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Enquête

La discrimination solidaire, un autre remède

Enquête | publié le : 20.12.2005 | Marie-Pierre Vega

Immigré marocain, arrivé en France à 20 ans, sans bagages et avec un simple CAP comptable, El Hassan Bouod dirige, aujourd'hui, une entreprise qui a signé la charte de la diversité. Sa société pratique la discrimination solidaire : 90 % de ses salariés sont issus de l'immigration.

Pourquoi signer la charte de la diversité quand l'effectif salarié est à 90 % issu de l'immigration maghrébine ? « Pour participer à la diffusion d'un état d'esprit, à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise », répond El Hassan Bouod, le patron médiatique de Bouod & Cie, une entreprise de transformation et de vente de viande hallal. A 41 ans, il est membre du CJD de Marseille, élu à la chambre de commerce et dirige une PME qui s'est installée sur la zone franche de Marseille, en 1997, quand personne n'y croyait. Sa notoriété n'est plus à prouver dans le cercle des patrons de la région, et il la met au service d'une certaine idée de l'intégration par l'économie. « Je plaide pour la diversité depuis des années et je n'ai pas besoin d'une charte que d'autres utiliseraient comme un outil marketing, prévient-il. J'interprète cette charte comme un processus d'éducation. Elle doit contribuer à changer l'état d'esprit. »

Insertion au quotidien

La charte est reproduite sur un panneau géant à l'entrée des locaux administratifs de l'entreprise, qui mêlent ambiance de laboratoire et décor oriental. « Aucune des entreprises signataires ne répond totalement à ces six engagements, poursuit-il. La barre a été placée un peu haut dès le départ. Il me semble, aussi, que la charte est surtout conçue pour les grandes entreprises qui ont toujours besoin de cadrage, de reporting, d'engagement officiel. Pour une petite entreprise, c'est différent. De l'insertion, car c'est de cela qu'il s'agit, elle en fait au quotidien. »

Cooptation

La zone franche l'oblige à réserver 20 % de ses recrutements (30 % désormais, depuis la dernière évolution législative) aux habitants des quartiers sur lesquels elle s'étend. Lui dépasse la barre des 40 %. Et à Marseille, toute la communauté maghrébine connaît El Hassan Bouod. Ou se recommande de quelqu'un qui le connaît : « Il m'arrive des tas de CV de gens issus de l'immigration qui cherchent un travail, mais n'ont ni diplôme ni qualification. Plus de la moitié de mes postes ne requièrent ni l'un ni l'autre. Quand je veux recruter, il y a aussi toujours un de mes salariés pour me dire que sa soeur, par exemple, cherche du travail. Alors, je la reçois et j'évalue sa motivation. Si je peux compter sur elle, je la recrute. » Résultat : la mixité ethnique prônée dans le chapitre 3 de la charte n'est pas forcément au rendez-vous. « J'ai aussi besoin de gens formés, de bac + 2 à bac + 4, pour des postes de responsable d'encadrement opérationnel ou administratif. Là, je recrute des Français blancs. Car, quand je cherche un chef comptable, je ne reçois pas un seul CV d'une personne issue de l'immigration. »

Diversité cultuelle

La diversité cultuelle est néanmoins une réalité. « Il y a, ici, des musulmans, des juifs et des catholiques. Les fêtes religieuses constituent, pour nous, des moments importants de communication interne. On fait la rupture du Ramadan dans nos murs, on offre de partir plus tôt le soir du 24 décembre, on débat... » Mais de là à en faire un objet de discussion avec les représentants du personnel... « Très franchement, ils ont d'autres priorités. » El Hassan Bouod oppose aussi la réalité à la charte qui engage à «sensibiliser» les collaborateurs à la non-discrimination en matière de formation et de gestion des carrières. « Proposer une évolution par le biais de la formation à nos salariés de bas niveau de qualification, c'est parler chinois. Ce qui les intéresse, c'est le court terme, c'est-à-dire leur fin de mois. Quelques-uns font exception, et ceux-là, nous savons les repérer. »

Bouod & Cie

> Activité : transformation et négoce de viande hallal.

> Effectifs : 110 salariés.

> Chiffre d'affaires 2004 : 21 millions d'euros.

Auteur

  • Marie-Pierre Vega