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L'UE doit aider ses nouveaux membres à préserver le social

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 17.01.2006 | Anne Bariet

Pour rester compétitifs, les nouveaux Etats membres de l'Union européenne semblent avoir privilégié des formes d'emploi et de travail non régulées. La fin du modèle social européen ? Tout dépendra de la volonté politique de l'Europe de préserver une dimension sociale.

E & C : Quel bilan dressez-vous de l'élargissement de l'Union européenne en termes de salaire et de conditions de travail ?

D. V.-W. : Finalement, le processus d'élargissement a été déséquilibré au détriment des nouveaux Etats membres. L'Union a demandé de nombreux efforts à ces nouveaux pays mais, en contrepartie, elle n'a pas été très généreuse à leur égard : contrairement au Portugal ou à la Grèce, ils n'ont pas bénéficié d'une augmentation des fonds structurels pour combler leur retard économique et social. Pour s'adapter, les entreprises ont dû restructurer. Mais c'est clairement une stratégie de survie qui s'est mise en place : les salaires et les conditions de travail en ont pâti. Alors même qu'on libéralisait les prix, les salaires ont été volontairement laissés à la traîne et les conditions de travail se sont dégradées. Le passage à l'économie de marché a imposé des cadences accélérées et une durée du travail allongée : les pointes de plus de 50 heures par semaine sont fréquentes. Elles concernent 20 % des salariés, en moyenne, contre 10 % dans l'Union des Quinze.

E & C : Vous parlez d'une ruée vers les formes atypiques d'emploi...

D. V.-W. : Pour surmonter la crise généralisée de la production et faire face au processus de restructurations auquel elles étaient confrontées, les entreprises se sont, en effet, rapidement éloignées de la garantie de la stabilité de l'emploi qui dominait dans l'ancien régime. On constate une ruée des employeurs vers toutes les formes flexibles d'emploi. Le pourcentage de travailleurs indépendants est déjà au-dessus de la moyenne de l'UE des Quinze dans plusieurs nouveaux Etats membres. En Pologne ou à Chypre, plus d'un salarié sur cinq a le statut d'indépendant. Cette pratique a un avantage : pour les employeurs, c'est un moyen d'éviter de payer les cotisations sociales et impositions diverses tout en échappant à la législation du travail. Les travailleurs sont ainsi couverts par le Code civil et non plus par le Code du travail. Pour les salariés, c'est une meilleure alternative que le chômage, surtout en présence d'une crise des syndicats et d'une faiblesse généralisée du dialogue social.

Les entreprises ont aussi multiplié les CDD et les embauches par le biais d'agences d'intérim. La proportion de CDD est passée du niveau zéro à plus de 10 % de la population active, en 2003, dans l'ensemble des nouveaux pays membres.

Par ailleurs, en Pologne et en Hongrie, le cumul de différents contrats est proposé aux salariés, avec, par exemple, un contrat en bonne et due forme, complété par un autre en indépendant pour couvrir d'autres tâches ou responsabilités, ou pour rémunérer les heures supplémentaires bien en dessous de ce qu'elles devraient être. Ce phénomène, dit de «contrats multiples», rend évidemment très difficile tout contrôle de la part des autorités.

E & C : Quel rôle ont joué les multinationales ?

D. V.-W. : Même si elles ont contribué à la croissance, elles n'ont pas oeuvré à un rattrapage social par leurs comportements. Elles se sont surtout fait remarquer par leur absence de politique sociale, leur faible inclination à mettre en place des structures de dialogue social ou à accepter l'acteur syndical, à l'image des entreprises allemandes Siemens et Bosch, qui se débarrassaient des syndicats de leur entreprise, ou encore des filiales des grandes chaînes de supermarchés français qui imposaient, en Pologne, comme dans d'autres pays de la région, un climat social et des conditions de travail difficiles, bien loin des normes de l'Union européenne. L'autre problème tient au fait qu'elles sont imprévisibles, certaines d'entre elles cherchant déjà à partir plus à l'est (par exemple IBM, qui a quitté la Hongrie). Cela montre la vulnérabilité des nouveaux Etats membres, dont les économies restent dominées par l'investissement étranger. Car alors, qu'advient-il de leur économie locale ?

E & C : Est-ce la fin du modèle social européen ?

D. V.-W. : L'équilibre entre «flexibilité» et «sécurité», tant recherché au sein de l'Union européenne, n'apparaît pas chez les nouveaux membres, qui semblent avoir déjà privilégié des formes d'emploi et de travail non régulées. Cela signifie-t-il que leur arrivée dans l'Union européenne sonne le glas de la sécurité ? Il est vrai que la forte croissance, dont la plupart de ces pays ont bénéficié ces dernières années, a permis une amélioration sensible de tous les indicateurs économiques sans pour autant entraîner un progrès similaire dans le champ social, les salaires, les allocations sociales, et les indemnités chômage, et, plus généralement, les niveaux de vie, qui restent à la traîne. Cela requiert tout d'abord un plus grand élan de solidarité de l'UE envers ces pays, mais aussi des messages plus forts sur le social. Tout dépendra de la volonté politique de l'Union européenne, qui peut aussi chercher à maîtriser la globalisation tout en gardant une dimension sociale. C'est donc un signal d'alarme qu'il nous faut tirer afin que tous les acteurs sociaux passent à l'action, mais aussi, avec eux, l'ensemble des citoyens européens.

ses lectures

Tristes tropiques, Claude Lévy-Strauss, Plon, 1955.

Rhinocéros, Eugène Ionesco, Gallimard, 1960.

Le petit prince, Antoine de Saint-Exupéry, Gallimard, 1946.

parcours

Daniel Vaughan-Whitehead est en charge des politiques salariales et des conditions de travail auprès de l'OIT (Organisation internationale du travail), à Genève. Il est docteur ès sciences économiques de l'Institut universitaire européen de Florence, où il a écrit sa thèse sur la participation financière des salariés.

Membre du groupe des conseillers de Jacques Delors à la Commission européenne à la fin des années 1980, il a oeuvré ensuite, de 1991 à 1999, à la reconstruction des pays d'Europe centrale et orientale avec l'équipe de l'OIT basée à Budapest. De 1999 à 2003, il a mis cette expérience au service de la Commission européenne, où il était responsable du dialogue social dans le processus d'élargissement.

Auteur

  • Anne Bariet