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Un systeme a bout de souffle

Enquête | publié le : 17.01.2006 | Jean-François Rio

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Un systeme a bout de souffle

Crédit photo Jean-François Rio

Une tarification complexe qui n'incite guère les entreprises à faire de la prévention, une politique de réparation discriminatoire pour les victimes du travail, un budget chroniquement déficitaire... La branche accidents du travail-maladies professionnelles de l'assurance maladie mérite une profonde réforme. C'est l'un des défis qui attend les partenaires sociaux cette année.

Le coup d'envoi de la négociation sur la réforme de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) a été donné juste avant la trêve des confiseurs. Mine de rien, les partenaires sociaux ont devant eux une formidable opportunité : celle de remettre à plat un système qui n'a guère bougé depuis 1945 ! Parmi les sujets qu'ils devront aborder : la tarification, la gouvernance de la branche, la réparation pour les victimes du travail et, en filigrane, l'organisation de la prévention des risques professionnels. Une chance à saisir, donc, si tant est que les négociateurs s'en donnent la peine. Car, contrairement au lourd et périlleux chantier de l'assurance chômage, le temps paraît ici moins compté.

Le principe de cette négociation a été acté dans le cadre de la loi du 13 août 2004 sur l'assurance maladie. A l'époque, un délai d'un an avait été fixé par le législateur pour entamer des discussions. Changement de présidence au Medef faisant, la première séance n'a pu se tenir que le 20 décembre dernier, et le prochain round est programmé au 3 février. Pour autant, certains observateurs jugent qu'il est urgent de prendre son temps.

Urgence relative

Le déficit de la branche, certes élevé, reste bien dérisoire par rapport à ceux de l'Unedic et du régime général de l'assurance maladie. En outre, la complexité du dossier, ses enjeux financiers et humains n'imposent nullement une négociation au pas de charge. « L'urgence de la réforme n'est pas absolue. Je regrette, toutefois, que les partenaires sociaux n'aient pas saisi la balle au bond lors de la discussion sur l'assurance maladie », observe Gilles Evrard, le directeur des risques professionnels à la Cnam.

Pressé d'aboutir

Seul le Medef paraît finalement pressé d'aboutir. « Je souhaiterais que cette négociation soit bouclée avant l'été », indique Véronique Cazals, directrice de la protection sociale au sein de l'organisation patronale. Il faut dire que la branche AT-MP est financée exclusivement par les employeurs et que ceux-ci ont, depuis les arrêts de la Cour de cassation de février 2002, une obligation de sécurité vis-à-vis de leurs salariés.

Négociation ardue

Autre sujet d'agacement pour la partie patronale : que l'Etat reprenne le dossier en main. Déjà, le relèvement, décidé unilatéralement par le gouvernement, du taux de cotisation AT-MP de 0,1 % au 1er janvier 2006 - représentant 100 millions d'euros de plus dans les caisses de la branche - a fait grincer certaines dents. Dans ce billard à trois bandes - Etat, syndicats, patronat -, la négociation s'annonce, quoi qu'il advienne, ardue. En premier lieu, sur les questions financières. Avec un trou de 500 millions d'euros l'an dernier et de 600 millions prévus en 2006, le déficit de la branche ne cesse de se creuser. En 2004, il atteignait 184 millions d'euros. L'écart entre ces exercices s'explique par l'augmentation des transferts au profit du Fiva (Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante). Ainsi, la branche a prévu de verser 315 millions d'euros en 2006, contre 200 en 2005 et 100 en 2004.

Pingrerie de l'Etat

La dotation de l'Etat au Fiva devrait, quant à elle, s'élever à 50 millions d'euros cette année contre... 0 en 2005 ! Une attitude qui, pour nombre d'experts, relève de la pingrerie, alors que l'Etat a été reconnu responsable dans l'affaire de l'amiante.

