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Les entreprises doivent cultiver des liens avec les territoires

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 06.12.2005 | Violette Queuniet

Les notions de responsabilité sociale et de développement durable donnent aux entreprises une légitimité pour agir sur leur territoire. Elles peuvent également tirer un avantage compétitif d'une bonne insertion locale.

E & C : Quel bénéfice peut tirer une entreprise d'une bonne insertion dans son territoire ?

Marie-Noëlle Chalaye : Des analyses économiques démontrent que, stratégiquement, les entreprises ont plus de chance de construire ce qu'on appelle des «actifs spécifiques» en ayant des liens forts avec leur territoire. Ces «actifs spécifiques» sont ceux qu'un concurrent ne peut pas développer et qui apportent donc un avantage compétitif. Des entreprises bien enracinées peuvent, par exemple, négocier avec les structures de formation locales. En tant qu'employeurs locaux, elles obtiendront une main-d'oeuvre formée suivant leurs propres besoins. De même, les étudiants chercheront à adapter leurs compétences à ces besoins s'ils savent que ces entreprises les recruteront à la fin de leur formation. Au contraire, lorsqu'elles sont opportunistes et volatiles, ils adoptent des choix de formation beaucoup plus généralistes et standardisés pour s'adapter à une diversité de demandes.

On constate la même chose en termes de localisation. Dans l'agroalimentaire, par exemple, sur certains postes très répétitifs, les entreprises ont intérêt à être implantées dans des zones très rurales sans concurrence de sociétés d'un autre secteur. Les personnes issues du milieu rural supportent beaucoup mieux ces postes que celles venant d'un milieu urbain. Les conditions de travail dans l'agriculture sont difficiles et leur rapport subjectif au travail n'est pas le même que sur un territoire plus urbain. Pour une DRH, il est donc beaucoup plus facile de gérer des salariés qui ont un profil culturel adapté au poste.

Idem pour les problématiques de conciliation de temps de vie, l'adaptation des structures de garde et de transport en commun. Les pouvoirs publics sont prêts à adapter leurs infrastructures aux contraintes économiques des entreprises quand celles-ci ont un fort ancrage local et ont prouvé leur loyauté.

E & C : Quels sont les freins à cette «territorialisation» des entreprises ?

M.-N. C. : Ils viennent aussi bien de l'entreprise que des acteurs publics. La crise de la sidérurgie a énormément traumatisé les acteurs chargés du développement économique, puisque qu'on a vu des entreprises aux comportements très prédateurs et opportunistes prendre l'aide publique puis disparaître. Les instances publiques sont suspicieuses. Par ailleurs, la pensée managériale dominante véhicule l'idée que, lorsqu'une entreprise s'enracine, elle devient l'obligée du territoire et perd en capacité d'adaptation. Les entreprises ont des réticences à passer d'une logique strictement économique et quantifiable à une logique qui serait plus sociale, qualitative et donc difficile à évaluer en termes de coûts. Ce serait lâcher de la certitude pour plus d'incertitude.

Du côté des acteurs publics, on constate une très grande méconnaissance de l'activité réelle des entreprises, y compris chez les agents de développement. Il existe aussi, de la part de certaines institutions, un présupposé idéologique porté sur l'action des DRH, alors qu'ils sont, dans leur pratique quotidienne, éminemment pragmatiques et cherchent à trouver des solutions concrètes (transports, crèche d'entreprise...) à des problèmes qui empêchent l'entreprise d'atteindre son objectif économique. Et les entreprises sont elles-mêmes parfois méfiantes vis-à-vis des structures non administrées par le monde des affaires. La méconnaissance fondamentale de l'un et de l'autre fait que chacun travaille davantage sur des représentations que sur la réalité, ce qui freine les projets communs.

E & C : A l'heure de la mondialisation, est-ce que le territoire pourrait être l'avenir de l'entreprise ?

M.-N. C. : A partir du moment où les politiques désignent l'entreprise comme un acteur pertinent de la cohésion sociale - puisqu'on considère que l'emploi génère de la cohésion sociale -, on réhabilite le territoire. Car les personnes ne sont pas virtuelles, elles habitent quelque part, elles sont territorialisées dans leur fonctionnement au quotidien. Si les entreprises et les capitaux sont mobiles, c'est beaucoup moins vrai des salariés, surtout à un bas niveau de qualification. On a vu aussi, avec la crise des banlieues, que l'oubli du territoire génère beaucoup de dysfonctionnements. L'approche par le territoire est aussi une approche liée au développement durable, concept qui est désormais intégré dans l'entreprise au niveau même des directions générales. Donc, je pense que nous sommes au début d'un processus. Mais, pour que l'entreprise ait une légitimité sociale à intervenir à l'extérieur, il faut d'abord qu'elle la construise en interne, c'est-à-dire qu'il existe dans ses murs un dialogue social. C'est la condition pour qu'on entende parler positivement de l'entreprise à l'extérieur.

Les règles du jeu. L'action collective et la régulation sociale, Jean-Daniel Reynaud, Armand Colin, 1997.

Sociologie de l'entreprise, Denis Segrestin, Armand Colin, 1992.

De l'économie internationale à l'économie globale, Alain Léon et Thierry Sauvin, Ellipses, 2005.

parcours

Après des débuts dans l'industrie textile comme responsable de fabrication, Marie-Noëlle Chalaye a entrepris une carrière universitaire en passant l'agrégation de sciences de gestion, suivie d'un DEA de sociologie du travail au Cnam/HEC.

Elle a été membre du groupe de recherche E3D (spécialisé en économie de la défense) et directrice scientifique du programme européen Equal sur l'égalité professionnelle dans le Finistère.

Elle est responsable du Master gestion des ressources humaines à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de l'université de Bretagne occidentale.

Auteur

  • Violette Queuniet