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Les clés d'une possible réforme

Enquête | publié le : 17.01.2006 | J.-F. R.

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Les clés d'une possible réforme

Crédit photo J.-F. R.

Gouvernance, tarification, réparation, voilà comment les partenaires sociaux abordent la réforme de la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

« Notre feuille de route ? Négocier dans le cadre fixé par le législateur, réfléchir à l'amélioration du système sans pénaliser financièrement les entreprises. » C'est en ces termes que Véronique Cazals, directrice de la protection sociale au Medef, définit la ligne de conduite patronale. Le 20 décembre dernier, lors de la première séance de discussions, les partenaires sociaux ont décidé de créer quatre groupes de travail consacrés à la prévention des risques professionnels dans le cadre de la politique de la branche ; aux chiffres-clés et aux tableaux de bord ; à la tarification des accidents du travail et des accidents de trajet ; à la réparation des maladies professionnelles et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).

Prévention avant tout

Les organisations syndicales arrivent, semble-t-il, en ordre serré dans cette négociation. Avec un préalable : conserver la branche dans le giron de l'assurance maladie. La revendication principale porte sur la recherche d'un système de tarification plus incitatif, devant conduire les entreprises à mettre les bouchées doubles en matière de prévention. « Il y a un mal français, note Rémy Jouan, secrétaire national de la CFDT en charge de la politique revendicative. On part toujours de la réparation, jamais de la prévention. L'amiante en est l'illustration parfaite. »

Manque de moyens

A minima, une simplification, qui permettrait de rendre lisible le système nébuleux de tarification des AT-MP, est réclamée par les syndicats. Lesquels tiennent aussi beaucoup à la réparation intégrale pour les victimes du travail. Plus globalement, chaque centrale souhaite revoir l'organisation de la prévention des risques professionnels.

Principales critiques : un paysage éclaté et un manque cruel de moyens pour les acteurs de la prévention. « Il manque, actuellement, 900 inspecteurs du travail, ce qui place la France en dessous de la moyenne européenne », remarque Rémy Jouan.

Côté associations de victimes, la Fnath, Association des accidentés de la vie, souhaite que la négociation mêle « prévention et réparation avec, en toile de fond, la recherche d'un système incitatif simple et efficace ». Pour Marcel Royez, son secrétaire général, un véritable débat public doit, en outre, s'engager au Parlement : « Le législateur doit s'emparer du sujet et ne pas être une simple chambre d'enregistrement de la négociation. »

> Gouvernance de la branche

Sur le papier, la gouvernance de la branche est, a priori, le sujet le moins sensible. A l'exception de la CGT, qui dénonce un paritarisme tronqué, dominé de façon excessive par le patronat qui serait « juge et partie », les autres centrales syndicales admettent plus facilement que les payeurs - en l'occurrence les entreprises - soient aussi ceux qui tiennent les rênes de la branche.

A la CFE-CGC, Bernard Salengro, responsable des questions de santé au travail, déplore davantage un manque de moyens pour les administrateurs de la branche. « Ils sont incapables de mener des audits, de faire des études », affirme-t-il. Un point de vue que partage le directeur des risques professionnels de la Cnam : « Ce n'est qu'en 1995, explique Gilles Evrard, qu'a été créée la commission accidents du travail et des maladies professionnelles. C'est un progrès, mais ce n'est pas suffisant. Un autre pas est nécessaire pour que la branche s'investisse pleinement dans la gestion des risques professionnels à long terme, et ce, avec plus d'autonomie. » En outre, certains souhaitent que les associations de victimes, Fnath et Andeva (Association nationale des victimes de l'amiante) en tête, puissent tenir un rôle beaucoup plus affirmé. « Il nous semble anormal que la Fnath, qui représente depuis quatre-vingts ans les victimes du travail, qui est à l'origine de bon nombre de décisions réglementaires et qui siège à la Cnam, soit absente de la branche », peste Marcel Royez.

