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Le chantier sur l'égalité doitaussi s'adresser aux hommes

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 14.02.2006 | parAnne Bariet

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Le chantier sur l'égalité doitaussi s'adresser aux hommes

Crédit photo parAnne Bariet

L'égalité professionnelle telle qu'elle est présentée par les entreprises tend à enfermer les salariés concernés dans deux catégories étanches et caricaturales : les hommes (la norme) et les femmes (une minorité).

E & C : Selon votre étude (1), pourquoi les entreprises font-elles «fausse route» lorsqu'elles conçoivent des chantiers sur l'égalité professionnelle hommes/femmes ?

Pascale Levet et Juliette Ghiulamila : Leur représentation autour des rôles sexués est encore très traditionnelle. Or, aujourd'hui, 45,7 % des actifs sont des actives, ce qui signifie que la discrimination est un phénomène qui concerne près de la moitié de la population active ! Concrètement, lorsqu'on balaie les grands objectifs généralement posés dans les accords négociés au sein des entreprises, on s'aperçoit, en effet, que l'égalité hommes/femmes, c'est bien souvent permettre aux femmes de faire comme les hommes, de «devenir» des hommes - accéder aux mêmes métiers que les hommes, aux mêmes échelons hiérarchiques... - et de vivre mieux leur maternité dans une organisation aux standards «masculins». A aucun moment, ce modèle, qui fait le lit de la plupart des inégalités, n'est remis en question. D'où une forme de rejet de la part des femmes ou, du moins, un regard prudent sur les promesses de ces chantiers.

E & C : Que veulent les femmes ?

P. L. et J. G. : Les femmes sont, parfois, plus encore que les hommes, encombrées par les stéréotypes sexués, stéréotypes qui les enferment mais les réconfortent à la fois. Du coup, elles ne veulent pas d'une égalité qui aurait pour objectif d'en «faire des hommes». D'autant qu'aujourd'hui, les quelques femmes qui ont réussi «comme des hommes» sont rarement des modèles pour elles. Parce que ces femmes ont dû faire des sacrifices du côté de leur vie privée pour «arriver» ; parce que, bien souvent, ces femmes sont «dures», «méchantes», «pires que des hommes», disent-elles... En outre, lorsque ces projets d'égalité visent à faciliter la vie des femmes dans leur rôle de mère, ils ne s'adressent qu'aux futures mères ou aux femmes ayant des enfants, notamment en bas âge. Généralement positionnés sous un angle «cause des femmes», ces chantiers se voient rejetés par nombre d'entre elles - qui refusent d'être vues comme des victimes ou uniquement comme des mères qu'il faudrait protéger -, mais aussi par beaucoup d'hommes.

E & C : Quelles approches préconisez-vous pour changer les règles du jeu ?

P. L. et J. G. : Le thème de l'égalité est, jusqu'ici, envisagé comme un sujet «éthique», un sujet parfois militant, opportuniste, jamais comme un sujet qui interrogerait la performance des pratiques de gestion. Or, que penser de la performance d'un système de gestion de carrière qui finit par ne promouvoir que les hommes ? Que penser d'un turn-over dans les échelons de l'encadrement qui est fait à 80 % de femmes ayant eu, dans les années précédentes, un ou deux congés de maternité ? Que penser de la performance d'une politique de recrutement dont l'objectif serait d'atteindre la mixité et qui ne recueille que des candidatures d'hommes (ou «pire»... que de femmes) ?

E & C : Comment sortir des stéréotypes et changer les indicateurs ?

P. L. et J. G. : Pour être efficaces, ces chantiers ne doivent pas s'adresser uniquement aux femmes. La prochaine étape est de partir des inégalités qui peuvent également concerner les hommes. Toutes les mesures à destination de la famille, par exemple, ne devront plus être représentées uniquement et systématiquement comme des mesures destinées aux femmes. Journées enfant malade, assistance à la recherche d'une nounou... Ce sont les parents qui en seront désormais destinataires.

De la question du «problème» de la maternité, l'entreprise doit aller vers la parentalité et le «family friendly» qui permettent de cibler les pères autant que les mères. Il faut aussi que l'entreprise cesse de présenter les temps partiels comme naturellement féminins, qu'elle abonde le congé paternité comme elle le fait avec le congé maternité... Par ailleurs, elle a tout intérêt à faire connaître les «contre-exemples», les parcours des hommes évoluant dans des «métiers de femmes» et plus uniquement ceux des femmes allant vers des métiers d'hommes.

E & C : Que pensez-vous des approches sur la diversité ?

P. L. et J. G. : On assiste à un glissement de la thématique hommes/femmes vers celle de la diversité. L'égalité paraît moins «sexy». Le problème ? Les entreprises vont être obligées de «ranger» les individus dans des catégories (les femmes, les Blacks, les beurs...).

Pour échapper à cet écueil, elles n'auront qu'une solution : reconnaître explicitement que les individus sont différents, qu'il ne sont pas égaux et que la GRH doit en tenir compte, qu'elle doit imaginer des outils RH vraiment individualisés et des régulations qui font obstacle au cumul des inégalités. Les entreprises doivent développer des pratiques réellement dédiées à une gestion individualisée des ressources humaines.

(1) De l'égalité à la diversité : les hommes, les femmes et les entreprises.Lab'Ho, février 2006.

Pascale Levet

Les yeux ouverts, Marguerite Yourcenar et Matthieu Galey, éditions Centurion, 1980.

L'élégance des veuves, Alice Ferney, Actes Sud, 1999.

Un nouveau paradigme, Alain Touraine, Fayard, 2005.

Juliette Ghiulamila

L'amour en plus : histoire de l'amour maternel du 17e au 20e siècle. Elisabeth Badinter, Flammarion, 1980.

La pastorale américaine, Philip Roth, éditions Gallimard, 1999.

Un tout petit monde, David Lodge, éditions Rivages, 1992.

parcours

Pascale Levet, diplômée d'ICN et titulaire d'un DEA en sciences de gestion, a commencé sa vie professionnelle à l'EM Lyon comme chercheuse, puis a rejoint le Groupe Adecco. Elle dirige le Lab'Ho depuis 1999 et enseigne à l'IAE Lyon-3.

Juliette Ghiulamila, diplômée de Sciences po Paris, a d'abord été journaliste spécialiste en presse économique et management pendant une quinzaine d'années, avant de rejoindre le Lab'Ho en 2003 en tant que chargée d'études.

Auteur

  • parAnne Bariet