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Steelcase déclare la guerre aux TMS

Les Pratiques | Point fort | publié le : 03.01.2006 | Christian Robischon

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Steelcase déclare la guerre aux TMS

Crédit photo Christian Robischon

Pour stopper la dégradation de ses indicateurs de santé au travail, le fabricant américain de mobilier de bureau passe au crible tous les postes de production susceptibles de générer des troubles musculo-squelettiques (TMS). Un chantier qui associe le Kaizen Institute, promoteur du concept «d'ergomotricité».

Fabricant de mobilier de bureau et, à ce titre, désireux d'améliorer le confort de travail de ses entreprises clientes, Steelcase s'applique le précepte à lui-même. Dans ses usines de l'est de la France, le groupe américain s'est engagé dans le combat contre les troubles musculo-squelettiques (TMS). Il pratique, dans ce but, une revue d'ateliers fort détaillée. Entretien avec les salariés, vidéos des gestes, mesure des déplacements, analyse par un groupe de travail associant les opérateurs, le service technique, le chef d'équipe, le médecin du travail et l'ergonome salarié de l'entreprise : la pénibilité de chaque poste est décortiquée pendant deux ou trois jours au regard de 22 critères (hauteur, charge à manutentionner, postures...). Un système de notation, critère après critère, identifie les situations à risque et le groupe de travail dispose de trois semaines à un mois pour apporter les améliorations concrètes. Illustration : pour le vissage des armoires, il a suffi de rapprocher les bacs d'outils pour réduire de moitié la distance parcourue par un salarié, qui atteignait 4 kilomètres par jour ! Un transrouteur motorisé épargne de pousser manuellement l'armoire et un tapis anti-fatigue soulage le travail en station debout.

En deux ans, la démarche a passé au crible 63 postes, représentant un effectif de 300 salariés sur les 800 concernés dans les trois usines d'assemblage de Marlenheim, Sarrebourg et Wisches. L'amélioration, selon la direction, est palpable. Cette dernière annonce une réduction de moitié des salariés en restriction médicale sur poste, dont le nombre est passé de 90 à 48, et prévoit de stabiliser le chiffre sous la barre des 40 en 2006. « Depuis deux ans, les taux de fréquence et de gravité ont chuté de 40 % à 50 % en moyenne », poursuit Christophe Brunschwiller, responsable ergonomie. A Marlenheim, ils sont respectivement passés de 74,8 à 27,9 et de 3,1 à 1,5. Le bilan financier, lui, apparaît moins évident. Difficile, en effet, de savoir si les économies générées (en dépenses de santé, en réduction du nombre d'arrêts de travail...) ont compensé les investissements induits par les aménagements de poste.

Pour la direction, ce travail de fond a toutefois permis d'enrayer la dégradation des indicateurs de santé (multiplication par cinq du taux moyen de gravité, par exemple) qu'avaient subie les usines entre 1999 et 2003, une période marquée par trois plans sociaux. « Les aménagements de poste apportaient une réponse sur mesure. Mais celle-ci pouvait s'avérer inopérante au bout de quelques mois et risquait de transposer le problème en amont ou en aval, voire de coller l'étiquette «handicapé» à celui qui en bénéficiait. Une telle approche devenait intenable avec la mise en place de notre nouvelle organisation de production, baptisée «lean manufacturing» », expose Christophe Brunschwiller. Cette dernière vise un gain de productivité de 30 %, notamment par la généralisation de la production en flux tendus et la disparition des temps inutiles.

Une démarche en cinq temps

Ce vaste travail de refonte associe le Kaizen Institute, promoteur de la célèbre méthode d'organisation japonaise et du concept «d'ergomotricité» (lire encadré p.22). C'est ce dernier que les usines Steelcase appliquent, comme troisième palier d'une démarche en cinq temps : information - sensibilisation des salariés ; dépistage et cartographie des risques TMS ; «ergomotricité» ; listing des sept gestes & postures à bannir qui ressortent comme constantes des analyses de chaque poste ; construction - encore embryonnaire - d'une culture d'entreprise qui éviterait, par exemple, que le nouvel embauché reproduise les erreurs du passé. Dans ce chantier global, « le service RH joue un rôle essentiel de soutien », affirme Christophe Brunschwiller. Il apparaît, en fait, comme un relais d'info et un aiguillon auprès des salariés.

Retour au travail à la chaîne

Les syndicats, cependant, demeurent très réservés sur le bien-fondé de la méthode. « Une démarche participative visant à réduire les TMS, personne ne peut être contre a priori. Mais nous partions de statistiques si mauvaises... Et adhérer totalement serait légitimer le «lean manufacturing», qui marque un retour au travail à la chaîne. La démarche n'apporte pas de solution à ceux qui sont déjà touchés par les maladies professionnelles », affirme Jean-Luc Braun, délégué CFDT de Steelcase France. Ces prises de position expliquent que les CHSCT, sans dénoncer le dispositif, aient gardé leurs distances. « Le «lean manufacturing» vise tout simplement à fabriquer autant ou plus avec moins de monde. Aux réductions de déplacements succèdent les hausses de cadence et la répétition des mêmes gestes à longueur de journée, qui engendre des pathologies (tendinites, syndrôme du canal carpien...) que notre moyenne d'âge de 42 ans ne va pas aider à résorber », renchérit Bruno Pannekoecke, délégué central CGT. Les deux syndicalistes prédisent une « remontée des statistiques de TMS dans les cinq ans qui viennent ».

«Ergomotricité» ou la rencontre entre Michel Gendrier et le Kaizen Institute

«L'ergomotricité» peut se définir comme la compréhension des gestes au travail à partir de l'observation et du recueil des impressions concrètes des salariés, de manière à déterminer les postures «justes», à réduire les mouvements pénibles et à proposer des améliorations des conditions de travail en tenant compte de la motricité de chaque salarié. Elle entend comprendre les lois physiologiques de façon à adapter les postes, notamment pour les travailleurs dits «vieillissants».

Cette démarche participative a été inventée par Michel Gendrier. Ancien ouvrier devenu successivement sportif de haut niveau, professeur d'éducation physique, et consultant, il s'est rapproché, en 2000, du Kaizen Institute of Europe, à Paris, pour pérenniser son invention, constatant les centres d'intérêt communs avec la méthode d'organisation japonaise. Popularisée par Toyota, celle-ci ambitionne de réduire les gaspillages et les parts de non-valeur ajoutée dans les entreprises en misant sur une progression continue en cinq étapes : «change mind - method - process - result - culture».

L'amélioration des conditions de travail fait partie des sept objectifs clés du Kaizen. Né il y a vingt ans, le Kaizen Institute compte environ 700 clients en France.

L'essentiel

1 Une soixantaine de postes couvrant 300 salariés ont été analysés en détail en deux ans par des groupes associant les opérateurs, le service technique, le chef d'équipe, le médecin du travail et l'ergonome.

2 La direction annonce une réduction de moitié des taux de fréquence d'accidents et des restrictions médicales sur poste.

3 Les syndicats ne sont pas convaincus et craignent une dégradation des statistiques à moyen terme.

Steelcase

> Activité : aménagement d'espaces de travail.

> Effectifs : 14 000 salariés, 50 usines dans le monde.

> Chiffre d'affaires : 2,6 milliards de dollars en 2004.

Auteur

  • Christian Robischon