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Les valeurs féminines s'imposent dans le leadership

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 07.03.2006 | Violette Queuniet

Pérennité, développement durable, respect de l'environnement : les valeurs montantes de la société et des entreprises sont plus féminines que masculines. Cela a pour conséquence une féminisation du leadership, même si les femmes sont encore absentes des postes de pouvoir.

E & C : Dans un article récent*, vous constatez une montée de la féminisation du leadership. Sur quoi s'appuie ce constat ? Ce type de management est-il amené à se développer ?

Loïck Roche : Plusieurs sondages et études, aux Etats-Unis comme en France, ont donné, ces dernières années, des conclusions similaires : les femmes sont de meilleurs managers que les hommes ; les hommes, comme les femmes, préfèrent être encadrés par les femmes ; les traits de caractère que les gens d'affaires considèrent comme importants chez un leader sont plus féminins que masculins. Le leadership de type féminin est amené à se développer parce qu'il est lié à la montée de préoccupations portées par la mondialisation telles que le développement durable, l'écologie, le respect de l'environnement. Les valeurs de pérennité, de respect, d'attention à l'autre reviennent en force à un moment où l'on s'aperçoit que l'égoïsme et le chacun pour soi ne peuvent plus fonctionner : dans une économie mondialisée, toute action a un impact sur l'environnement. Or, ces valeurs sont beaucoup plus féminines que masculines. La femme, par définition, s'inscrit dans un schéma où c'est elle qui donne la vie et qui assume le processus de continuité. L'homme, lui, est plus court-termiste, il cherche à gagner immédiatement (un territoire, un butin...). Il est normal que ces valeurs trouvent un écho au niveau des organisations. A l'intérieur même de l'entreprise, les valeurs sont aussi en train de se modifier. On est moins carriériste, on fait attention au partage entre vie privée et vie professionnelle. Là encore, les qualités féminines sont beaucoup plus en adéquation avec l'air du temps. C'est donc un mouvement qui, aujourd'hui, semble devoir se poursuivre. On pourrait presque paraphraser Aragon en disant « la femme est l'avenir de l'entreprise » !

E & C : Quels changements la féminisation du leadership peut-elle apporter dans l'entreprise en matière de GRH ?

L. R. : Il est possible que les questions de gestion de carrière, de rémunération prennent un peu moins d'importance. En revanche, tout ce qui touche aux conditions de vie, à l'intérêt de son poste, aux relations et à la coconstruction avec l'autre, à la formation sera davantage pris en compte dans la gestion des ressources humaines. Bien entendu, il y a des limites. Si les besoins fondamentaux comme, notamment, une rémunération suffisante, ne sont pas assurés, la formation ne sera pas acceptée. Les valeurs féminines, oui, dès lors qu'elles poussent sur un terreau qui a déjà fait que les hommes et les femmes d'entreprise se sentent suffisamment «sécurisés».

En matière de GRH, il y a beaucoup à prendre des valeurs féminines, comme la transmission, le souci de la pérennité. De façon générale, l'équilibre entre valeurs féminines et masculines, la rotation entre les styles de leadership, en un mot, la mixité, est ce qu'il y a de plus intéressant.

E & C : S'il y a un tel engouement pour le leadership féminin, pourquoi y a-t-il si peu de femmes aux postes de direction ?

L. R. : Il y a naturellement une résistance. Car, que reste-t-il à l'homme pour s'imposer avec les attributs du pouvoir par rapport à la femme si on le prive justement de ce qui faisait attribut ? Si le grand bureau du dernier étage est occupé par une femme, comment prouver sa virilité ? Les hommes veulent bien des femmes, mais à condition qu'elles ne leur prennent pas leurs postes. Cela renvoie certainement à des peurs beaucoup plus importantes : si la femme est dans l'entreprise, qui va s'occuper des gosses ?, comme dirait l'autre.

Plus profondément, cela pose la place de l'homme qui, historiquement, était dévolu à la chasse mais pas à faire le repas du soir ! Les valeurs actuelles de pérennité et de durabilité sont des valeurs qui, très longtemps, n'ont pas été reconnues comme viriles et intéressantes pour l'homme, car fondées sur le long terme et non pas sur l'instant et le combat immédiat. Il faut donc que l'homme apprenne à se construire différemment avec la part de féminité qui est en lui et qu'il a longtemps déniée, et avec sa part de masculinité, mais sans les attributs imbéciles que sont la voiture et le pouvoir. Je suis convaincu que cette évolution se fera, même si cela prendra du temps.

E & C : En tant que responsable d'une école de commerce, vous côtoyez les managers de demain. Constatez-vous que les étudiants partagent ces valeurs ?

L. R. : Je pense que ces valeurs sont en eux. Les jeunes sont nés dans cette acceptation-là. Ils appartiennent à une génération où l'égalité entre hommes et femmes est acquise. Il y a autant de filles que de garçons dans les écoles de commerce. Il y a de plus en plus de filles dans les écoles d'ingénieurs, même si on est encore loin du 50/50. C'est accepté et normal. Le ministre de la Défense en France est une femme. A l'international, des femmes sont à la tête de pays. Bref, la boucle est bouclée. Les jeunes générations du monde occidental ont tranquillement accepté la prise de pouvoir par les femmes. Elles ne se posent même pas la question. Cette habituation rentre progressivement dans le champ de la culture, et les entreprises auront tout à y gagner.

*La féminisation du leadership, John Sadowsky et Loïck Roche, in Humanisme & Entreprise, n° 05-274, décembre 2005.

La connaissance objective, Karl Popper, Aubier, 1991.

XY, Elisabeth Badinter, Odile Jacob, 1992.

Les enfants de Jocaste, Christiane Olivier, Denoël, 1980.

parcours

Diplômé de l'Essec, docteur en psychologie et en philosophie, Loïck Roche est intervenu dans de nombreuses entreprises en tant que consultant en organisation et RH au sein des cabinets MOA (aujourd'hui BPI) et Nomesis SA.

Il est, aujourd'hui, directeur adjoint de Grenoble Ecole de management.

Il est l'auteur de Chacun est libre de réussir sa vie (Village Mondial, 2004).

Auteur

  • Violette Queuniet