Il peut être révolutionnaire, sauf s'il devient le vingt-sixième contrat.

Pour l'heure, nous avons trois grandes familles de contrats : le CDI, le CDD et le travail temporaire - chacune des familles comportant de multiples variantes (temps partiel, temps partagé, accompagnée ou non de formation...). Or, le contrat unique fait totalement l'impasse sur le travail temporaire. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, la plupart des travailleurs temporaires sont liés à leur agence par un CDI. Pourquoi la France n'a-t-elle pas pris ce chemin-là ?

E & C : Quelles sont les limites de ce contrat ?

C.-E. T. : La grande limite tourne autour de la transférabilité des droits sociaux. En France, la plupart des avantages sociaux ne sont pas attachés à la personne mais à l'emploi. L'ancienneté n'existe que par rapport à l'entreprise. Le contrat unique fait l'impasse sur le parcours professionnel. Il est conçu comme si celui-ci se limitait à une seule entreprise. En ce sens, il est moins performant que le contrat d'activité, proposé par Jean Boissonnat, en 1995. Même si ce dernier se limitait, de facto, aux exclus du travail. Par ailleurs, il faut signaler que le montant des indemnités de rupture (équivalant à un cinquième par mois d'ancienneté) est l'un des plus bas d'Europe. Il faut aussi pointer le problème de la justification du licenciement. Toutes les législations européennes continentales tendent, jusqu'ici, à justifier une rupture de contrat par un motif précis. Un tribunal risque de se prononcer sur ce thème, voire la Cour européenne des droits de l'homme. En clair, lorsque l'on s'engage dans cette réforme, il faut évaluer l'ensemble des paramètres, le risque de rupture, de l'énoncé de la rupture et la transférabilité des droits. Doivent également être pris en compte l'ensemble des garanties sociales, l'accès aux prêts bancaires, au logement. Le contrat unique doit être repensé dans son ensemble.

E & C : Quels seraient les avantages pour le salarié ?

C.-E. T. : L'introduction d'une indemnité de rupture dès le quatrième mois ainsi que d'un préavis de deux à quatre semaines pour rompre la période d'essai constitue une nouveauté. A noter qu'un salarié pourra démissionner sans préavis pendant deux ans, ce qui devrait faire réfléchir les entreprises confrontées à des pénuries de main-d'oeuvre. C'est une vraie épée de Damoclès sur la tête des employeurs.

E & C : Seriez-vous favorable à une expérimentation du contrat unique ?

C.-E. T. : Oui, mais à deux conditions. Tout d'abord, il faut que l'accord soit tripartite, c'està-dire qu'il engage la responsabilité de l'Etat et de l'ensemble des partenaires sociaux. Et, ensuite, que cet accord soit accompagné d'un engagement réel de mise en oeuvre.

(1) Octobre 2004.

(2) Novembre 2004.

ses lectures

L'avènement du corps, Hervé Juvin, Gallimard, 2005.

Le ghetto français, Eric Maurin, Seuil, 2004.

Ali le magnifique, Paul Smaïl, Noël, 2003.

parcours

Expert sur les relations du travail et la santé sécurité dans les pays baltes pour le BIT, puis pour le ministère français du Travail, de 1996 à 2003, Claude-Emmanuel Triomphe est, depuis 1996, délégué général de l'Université européenne du travail.

Il est entré à l'inspection du travail en 1984, a été nommé directeur adjoint du travail dans les Yvelines (1992-1995), puis en région Ile-de-France (1995-2002).

Il a également été membre d'associations française (Villermé, dont il a été président de 1989 à 1991) et européenne (CPE) d'inspecteurs du travail. Il a également été maître de conférence à l'IEP Paris (1989-1999).

Auteur

  • Anne Bariet