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« La présélection, enjeu majeur du e-recrutement »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 24.01.2006 | Rodolphe Helderlé

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« La présélection, enjeu majeur du e-recrutement »

Crédit photo Rodolphe Helderlé

Les problèmes d'inadéquation entre offres et demandes d'emploi s'amplifient en matière de recrutement en ligne. Des systèmes de filtrage automatique des candidats se développent. Les demandeurs d'emploi subissent, en outre, une concurrence de plus en plus marquée des chercheurs passifs.

E & C : Vous estimez qu'en matière de e-recrutement, la proportion d'informations non pertinentes va augmenter, tant du côté des recruteurs que de celui des candidats. Vous parlez de «bruit». Quelles en sont les causes ?

Yannick Fondeur. : Ce «bruit», qui se traduit par des candidatures mal ciblées, des offres d'emploi mal structurées ou ne correspondant pas à une réalité, découle directement de la facilité de publication et de l'accessibilité que permet l'Internet. Il y a un lien étroit entre «bruit» et «transparence». Ce phénomène va s'amplifier avec, notamment, les nouveaux sites de petites annonces généralistes qui proposent aux entreprises, et notamment aux PME, de mettre en ligne gratuitement leurs offres.

Dans le même temps, les moteurs de recherche verticaux, spécialisés dans l'indexation des offres d'emploi, vont se développer et contribuer à accroître leur visibilité. Ces moteurs vont, en outre, permettre de faire remonter ces offres, jusque-là publiées exclusivement sur les sites des entreprises. Tout cela crée les conditions d'un «bruit» grandissant.

E & C : Comment les recruteurs limitent-ils l'explosion des candidatures ?

Y. F. : Ce sont des moyens informatiques de traitement massif de l'information qui sont mis à disposition des recruteurs afin de les aider à filtrer ces flux de candidatures. Un recruteur peut très bien paramétrer ses filtres pour présélectionner exclusivement les candidats qui se prévalent de tels niveaux de diplômes, de telles ou telles écoles ou, encore, ceux qui sont en poste. Une présélection «à la hache» se développe. Ce n'est pas la bonne solution dans la mesure où les recruteurs vont passer à côté de très bonnes candidatures. L'approche peut être très réductrice si l'outil est utilisé sans nuances. La présélection va devenir un enjeu majeur en matière de recrutement en ligne. On voit, d'ailleurs, arriver sur le marché des prestataires spécialisés, qui se chargent d'identifier les CV en adéquation avec les besoins de leurs clients.

E & C : N'y a-t-il pas d'autres moyens que la présélection sur des critères rigides pour améliorer l'adéquation de l'offre et de la demande ?

Y. F. : Les sites emploi spécialisés représentent une autre façon de réduire le «bruit», en amont cette fois. Ces sites de niche continuent de se développer malgré la concentration qui s'opère sur les sites emploi généralistes. Ils ont leur place. Avec quelques centaines d'offres, ils peuvent être rentables, car ils ont la possibilité de tourner avec des ressources humaines très limitées.

Sur le marché des médias de recrutement, les technologies Internet ont permis d'abaisser ce que les économistes appellent les «barrières à l'entrée». Par ailleurs, la qualité de l'information serait améliorée si tous les acteurs de l'emploi s'entendaient sur un standard au niveau de la structuration et de la nomenclature des offres. Cette standardisation permettrait, in fine, aux recruteurs et aux candidats, de mieux trier les informations pertinentes pour eux.

Les travaux du HR-XML consortium - un regroupement d'éditeurs et d'acteurs du e-recrutement qui travaillent sur les normes des offres d'emploi en ligne - avancent sur ce terrain, mais la question des nomenclatures apparaît délicate au moment où l'on ne jure que par les «folksonomies»*. Les services publics de l'emploi européens travaillent actuellement sur des standards communs, mais le consensus est difficile. A l'opposé de cette démarche rationalisatrice, certains recruteurs expérimentent des processus sociaux de recherche et de tri de candidatures en réseau, au travers des systèmes professionnels de cooptation en ligne ou des plates-formes de mises en relation. Mais il est encore trop tôt pour juger pleinement de l'efficacité de ces nouvelles pratiques.

E & C : Les recruteurs tendent à privilégier les candidatures de profils déjà en poste. Vous estimez que l'Internet renforce cette tendance. Quelles sont les conséquences pour les demandeurs d'emploi ?

Y. F. : La «transparence» de l'Internet facilite les candidatures de personnes déjà en poste, mais qui restent à l'affût de la moindre opportunité. La profondeur du marché du travail augmente donc avec une concurrence accrue pour les demandeurs d'emploi. Cette réalité du marché de l'emploi sur l'Internet ne manque pas d'interroger l'ANPE, qui a à la fois pour missions d'en accroître la transparence et d'agir de manière contre-sélective pour favoriser l'embauche des chômeurs les plus éloignés de l'emploi. En effet, le public qui consulte le site de l'ANPE compte une part importante de chercheurs passifs. Désormais, les offres d'emploi sont publiées en temps réel sur le site. A partir de là, une personne déjà en poste peut postuler alors que, dans le même temps, un conseiller va identifier un demandeur d'emploi susceptible d'être candidat sur la même offre.

* Processus de classification collaborative par des mots clés librement choisis.

Penser le monde, Sebastiao Salgado, Bibliothèque nationale de France, 2005.

Une presse sans Gutenberg, Bruno Patino et Jean-François Fogel, Grasset, 2005.

Les réseaux sociaux, Alain Degenne et Michel Forsé, Armand Colin, 2de édition, 2004.

parcours

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et titulaire d'un DEA d'économie du travail, Yannick Fondeur est chercheur à l'Ires. Il a particulièrement travaillé sur l'emploi des jeunes. Il a participé à l'ouvrage Les mutations de l'emploi en France (éd. La Découverte, octobre 2005).

Il est le coauteur, avec Carole Tuchszirer, également chercheuse à l'Ires, d'une étude sur L'Internet et les intermédiaires du marché du travail, en 2005, financée par l'ANPE.

Ils animent ensemble un blog dédié à leurs recherches sur l'emploi : <www.surlemploi.com>

Auteur

  • Rodolphe Helderlé