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Les syndicats peu en phase avec les transformations du travail

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 21.02.2006 | Pauline Rabilloux

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Les syndicats peu en phase avec les transformations du travail

Crédit photo Pauline Rabilloux

L'offre syndicale semble aujourd'hui décalée par rapport aux nouvelles catégories de salariés, voire par rapport aux transformations du travail dans leur ensemble. Puiser dans ces difficultés l'occasion d'une remise en question et d'un rebond pourrait se révéler une vraie perspective d'avenir pour l'action syndicale.

E & C : La lutte des stagiaires, celle contre les contrats précaires... L'actualité porte sur le devant de la scène des catégories de travailleurs peu présents, jusqu'ici, dans les luttes syndicales. Ces personnes ne sont-elles pas aussi les laissées-pour-compte de ces luttes ?

Anne-Marie Grozelier : C'est vrai, les syndicats rencontrent une difficulté réelle à toucher et à défendre les nouvelles catégories de salariés, qui sont aussi les plus fragiles, les femmes, les jeunes en insertion, les précaires, les travailleurs au noir, les chômeurs. L'activité industrielle, bastion traditionnel des syndicats, cède la première place aux services et aux petites entreprises. Or, ce sont là, justement, des activités dépourvues de syndicats, dans lesquelles se développe la précarité. Il faut comprendre aussi que, pour les grandes entreprises, l'un des intérêts de se démultiplier en une constellation de PME sous-traitantes, de développer l'externalisation, de déstructurer les contrats de travail, est de réduire ainsi les collectifs de travail et de limiter les mobilisations.

E & C : Côté syndical, comment expliquez-vous ce déphasage ?

A.-M. G. : D'un côté, la pression de trente ans de chômage de masse a eu un effet démobilisateur, affaiblissant les capacités revendicatives des syndicats, par ailleurs minés par leurs divisions. Leur base sociale s'est ainsi réduite, et ils n'ont pas été en mesure de peser sur les changements du travail ni d'adapter leur stratégie à ces évolutions : il est difficile de défendre les droits des salariés au travail, alors que tant d'autres sont privés d'emploi. De l'autre, le discours de la pensée unique sur la modernisation a dévalorisé le combat social et les luttes ouvrières, considérées comme ringardes. C'est ainsi que l'abandon des négociations de branche au profit de celles d'entreprise s'est opéré au nom de la libéralisation du marché du travail et de la modernisation, au moment même où le développement des petites entreprises, véritables déserts syndicaux, les rendait d'autant plus nécessaires. Les salariés se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. Les salaires, tirés vers le bas. Il est significatif que, si l'Allemagne essuie les critiques de la pensée néolibérale, c'est justement parce que les salaires y sont encore négociés par branche.

Par ailleurs, les syndicats ont des difficultés à s'implanter là où se trouvent les nouvelles catégories de salariés. Il est d'autant plus difficile pour eux de faire une percée auprès des jeunes qu'une rupture de génération a interrompu la continuité historique de l'action syndicale. Pour les salariés les plus jeunes, l'individualisme est une valeur en hausse qui ne fait pas toujours bon ménage avec l'action collective. Et ce n'est pas le contrat nouvelles embauches qui va les inciter à se syndiquer, c'est-à-dire à s'exposer.

Enfin, l'individualisation des conditions de travail contribue à cette démobilisation. C'est ainsi que, dans le commerce, l'hôtellerie, le tourisme, secteurs où la contrainte de la concurrence internationale ne joue pas, les syndicats, peu représentés, ne parviennent pas à s'opposer à la précarité ni aux bas salaires. De fait, ils semblent largement cantonnés sur une position défensive. Ils n'en sont plus à obtenir de nouvelles avancées mais à limiter la casse. C'est sur la base des revendications patronales que s'ouvrent aujourd'hui les négociations : réviser la loi sur les 35 heures et augmenter la durée du travail, diminuer les salaires, introduire le travail de nuit, etc.

E & C : Quelles sont les perspectives des syndicats ?

A.-M. G. : Les syndicats ne sont pas dépourvus d'atouts. Les salariés leur font davantage confiance qu'aux politiques et, si le discours sur la contrainte internationale a rendu les salariés difficilement mobilisables, l'accroissement des inégalités et des reculs sociaux pourrait aboutir à un sursaut. Mais, pour construire une importante riposte, ils devront surmonter leurs divisions. Peut-être les salariés réussiront-ils à les convaincre d'agir ensemble. Des mouvements sociaux épars, des conflits durs, de nouvelles formes de grève surgissent un peu partout, animés par des collectifs composés de jeunes, de militants ou de nouvelles figures contestataires, comme c'est le cas pour les stagiaires, par exemple. Ces contestations éparses jointes au retournement démographique pourraient renverser le rapport de force en faveur des salariés et susciter un regain de combativité sous des formes nouvelles, pour peu que les syndicats soient capables d'entendre les aspirations des salariés et mettent de côté leurs replis corporatistes.

Métamorphoses du travail : quête du sens, André Gorz, Galilée, 1988.

La barbarie douce : la modernisation aveugle des entreprises et de l'école, Jean-Pierre Le Goff, La Découverte, 1999.

La grande désillusion, Joseph Stiglitz, Fayard, 2002.

parcours

Anne-Marie Grozelier est secrétaire générale de Lasaire (Laboratoire social d'action, d'innovation, de réflexion et d'échanges). Elle enseigne la négociation collective européenne à Paris-13. Diplômée en sociologie de Paris-Sorbonne et de l'université de Chicago, elle a travaillé à l'Afpa, dans les services d'études et de prospective sur l'évolution des emplois et des qualifications et sur le travail des femmes.

Elle a été, dans les années 1980, secrétaire confédérale à la CFDT et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Elle est l'auteur du livre Pour en finir avec la fin du travail (éd. de l'Atelier, 1998) et de nombreux articles, dont l'un, dans la revue Mouvements n° 43, janvier 2006 (éd. La Découverte), est consacré à la difficulté pour les syndicats de rester en phase avec les transformations récentes du travail.

Auteur

  • Pauline Rabilloux