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La fluidité du marché du travail ne joue pas sur sa performance

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 20.12.2005 | Pauline Rabilloux

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La fluidité du marché du travail ne joue pas sur sa performance

Crédit photo Pauline Rabilloux

Rien ne montre que faciliter l'accès à l'emploi en portant atteinte aux CDI, au Smic et à l'assurance chômage contribuerait à faire baisser le nombre de demandeurs d'emploi. En revanche, la déréglementation en cours pourrait être préjudiciable aux travailleurs et à la compétitivité de la France.

E & C : Que pensez-vous de la théorie qui voudrait que la mauvaise performance du marché du travail en France soit une conséquence de son excessive rigidité ?

Michel Husson : Depuis une dizaine d'années, en effet, et notamment suite aux préconisations de l'OCDE, l'idée prévaut que diminuer le coût du travail, limiter la protection de l'emploi et pratiquer une politique d'indemnisation du chômage incitative à la reprise d'activité pourrait favoriser la création d'emplois. L'idée sous-jacente est qu'un taux de chômage élevé serait à mettre en relation avec un mauvais ajustement du marché de l'emploi aux réalités économiques. Ce discours est d'autant plus discutable qu'il n'existe aucune corrélation nettement établie entre la fluidité du marché du travail et ses performances. Aucune étude ne parvient, en effet, à démontrer réellement l'impact de la rotation sur le taux d'emploi. Celui-ci reste d'abord, à l'évidence, tributaire de la croissance. C'est elle qui permet aussi bien la création d'emplois que les gains de productivité. A l'inverse, les effets positifs supposés de la modération salariale et des réformes structurelles de l'emploi semblent largement compensés par leurs effets dépressifs sur la demande.

E & C : Comment expliquer les mauvais résultats de la France dans sa lutte contre le chômage, comparés à ceux de la Grande-Bretagne, par exemple, plus libérale dans sa politique de l'emploi ?

M. H. : L'examen de ce qui s'est passé entre 1993 et 2003 conduit à une conclusion très claire. Contrairement à ce que l'on prétend parfois, les performances enregistrées en France sont légèrement supérieures à la moyenne. Sur cette période, le taux de chômage a en effet baissé de 1,9 point, passant de 11,6 % à 9,7 %, contre une baisse de 1,2 % pour l'Union européenne. Le taux de chômage reste plus élevé en France que la moyenne européenne mais l'écart s'est réduit. Pendant le même temps, le Royaume-Uni, il est vrai, a fait reculer son taux de chômage de 10,7 % à 5 %. Cependant, la moindre performance française s'explique d'abord par une croissance du PIB inférieure à celle du PIB britannique et par une croissance plus rapide du taux d'activité plutôt que par le libéralisme des politiques de l'emploi anglaises depuis Margaret Thatcher.

Même l'OCDE a fini par reconnaître, en 2004, qu'il est impossible de mettre en lumière un impact positif sur le chômage des réformes du marché du travail dans le sens de la flexibilité et de la fluidité. Si on regarde les chiffres de près, on s'aperçoit que certains pays européens comme le Danemark, par exemple, font reculer leur taux de chômage sans créer plus d'emplois que les autres, simplement en faisant sortir certaines catégories de la population active. Les spécificités des marchés du travail ne peuvent rendre compte de leur efficacité réelle. Les réformes structurelles ne peuvent donc expliquer les réussites et les échecs passés ni constituer une source autonome de création d'emplois. Cependant, sans jouer réellement sur son volume, elles contribuent nettement à façonner la structure de l'emploi, tendant, de l'aveu même de l'OCDE, à précariser certaines catégories de travailleurs.

E & C : Cela permet-il de dégager des tendances à venir ?

M. H. : Dans un premier temps, le risque est celui d'un marché de l'emploi à deux vitesses. D'un côté, les 75 % de salariés bénéficiant encore d'un CDI, de l'autre, le groupe de plus en plus fragmenté de ceux en CDD, contrats aidés, contrats à temps partiel et autres stagiaires, dont la multiplication remet peu à peu en cause les normes antérieures. A terme, en effet, on peut craindre une déréglementation paradoxale liée au trop grand nombre de réglementations, cas particuliers, dérogatoires, etc. C'est la tactique du grignotage, utilisant certains types de population pour faire avancer de nouvelles formes d'emploi.

A partir d'un certain moment, une uniformisation des statuts est indispensable à la lisibilité et à la cohérence d'ensemble, et celle-ci se fait alors à la baisse par rapport aux standards antérieurs. Les jeunes, notamment, sont ainsi porteurs, malgré eux, de nouvelles formes de travail. Générations après générations, ils entrent sur le marché de l'emploi sur des postes moins qualifiés, avec des contrats plus précaires ou après des parcours académiques vers les emplois qualifiés de plus en plus difficiles. Cela est également vrai pour les femmes, qui alimentent la masse de plus en plus importante des travailleurs précaires et/ou à temps partiel, ou pour les immigrés diplômés, qui représentent, parfois, une alternative à la délocalisation de certains services. Les mises en préretraite des seniors peuvent aussi s'inscrire dans cette logique de remise en cause des CDI, dans la mesure où ils ont majoritairement été recrutés avec ce type de contrats. Par ailleurs, la multiplication des emplois aidés favorise les petits boulots au détriment des emplois qualifiés. Cette politique de l'emploi compromet donc l'accession à la fameuse «Europe de la connaissance», préconisée par le sommet de Lisbonne pour augmenter notre compétitivité dans le contexte de la mondialisation face aux pays émergents.

L'avenir du capitalisme, Jean-Luc Gréau, Le débat/Gallimard, 2005.

Le capitalisme est en train de s'autodétruire, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, La Découverte, 2005.

parcours

Administrateur de l'Insee et économiste, Michel Husson a travaillé à la direction de la prévision du ministère des Finances, puis à l'Inegi (Institut national de la statistique mexicain). Il est actuellement chercheur à l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales).

Il a contribué à l'ouvrage de l'Ires, Les mutations de l'emploi en France (éd. La Découverte, 2005). Il est intervenu dans le débat public, notamment sur la question des retraites, et a publié Les casseurs de l'Etat social (éd. La Découverte, 2003).

Auteur

  • Pauline Rabilloux