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Enquête

Mission impossible ?

Enquête | publié le : 10.01.2006 | G. L. N.

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Mission impossible ?

Crédit photo G. L. N.

Les auditeurs RSE sont souvent critiqués, et le principe même des audits de contrôle atteint vite des limites. Sur certains points, cependant, ils se sont parfois montrés efficaces.

Quand Dara O'Rourke, professeur de l'université de Berkeley, en Californie, visite les usines d'Asie en l'an 2000, il est atterré par la piètre qualité des audits réalisés sur les sites par PriceWaterhouseCoopers. Et il signe un article au vitriol dans le New York Times. « Les visites sont préannoncées, dit-il, aucune enquête n'est menée a l'extérieur auprès des ONG ou des groupes religieux qui connaissent la population. Et le directeur de l'usine a tout le temps nécessaire pour faire répéter le discours officiel à ses salariés. »

Bon nombre des accusations portées à l'époque restent d'actualité. L'effondrement de l'usine Spectrum, au Bangladesh, en a administré un tragique exemple en avril dernier ; 64 salariés étaient morts dans les ateliers de ce fournisseur de Carrefour (1), notamment. Les bâtiments, construits en zone inondable et sans permis en règle, avaient pourtant été visités par deux équipes d'auditeurs pour le compte de deux donneurs d'ordres.

Manque d'expérience

De son côté, Clean Clothes Campaign vient de publier les résultats d'une enquête auprès de 670 ouvriers de 40 usines du Bangladesh, de Chine, du Kenya, d'Inde, d'Indonésie, du Maroc, du Pakistan et de la Roumanie (2). L'association mentionne, pêle-mêle, la formation ou l'expérience insuffisantes des auditeurs, la difficulté à saisir la réalité du fonctionnement d'une usine, le coaching préalable des ouvriers par la direction, ou le jour inopinément chômé pour d'autres... Sans compter la faiblesse des actions correctives engagées par la suite. Résultat : si les audits semblent avoir permis des résultats dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité, notamment, pour lequel il est facile de documenter les lacunes et supportable financièrement de les corriger, les questions de la liberté syndicale, du temps de travail, des salaires ou de la discrimination restent difficiles à appréhender.

Croiser les informations

Un auditeur du bureau Veritas participant à la journée d'étude organisée, en novembre dernier, par la direction emploi et affaires sociales de la Commission européenne sur le «Responsible sourcing» reconnaissait une différence entre des hard evidences (preuves matérielles) et des soft evidences pour ces derniers domaines. « Nous pouvons, néanmoins, croiser des informations, nuance Boris Peignot, responsable développement durable de SGS, l'un des leaders mondiaux du contrôle de qualité et de sécurité : notamment les chiffres de production, les feuilles de temps et les entretiens avec des salariés. Par ailleurs, si des dizaines de postes sont inoccupés lors de notre passage, on se posera des questions. »

En quelques années, de l'aveu même du professeur O'Rourke, la formule est devenue plus efficace. Mais il se dit toujours insatisfait, car « ces audits s'attaquent aux symptômes, pas aux racines du mal ». « Si, année après année, les auditeurs constatent un trop-plein d'heures supplémentaires, souligne-t-il, c'est peut-être aussi la faute de l'acheteur américain, qui exige une livraison dans les quinze jours à tel prix. »

Modèle économique en question

Dara O'Rourke voudrait intégrer dans l'audit tous ces éléments en amont de la production : « Nous devrions regarder en profondeur notre modèle économique, souligne-t-il. Etudier les prix, regarder les quantités demandées, examiner les livraisons. »

« Les audits ne sont pas inutiles, mais ils doivent conduire à une réflexion approfondie en interne, estime, pour sa part, Bruno Colombani, responsable éthique pour la centrale d'achat de Casino EMC (lire aussi l'entretien p. 19). En 2005, nous en avons réalisé 62, sans compter ceux de l'Initiative clause sociale, qui rassemble la plupart des grands distributeurs français. Nous restituons les résultats de ces audits aux acheteurs, qui touchent alors du doigt le fait que 50 % des effectifs d'un fournisseur peuvent être payés sous le salaire minimum et cumuler les heures. »

Ce souci s'intègre dans une volonté plus générale de sensibilisation à la RSE des acheteurs et des merchandiseurs de l'enseigne, qui insiste sur les risques économiques : au-delà de l'impact sur la vie des ouvriers, elle souligne les risques de sous-traitance en cascade si les délais imposés sont trop courts, de défauts de qualité en cas d'horaires à rallonge, etc.

Diagnostic RH

« Il faudrait réintroduire les RH dans l'audit RSE, avec leur dimension politique, selon Martine Combemale, auditrice chez Vigeo, mais aussi vice-présidente de l'IAS. Toutes les entreprises ne veulent pas que du contrôle. » Elle est à l'origine, notamment avec le professeur Jacques Igalens, de l'association RH sans frontières (ils viennent de publier ensemble L'audit social, chez PUF, avec une large partie très pédagogique consacrée à l'audit chez les fournisseurs). L'association doit fournir à des sous-traitants et des fournisseurs de pays émergents un diagnostic et un accompagnement dans le domaine des RH et de l'organisation. « La question qu'ils se posent souvent est simplement : quel système mettre en place pour respecter les codes de conduite ? »

(1) Après le drame, Carrefour a réagi rapidement et rejoint des programmes humanitaires d'aide aux familles. Le groupe intègre désormais le contrôle des permis de construire à ses audits de fournisseurs.

(2) Looking for a quick fix. How weak social auditing is keeping workers in sweatshops. Consultable en ligne : <www.cleanclothescampaign.org>

Auteur

  • G. L. N.