Pour les représentants des employeurs, une prise en charge financière nettement plus élevée apporterait une bouffée d'oxygène à la branche, ce qui soulagerait les entreprises.

Pratiques discriminatoires

Pour les syndicats et les associations de victimes, une dotation des pouvoirs publics plus conforme à l'ampleur du drame de l'amiante permettrait de mieux réparer les autres pathologies professionnelles et d'éviter, ainsi, des pratiques de réparation discriminatoires entre une victime de l'amiante, bénéficiant d'une réparation intégrale, et celle d'une autre maladie professionnelle, partiellement indemnisée.

« Sur le plan purement financier, l'amiante a servi de détonateur », souligne Jean-François Naton, conseiller fédéral santé et protection sociale à la CGT et administrateur de la branche AT-MP. « Il faut aussi se dire la vérité : par exemple, dans le cadre des départs amiante, des salariés partent en retraite alors qu'ils n'ont jamais été en contact avec la fibre, même si celle-ci a bien été manipulée dans leur entreprise, mais par d'autres salariés », ajoute Véronique Cazals, directrice de la protection sociale au Medef.

Envolée des TMS

Autre constat, plus humain cette fois : l'envolée des cas de maladies professionnelles inquiète. Au premier rang de ces pathologies, les troubles musculo-squelettiques (TMS) monopolisent les débats. Le nombre de cas de TMS liés au travail a été multiplié par 10 en dix ans. En 2002, avec 21 000 cas, les TMS ont représenté 70 % des pathologies reconnues au titre des maladies professionnelles. Cette progression fait écho à la dégradation des conditions de travail soulevée par les médecins du travail au travers des différentes enquêtes Sumer. Si le patronat admet qu'il convient de juguler la hausse de ces pathologies, il affirme, cependant, que son origine s'explique davantage par l'amélioration des conditions de reconnaissance que par le laxisme des entreprises sur le plan de la prévention.

Sous-déclaration des AT-MP

Pour les syndicats, les AT-MP souffrent, au contraire, d'une sous-déclaration, phénomène déjà mis en lumière par la Cour des comptes. « Une partie considérable des AT bénins ne sont pas déclarés en AT mais entrent dans les dépenses de l'assurance maladie. Pour les maladies professionnelles, c'est la même chose, avance Jean-François Naton, de la CGT. Chaque année, environ 1 500 cancers sont reconnus d'origine professionnelle alors que l'Institut national de veille sanitaire (INVS) estime à 25 000 le nombre de cancers liés au travail. » Pour compenser cette sous-déclaration, la Cnamts signe, depuis 2004, un chèque de 300 millions d'euros à l'assurance maladie.

Baisse hétérogène

Enfin, sur le front des accidents du travail, la baisse progressive observée depuis environ trente ans est loin d'être homogène. Avec les salariés travaillant dans des secteurs à risques (BTP, transport, agroalimentaire...), les victimes sont majoritairement les jeunes et les précaires. « Tout le monde est d'accord sur une chose : il faut absolument inciter les entreprises à faire de la prévention », résume Pierre-Yves Montéléon, responsable de la santé au travail à la CFTC. D'où l'idée de revoir le système de tarification des AT-MP, jugé peu incitatif. Assurément, l'enjeu central de cette négociation.

L'essentiel

1 Avec plus d'un an de retard sur le calendrier prévu par le législateur, les partenaires sociaux ont entamé, le 20 décembre dernier, les premières discussions sur la réforme de la branche AT-MP.

2 L'enjeu est de taille : la tarification des AT-MP ne joue plus son rôle d'aiguillon pour la prévention, la branche cumule les déficits, et les victimes de maladies professionnelles n'ont jamais été aussi nombreuses.

3 Au-delà des différentes thématiques qui jalonneront la négociation, les partenaires sociaux ont l'opportunité de remettre à plat un système qui n'a guère évolué depuis 1945.

Auteur

  • Jean-François Rio