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Les Pratiques

Les leçons de Saint-Nazaire

Les Pratiques | Point fort | publié le : 07.03.2006 | V. Q.

De 1999 à 2001, dans un contexte local marqué par une pénurie de main-d'oeuvre masculine, les grands donneurs d'ordres de Saint-Nazaire et leurs sous-traitants principaux, soit 25 entreprises au total, ont formé, avec l'aide du service public de l'emploi, près de 600 femmes aux métiers de soudeur, électricien, monteur en tuyauterie ; 90 % ont été recrutées et 85 % étaient en emploi trois mois après leur formation. Mais après ?

Emploi non qualifié

Le sociologue Philippe Alonzo, maître de conférences à l'université de Nantes, a enquêté sur le destin professionnel de ces femmes, de 1999 à 2003, dans trois entreprises : Aerospatiale (devenue Airbus), les Chantiers de l'Atlantique (devenue Alstom) et un sous-traitant de rang A, la SCN (société de construction navale)*. Le bilan est contrasté. Alors que les deux grandes entreprises « ont joué le jeu de l'intégration et de la mixité, l'entreprise de sous-traitance beaucoup moins », relève le chercheur. La SCN a, par exemple, embauché les ouvrières sur des CDI «chantier», illégaux dans la construction, tandis que les ouvriers étaient embauchés sur des CDI classiques. Par ailleurs, la mixité n'y est pas réelle même si hommes et femmes sont recrutés pour le même poste, monteur en tuyauterie. Aux femmes sont réservées les tâches répétitives et simples ; aux hommes celles qui demandent de la qualification. Une répartition des tâches qui se traduit par des rémunérations plus faibles pour les femmes. Résultat : la baisse d'activité survenue à partir de 2003 sera fatale à neuf femmes de la SCN, alors qu'aucun homme ne sera licencié.

«Bouche-trous»

Si l'emploi stable est au rendez-vous chez Airbus, il reste non qualifié. « Les agents de fabrication femmes servent de bouche-trous et peuvent être réaffectées très rapidement sur d'autres postes en cas de compression d'emplois ou de variation des commandes », signale Philippe Alonzo. La mixité n'a pas pris. Si les perspectives existent, c'est hors des ateliers, au pôle logistique, mais seulement pour les agents de fabrication dotées d'un bon niveau de formation initiale (bac, BTS). C'est Alstom qui a le mieux respecté les objectifs fixés par l'ANPE et le service public de l'emploi : embauche en CDI et engagement d'un parcours de formation permettant aux ouvrières d'évoluer à moyen terme vers des emplois plus qualifiés. « Placées dans des équipes mixtes, leur travail est le même que celui des hommes et leur rémunération ne semble faire l'objet d'aucune discrimination. Elles ont la possibilité d'évoluer dans le métier de soudeuse par l'intermédiaire de formations complémentaires. » Pour le sociologue, c'est la formation offerte aux femmes à l'entrée du dispositif « qui creuse les différences » de parcours. Seul Alstom a proposé une formation qualifiante de soudeur de sept mois, couronnée par l'obtention du CQPM (certificat de qualification professionnelle de la métallurgie). Chez Airbus et à la SCN, les formations étaient respectivement de trois mois et demi et trois mois.

Coup de frein au recrutement

Mais la leçon la plus marquante, soulignée par Philippe Alonzo, est le coup de frein mis au recrutement de femmes dans les métiers industriels dans les entreprises de Saint-Nazaire dès que les carnets de commandes ont baissé. La mixité des emplois n'est pas encore pour demain...

* Nom volontairement modifié par le chercheur pour préserver l'anonymat de l'entreprise et de ses salarié(e)s.

Le texte de cette étude a été publié dans le n° 6 des Cahiers Pierre Léon, édité par l'Institut des sciences de l'homme de Lyon. Contact : <dscarano@ish-lyon.cnrs.fr>

Auteur

  • V. Q.