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Enquête

Comment integrer les minorites ethniques

Enquête | publié le : 03.01.2006 | Anne Bariet

Dans les discours, le consensus est unanime. Toutes les entreprises condamnent fermement le racisme. Dans les faits, seules quelques-unes défendent des programmes d'intégration des minorités ethniques. Petit vade-mecum des bonnes pratiques.

Coupables ou innocentes ? Avec la vague de violence qui a enflammé une partie des banlieues françaises, les entreprises sont mises en accusation par la société. Leur chef d'inculpation ? Ne pas avoir cherché à intégrer les jeunes issus de l'immigration.

« Au stade de l'embauche, l'origine ethnique, révélée par le faciès, le nom ou seulement l'adresse, est un handicap spécifique et particulièrement invalidant, et là, quel que soit le niveau d'études ou de qualification du candidat, atteste Roger Fauroux, auteur d'un rapport remis, en septembre dernier, au ministre de la Cohésion sociale (1). La discrimination visà-vis des Maghrébins ou des Noirs, qu'ils soient français ou non, est, dans le domaine de l'emploi, largement et impunément pratiquée. » Un testing, réalisé par l'Observatoire des discriminations de l'université de Paris-1, créé par Jean-François Amadieu, professeur de gestion, et financé par Adia, vient confirmer ce que l'ex-Pdg de Saint-Gobain avait observé : les employeurs sélectionnent à partir d'éléments illégaux - le physique, l'âge, le lieu de résidence, l'origine ethnique.

Dans la peau de demandeurs d'emploi

Pour le prouver, six comédiens se sont mis dans la peau de demandeurs d'emploi pendant un mois ; 1 950 CV ont été envoyés de février à mars 2005, en réponse à 325 offres d'emploi pour des postes de commerciaux. Résultat ? L'enquête montre que la candidate d'origine maghrébine obtient trois fois moins de réponses que le candidat de référence, alors que son CV surclasse tous les autres. Son lieu de résidence (une banlieue à mauvaise réputation), son nom et son prénom ont joué un rôle déterminant. Refus polis, peu de convocations, et surtout en banlieue... Les directions des ressources humaines ne sont pas dupes de ces exclusions : selon un sondage Ifop, commandité par APC Recrutement (Agir pour la citoyenneté), 74 % d'entre elles estiment que l'accès à l'emploi des personnes issues des quartiers sensibles est laborieux.

Difficile, toutefois, de mesurer l'ampleur de la discrimination. Le recensement des minorités ethniques au sein des entreprises est interdit en France. Aucune statistique ethnoraciale n'est disponible (Lire Entreprise & Carrières n° 790/91). Quelques entreprises ont cependant pris conscience de l'enjeu. Opportunisme à la veille des départs massifs à la retraite ? Marketing social ? Ou simple peur de représailles juridiques ?

Nouveau comportement

Quelles que soient les motivations des entreprises, Henri de Reboul, délégué général d'IMS-Entreprendre pour la Cité, note un tournant dans les mentalités : « Pendant longtemps, les entreprises ont considéré que les problèmes de discrimination relevaient de la responsabilité de l'Etat ou d'associations spécialisées dans le combat contre le racisme. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Sous la pression des procédures juridiques, elles ont adopté un nouveau comportement. »

Sous surveillance

Les entreprises sont, en effet, sous la surveillance d'associations, notamment de SOS Racisme. Le Moulin-Rouge l'a appris à ses dépens. Le cabaret a été condamné, en 2004, à 1 000 euros d'amende pour avoir refusé d'embaucher un jeune Sénégalais à un poste de serveur. Plus récemment, un charcutier de Compiègne s'est retrouvé devant la justice pour avoir refusé d'embaucher un musulman pour un poste d'employé de cuisine au motif qu'il ne mangeait pas de porc. Le jugement sera rendu le 17 janvier. L'association revendique une quarantaine de procès, impliquant notamment Monoprix, Ikea, Biophase... SOS Racisme déplore « que le gouvernement ne retienne pas la lutte pénale contre les discriminations comme une priorité ».

Sans attendre le projet de loi sur l'égalité des chances, présenté par Dominique de Villepin, le 1er décembre, plusieurs stratégies ont été mises en place. Lancée, il y a un an, par 35 entreprises et l'Institut Montaigne - un think tank patronal -, la charte de la promotion de la diversité rallie, aujourd'hui, près de 260 entreprises. Aux côtés de grands groupes privés tels que PPR, IBM, PSA, Carrefour, ou publics comme la SNCF, La Poste, la RATP, figurent une majorité de PME.

