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Enquête

Vers l'entreprise sans CDI ?

Enquête | publié le : 21.02.2006 | Emmanuel Franck

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Vers l'entreprise sans CDI ?

Crédit photo Emmanuel Franck

Les formes d'emploi autres que le CDI - CDD, intérim, contrats aidés, CNE, CPE... - se multiplient. Les directions des ressources humaines doivent connaître un nombre croissant de statuts et les risques qui y sont liés. Elles doivent aussi veiller à la cohésion de l'entreprise où cohabitent ces statuts multiples.

Le bon vieux CDI a du plomb dans l'aile. S'il est toujours le contrat de travail le plus répandu (89 % des salariés), il est de plus en plus concurrencé par d'autres formes de mobilisation du travail, qu'on peut classer en trois catégories : les emplois à statut particulier, les emplois «parasubordonnés», et les emplois soumis aux catégories juridiques récemment créées par le gouvernement (CNE et CPE, qui sont officiellement des CDI, mais avec des particularités, CDD seniors, travail à temps partagé, collaborateur libéral...).

Le nombre d'emplois à statut particulier a beaucoup progressé au cours des vingt dernières années. CDD, intérim, stages et contrats aidés représentaient, en 1982, un peu moins de 6 % des contrats de travail, contre 11 % en 2002 (1).

Professionnel autonome

Le développement des emplois parasubordonnés résulte du passage d'une « civilisation de l'usine à celle du savoir », selon Jacques Barthélémy, avocat en droit social honoraire, ancien professeur associé à l'université de Montpellier. Il en résulte l'émergence d'une nouvelle figure dans le monde du travail : le professionnel autonome. Ce travailleur exerce dans des fonctions transverses (formation, conseil, informatique, NTIC, édition, presse...), est doté d'une forte expertise, et, surtout, tend à s'autonomiser, jusqu'à sortir des effectifs de l'entreprise.

Aux confins du salariat, les professionnels autonomes n'ont pas de statut spécifique, mais « exercent leurs compétences sous des statuts juridiques diversifiés : travailleur indépendant, salarié en CDD, salarié à domicile, mandataire social minoritaire ou majoritaire d'une SARL, salarié d'une association, pigiste, contrat intermittent, portage salarial..., passent d'un statut à un autre, font coexister plusieurs statuts, évoluent du salariat à l'indépendance », relève une étude de la CFDT (2). Il est donc impossible de les dénombrer.

En développement

La même étude constate que ce mode d'exercice professionnel est en développement. Jacques Barthélémy, principal défenseur de la parasubordination en France, relève, tout de même, que « sa concrétisation dans le droit positif sera de nature à mettre fin à la tendance expansive du salariat en France » (87,2 % de la population active).

Ces formes de mobilisation du travail interrogent l'offre de services RH des entreprises, plutôt calibrée pour un stock de CDI que pour un flux de travailleurs à statuts multiples ; de même qu'elle interroge l'action syndicale (voir aussi l'entretien, p. 28). Et ce d'autant plus qu'elles ont toutes les chances de continuer à se développer pour répondre aux besoins de flexibilité de l'économie. En outre, plusieurs dispositifs ont été mis en place ces dernières années qui fluidifient le passage du salariat à l'indépendance : jurisprudence de 1996 qui réduit les possibilités de requalification de travail indépendant en contrat de travail, amélioration de la protection sociale des indépendants (contrats Madelin, CMU), création d'un régime social des indépendants... « Au plan social, l'intérêt du salariat est donc fortement réduit », comparé à l'indépendance, relève Jacques Barthélémy.

Quel type de contrat ?

Le premier défi auquel les services des ressources humaines des entreprises doivent faire face est d'appréhender les multiples formes de mobilisation du travail. Pour ne prendre que les contrats de travail, il en existe, actuellement, une quinzaine. Or « très peu de DRH sont capables d'utiliser la totalité des dispositifs statutaires et de répondre à la question : quel type de contrat pour quel objectif ? », relève Christian Goux, DG associé du cabinet de conseil en RH CC & T.

