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La longue marche vers la mixité des emplois

Les Pratiques | Point fort | publié le : 07.03.2006 | Violette Queuniet

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La longue marche vers la mixité des emplois

Crédit photo Violette Queuniet

Les pénuries de main-d'oeuvre sont le principal motif de recrutement des femmes sur les emplois dits masculins de l'industrie. Mais leur intégration durable passe par la qualification et des possibilités d'évolution. Certaines entreprises en font une question stratégique.

«Des opérations de recrutement de femmes sur des métiers traditionnellement masculins, j'en vois depuis trente ans ! Le résultat, ce sont soit des ateliers féminisés, où les femmes sont moins qualifiées et moins bien payées, soit une femme rescapée d'une opération de «féminisation des emplois», qui n'a jamais évolué. La vraie mixité des emplois existera quand les femmes auront les mêmes parcours professionnels que les hommes. »

Faudra-t-il encore trente ans pour voir se réaliser les espérances de Renée Sage, chargée de mission à l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) ? Des signaux favorables émanent de certaines entreprises.

Opération Défi en Lorraine

En Lorraine, les industriels ayant participé à l'opération Défi (Des emplois pour les femmes innovations en Lorraine), associant le service public de l'emploi, l'Aract et Adia, jouent le jeu de la montée en qualification des femmes. L'établissement de PSA à Metz, qui fabrique des boîtes de vitesse, a ainsi intégré 32 femmes en trois ans sur des postes d'ouvrier professionnel, catégorie qui n'en comptait quasiment aucune en 2002. Formées en alternance pendant six mois, encadrées par des tuteurs, ces femmes qui n'avaient aucune formation technique ont toutes décroché le CQPM (certificat de qualification professionnelle de la métallurgie) de conduite d'installations industrielles automatisées (CIIA) et ont été embauchées en CDI. Le DRH de l'établissement, Jacques Trawinski, envisage d'ores et déjà des parcours de carrière. « Environ 30 % d'entre elles évolueront soit vers des postes de technicien, ou de responsable d'unité, soit vers des fonctions d'appui comme la qualité ou le contrôle. Selon les postes, elles bénéficieront de formations complémentaires. Elles ne sont pas déçues par la réorientation complexe qu'elles ont vécue et ne comptent pas en rester là. »

Un accord chez Thyssen Krupp

Chez Thyssen Krupp, équipementier automobile situé à Florange, la clé d'entrée n'a pas été le souci de diversifier le recrutement, l'entreprise comptant 60 % de femmes en production, mais de rattraper une situation inégalitaire. Partenaires sociaux et direction ont, en effet, conclu un accord en 2005 pour améliorer la mixité des emplois et former les personnels les moins qualifiés, en l'occurrence les femmes. Une première promotion de cinq femmes a décroché le CQP CIIA. La mise en oeuvre de leurs nouvelles compétences devrait être entérinée au deuxième semestre avec, à la clé, une augmentation de 8 % à 10 %. Une deuxième promotion, mixte cette fois, est sur les rails pour 2006.

Pour Claude Damm, directeur adjoint de l'Aract de Lorraine et partie prenante de l'opération Defi, « la qualification professionnelle est un des éléments déterminants pour qu'une femme intègre durablement un métier traditionnellement masculin ». Il observe du côté des entreprises un grand pragmatisme : « Leur objectif n'est pas de féminiser l'entreprise. Ce n'est qu'après coup qu'elles peuvent mesurer l'intérêt de la mixité. En revanche, l'entrée se fait sous l'angle de la compétence : à partir du moment où les femmes sont perçues comme pouvant développer les mêmes compétences que les hommes, les entreprises sont prêtes à les intégrer. »

Il ne faudrait cependant pas minorer les freins culturels des équipes en place. En ce sens, la durée assez longue de la formation en alternance et l'accompagnement des femmes par des tuteurs, qui jouent le rôle de «passeurs», facilitent leur intégration. Le sociologue Philippe Alonzo souligne, de son côté, le lien entre mixité réelle des équipes et formation longue et qualifiante (lire p. 32). L'intégration des femmes est durable si elle s'inscrit dans une stratégie, dans une politique de ressources humaines. « Une entreprise ne peut pas recruter des jeunes diplômés d'un côté et, de l'autre, laisser des salariés, en l'occurrence majoritairement des femmes, sans aucune perspective. Ce n'est pas une politique RH raisonnable », explique Fernand Kiren, DRH de Thyssen Krupp Florange. De son côté, Jacques Trawinski rappelle que l'établissement de Metz s'inscrit dans l'accord signé au niveau du groupe PSA Peugeot Citroën, qui prévoit que les profils du personnel interne soient le reflet de la société et de son environnement.

Sensibilisation des équipes

Même principe chez John Deere, entreprise d'origine américaine dont la division moteurs est située dans la banlieue d'Orléans et qui mène une politique à long terme de féminisation de ses troupes. Depuis six ans, des ingénieures sont recrutées sans difficulté au bureau d'études et aux méthodes. En revanche, les métiers d'opérateur de production restent très masculins faute de candidates, et les vestiaires, spécialement aménagés pour les femmes à proximité des ateliers, sont longtemps restés vides. Jusqu'à il y a quelques mois, quand l'établissement, en partenariat avec Manpower et un lycée professionnel, a pris en formation en alternance, puis en contrat de travail temporaire de quatre mois, onze personnes dont cinq femmes. L'objectif est de les recruter au terme de l'opération. Parallèlement, l'entreprise s'est fait accompagner par l'Anact sur l'ergonomie de certains postes, mais aussi sur la sensibilisation des équipes. « Nous avons estimé important de communiquer sur cet événement en amont, d'écouter aussi les réticences et d'apporter des réponses. Depuis le début de l'opération, les agents de maîtrise sont impliqués, une réunion de suivi hebdomadaire est organisée pour faire le point, indique Olivier Dumas, DRH de l'établissement. Aujourd'hui, chacun a fini par reconnaître que les postes pouvaient être tenus par des femmes. »

L'essentiel

1 L'intégration des femmes est durable si elle s'inscrit dans une stratégie, dans une politique de ressources humaines. Elle passe par la qualification et des possibilités d'évolution.

2 Plusieurs entreprises, comme PSA et Thyssen Krupp, ont joué le jeu.

3 Des progrès restent, toutefois, à faire : selon une enquête, à Saint-Nazaire, la mixité des postes n'est pas complète.

Auteur

  • Violette Queuniet