Procédures d'embauche

L'approche peut également être paritaire. PSA a signé, en septembre 2004, un accord sur la diversité et la cohésion sociale avec l'ensemble des syndicats. McDonald's Paris Ile-de-France (70 restaurants) a fait de même.

Le CV anonyme, ardemment défendu par SOS Racisme, recueille également quelques suffrages. Expérimenté par AXA, dès 2004, il est, aujourd'hui, défendu par Adia et l'ANPE. D'autres entreprises insistent sur une plus grande objectivité dans les procédures d'embauche. Ainsi, la méthode des habiletés développée par l'ANPE, reposant uniquement sur le savoir-faire des candidats, est mise en avant.

La discrimination positive, c'est-à-dire favoriser l'accès à l'emploi des minorités visibles, y compris en instaurant des quotas dans les entreprises, défendue par Yazid Sabeg, auteur d'un rapport sur le sujet (2), et par Nicolas Sarkozy, suscite, en revanche, plus de réticences. « Le principe républicain, c'est l'égalité des chances, ce n'est pas le rattrapage par comptage ethnique », fulmine Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme. L'association met en garde contre ces mesures à l'américaine, alors que, « dans notre pays, on travaille pour que chacun soit considéré comme égal, pas comme différent. » Enfin, d'autres initiatives, partenariats écoles-entreprises, coaching pour les jeunes, clubs locaux d'échange, formations des salariés aux discriminations ont vu le jour...

Une «boîte à outils» pour les employeurs

Les partenaires sociaux ont également pris part au débat. Ils s'attelleront rapidement à une négociation sur le sujet. Quelques réunions bilatérales ont déjà eu lieu. C'est Cathy Kopp, DRH d'Accor, qui mènera, pour le patronat, la discussion à venir. Elle souhaite recenser les bonnes pratiques sur le terrain afin de créer une «boîte à outils» pour les employeurs. Un projet que souhaiterait également réaliser Pierre Fonlupt, président de la commission «Entreprises et société», du Medef, chargé d'animer un groupe de travail sur les banlieues.

Une difficile évaluation des bonnes pratiques

Reste à évaluer ces bonnes pratiques. Le plus dur. Car l'existence de ces dispositifs suffit-elle à prouver leur pertinence ? Quels sont les outils pour tester la fiabilité de telle ou telle démarche ? Novethic, centre de ressources spécialisé sur la responsabilité sociale des entreprises, a tenté d'apporter une partie de la réponse. Il a passé au crible l'ensemble des politiques de non-discrimination des sociétés du CAC 40. Son constat ? Peut mieux faire. La communication des grands groupes à l'égard des minorités ethniques reste très limitée. Dix-huit entreprises seulement mentionnent des dispositifs de promotion des minorités visibles, dont onze assez précisément. Parmi elles, seules quatre signalent des dispositifs liés au recrutement.

Karim Zeribi, président d'APC Recrutement, qui embauche des jeunes diplômés dans les quartiers sensibles, ne veut, toutefois, pas sombrer dans le pessimisme : « Aujourd'hui, le débat est devenu sociétal. Et ce, grâce aux initiatives des groupes privés ou publics. Car même si ces dernières sont quelquefois maladroites, elles ont permis de lever un tabou, de délier les langues et de se poser les vraies questions. La majorité des entreprises, 60 % environ, sont prêtes à revoir leur processus de recrutement. » La politique des petits pas n'est pas forcément une stratégie vaine...

(1) La lutte contre les discriminations ethniques.

(2) Discrimination positive : pourquoi la France ne peut y échapper.

L'essentiel

1 Les entreprises françaises sont souvent mises en accusation par l'opinion parce qu'elles n'ont pas cherché à intégrer les salariés issus de l'immigration.

2 Toutefois, elles ont pris conscience de l'enjeu. Quelles que soient leurs motivations, elles ont mis en place plusieurs stratégies : charte de la diversité, CV anonyme, parrainage, accord avec les partenaires sociaux...

3 Difficile, toutefois, d'évaluer ces dispositifs. Peu d'outils existent pour mesurer la fiabilité de ces démarches. D'autant que le recensement des minorités ethniques au sein des entreprises est interdit en France.

Auteur

  • Anne Bariet