Retour à la simplicité

Il se pourrait, cependant, que cette inflation statutaire soit de courte durée. « Aujourd'hui, nous sommes dans une période pionnière des contrats de travail, mais il faudra bien revenir à plus de simplicité », estime Bruno Carrias, délégué général de la Fédération Syntec.

Le deuxième défi consiste à réduire les risques qui entourent ces nouveaux statuts non encore stabilisés, comme le risque de prêt illicite de main-d'oeuvre qui pèse sur le portage salarial, ou le risque de contentieux que comportent les CNE, sur lequel s'accordent la plupart des observateurs.

Enfin, la multiplication des statuts implique que les DRH adaptent leur offre de services à une population de plus en plus hétérogène. Cette offre pourrait, ainsi, servir à compenser les désavantages liés à certains statuts. Les objectifs de cette DRH «providence» seraient de mettre en application la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), de jouer la concurrence pour la captation des talents, de maintenir la cohésion sociale de l'entreprise et la qualité de la production. C'est ce que fait l'usine Toyota de Valenciennes avec ses intérimaires, en vue de réduire l'écart avec ses CDI (lire p. 16).

Résistance des entreprises

Le développement des professionnels autonomes pose un autre problème aux services des ressources humaines. Les entreprises doivent, selon Bernard Galambaud, professeur émérite à l'ESCP-EAP, « apprendre à utiliser une ressource qui ne leur appartient plus » (voir p. 17). On en est encore loin. La volonté d'autonomie des salariés rencontre la résistance d'entreprises qui n'admettent pas de situation intermédiaire entre le salariat et l'indépendance.

Réticence

Le Medef est, ainsi, très réticent à la création du statut d'avocat d'entreprise. Faire entrer dans les effectifs de l'entreprise une profession dotée de son propre code de déontologie, c'est remettre en cause le pouvoir de direction et prendre le risque qu'un avocat d'entreprise invoque le secret professionnel pour ne pas partager une information avec son propre employeur.

Même attitude chez BT France, filiale de British Telecom. Cette entreprise emploie 1 000 salariés, dont nombre de consultants disposant d'une importante expertise technique, et travaillant chez des clients. Un terrain favorable au développement de l'indépendance. « Il arrive souvent qu'un ex-salarié devenu indépendant nous propose ses prestations. Nous refusons systématiquement. Le risque est que cet ex-salarié n'ait que nous comme client, ce qui n'est pas sain pour son développement commercial, et comporte un risque de requalification en contrat de travail », explique Stéphane Duret, DRH de BT France.

Autonomisation de certains salariés

Pourtant, quelques initiatives émergent pour prendre en compte l'autonomisation de certains salariés. Ainsi, AXA encourage ses salariés à devenir ses agents généraux. C'est la DRH qui est chargée d'accompagner ce mouvement (lire ci-contre).

Mais, dans tous les cas, l'offre RH s'arrête aux portes de l'entreprise. La création d'un statut de parasubordonné, à mi-chemin entre le salariat et l'indépendance, pourrait changer la donne. Mais la parasubordination n'est, pour le moment, qu'une notion sans existence légale. En outre, les dérives qu'a entraînées la création du statut de «parasubordinati» en Italie (lire p. 16) incitent à la plus grande prudence. En France aussi, tous les professionnels autonomes ne le sont pas par choix, loin s'en faut.

(1) Dares, Premières synthèses, avril 2005.

(2) Les professionnels autonomes, une nouvelle figure du monde du travail, Observatoire des cadres de la CFDT, juin 2003.

L'essentiel

1 De nouvelles formes d'emploi se développent : emplois à statuts particuliers, emplois «parasubordonnés», CNE, CPE... qui concurrencent le CDI. 

2 Alors que le gouvernement envisage de modifier en profondeur le contrat de travail, ces nouvelles formes d'emploi préfigurent, peut-être, ce que sera l'emploi de demain.

3 Cette nouvelle donne interroge l'offre de services des DRH organisée autour du CDI. Elles doivent faire face à une multiplication des statuts dont certains ne sont pas encore stabilisés, ainsi qu'à une plus grande volatilité des ressources humaines.

Auteur

  • Emmanuel Franck