> Tarification des AT-MP

A l'évidence, la tarification des AT-MP est le dossier le plus épineux de cette négociation. La question : comment inciter les entreprises à prévenir les risques en agissant sur le levier de la cotisation ? Autrement dit, il s'agit de responsabiliser davantage les chefs d'entreprise via une carotte financière. « Les Etats-Unis ont réglé cette question via les assurances privées, en instaurant un système de bonus-malus. Aujourd'hui, la France se trouve confrontée au même défi », observe Rémy Jouan.

Le mécanisme du bonus-malus, qui permettrait de moduler les cotisations en fonction du nombre de sinistres, est dans l'air du temps. « Le système actuel, opaque et hypocrite, ne récompense pas assez vite les entreprises qui font des efforts de prévention et ne pénalise pas assez les entreprises dangereuses », illustre Marcel Royez.

Une chose est certaine : l'inefficacité de la tarification, dénoncée, entre autres, par l'Institut général des affaires sociales (Igas), est patente. Tout d'abord, en raison de sa complexité : il existe environ 300 taux de cotisation et, pour une activité économique donnée, il n'y a pas moins de 800 numéros de risque ! Ensuite, parce que le principe retenu est celui de la mutualisation.

Pour les entreprises de moins de 200 salariés, qui sont aussi les plus nombreuses, est pris en compte un taux moyen de cotisation par secteur d'activité. Pour les entreprises de plus de 200 salariés, la cotisation est certes fixée individuellement, mais en fonction de la sinistralité observée lors des trois dernières années. Bonjour la réactivité ! Sans compter la tendance, très prégnante dans les grandes entreprises, à externaliser le risque.

En théorie, pour les sociétés de plus de 200 salariés, le système devrait naturellement inciter à la prévention. Or, selon un rapport de mission de l'Igas, il n'en est rien. D'après l'institut, les taux sont vraiment différenciés pour les accidents graves, heureusement les plus rares.

« Peut-être qu'un taux individualisé dans les PME permettrait de récompenser les entreprises vertueuses », soulève Christian Lesouef, responsable des risques professionnels à la Fédération nationale des travaux publics. Seul impératif : faire en sorte que le mécanisme ne plombe pas les comptes des petites entreprises, en particulier celles évoluant dans les secteurs les plus exposés. « L'objectif de la tarification est de recouvrer les dépenses de la branche. Depuis 1945, le taux de fréquence des accidents du travail a été divisé par trois, tempère Gilles Evrard, directeur des risques professionnels à la Cnam. Avant de penser à l'incitation, commençons par simplifier le système. »

> Réparation intégrale

Chère aux organisations syndicales et aux associations de victimes, la mise en place d'une réparation intégrale, qui a fait l'objet de nombreux rapports, dont les plus connus sont ceux de Roland Masse et de Michel Yahiel, permettrait de réparer une injustice. Pourquoi les ayants droit d'une victime de l'amiante sont-ils mieux indemnisés, dans le cadre du Fiva, que ceux d'une victime d'un cancer professionnel lié, par exemple, au benzène, indemnisés de façon forfaitaire ?

Au-delà de cette discrimination, la mise en oeuvre de la réparation intégrale permettrait d'éviter une judiciarisation de la santé au travail. « Au sein du Fiva, 95 % des dossiers ne sont pas pris en charge par la justice, indique Rémy Jouan. La réparation intégrale règle le problème de la faute inexcusable. »

Reste une question de gros sous. « La réparation intégrale est très coûteuse. D'ailleurs, elle n'existe pas dans les autres pays européens. Et puis, où placer le curseur ? Pour quel niveau de gravité faut-il du forfaitaire ou de la réparation intégrale ? Le mieux est de trouver une répartition stable entre l'alimentation de l'Etat et celle de la branche », plaide Gilles Evrard.

« Il faut desserrer l'étau du financement. Les entreprises ne pourront pas assumer seules l'ensemble de la réparation. L'Etat doit davantage contribuer au coût humain de l'amiante, dont il a été jugé responsable par le Conseil d'Etat », martèle Marcel Royez. A moins que les salariés mettent aussi au pot ,comme l'a suggéré le Medef, sur le ton de la boutade, lors de la réunion du 20 décembre.

Auteur

  • J.-F. R.