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Enquête

Individualisation des salaires : stop ou encore ?

Enquête | publié le : 29.11.2005 | Guillaume Le Nagard

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Individualisation des salaires : stop ou encore ?

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Les augmentations générales continuent de perdre du terrain dans les politiques de rémunérations. La tendance à l'individualisation et à la «variabilisation» se poursuit. Incitatives et supposées assurer un meilleur contrôle de la masse salariale, les rémunérations individuelles au mérite ont aussi leurs limites. Notamment si les managers ne peuvent les mettre en oeuvre avec équité.

De 3 % à 3,5 % en moyenne : une fois de plus, les budgets d'augmentation des entreprises se tiendront dans cette fourchette. La fixation des enveloppes paraît respecter, depuis plusieurs années, « un vrai dogme budgétaire du 3 % », selon un syndicaliste. C'est bien l'évolution que relève HayGroup auprès de ses 400 clients (pour 260 000 salariés) depuis quatre ans. Bien sûr, une moyenne cache des écarts parfois importants entre secteurs ou entreprises, mais ce niveau stable, constaté aussi par la Cegos, qui mentionne une fourchette de 3,3 % à 3,9 % annuels depuis... 1994, confirme que le contrôle précis de la masse salariale est devenu l'objectif majeur d'une politique de rémunération.

Généralisation de l'individualisation

Avec aussi peu de marge, si l'on considère, en outre, une inflation moyenne aux environs de 2 %, les directions et leur DRH ont choisi d'individualiser les rémunérations, considérant, par ailleurs, que cette pratique permettait de renforcer le caractère incitatif d'une politique salariale. « Je connais très peu de grandes entreprises ayant conservé les augmentations générales pour les cadres, hormis s'il reste quelques fonds publics dans leur capital, confirme Jean-Pierre Magot, coresponsable de l'activité rémunération chez Mercer RH. L'individualisation descend de plus en plus sur la population des techniciens, et leur rémunération est même parfois individualisée à 100 %. » Les cadres s'étant montrés, depuis longtemps, favorables à cette individualisation, la tendance n'a fait que croître.

Faible discrimination

Mais de quoi s'agit-il vraiment ? Dans son enquête salaires de novembre, la Cegos constate que 57 % des entreprises ne pratiquent qu'une faible discrimination, en augmentant de 2 % à 4 % sept de leurs cadres sur dix. Un tiers des entreprises se donnent néanmoins les moyens d'augmenter significativement environ 40 % de leurs cadres, selon cette même enquête. Dans ce cas, près d'un tiers d'entre eux ne reçoivent pas d'augmentation, et plus du quart bénéficient d'une évolution supérieure à 6 % ; 10 % des entreprises adopteraient un mode «hypersélectif», choisissant de ne pas augmenter 60 % de leurs cadres au profit des meilleurs.

A travail égal, salaire égal

Si plus de la moitié des entreprises ne poussent pas la logique d'individualisation à son maximum, si 25 % conservent des augmentations générales représentant environ la moitié du budget d'augmentation, malgré un discours renouvelé sur un renforcement des processus de sélectivité, c'est sans doute parce qu'une forte individualisation génère des contraintes managériales, mais aussi légales. En l'occurrence, l'arrêt Ponsolle, en octobre 1996, avait calmé les ardeurs en matière de sélectivité des rémunérations. Suivi de quelques autres, il a rappelé le principe juridique du «à travail égal, salaire égal». Pour l'employeur, la difficulté est, en effet, d'objectiver les différences de traitement entre salariés occupant des emplois aux caractéristiques très proches.

Système d'évaluation efficace

Sur le plan de la gestion des hommes, c'est aussi l'écueil que certains managers de terrain perçoivent aisément. Il leur faut préserver une dynamique collective, facilement menacée par tout soupçon d'iniquité. « Dans les faits, les managers éprouvent des difficultés à être vraiment sélectifs, confirme Dominique Paris, directeur chez Watson Wyatt. Pour pouvoir être discriminant et, en particulier, justifier des augmentations zéro, il faut disposer d'arguments factuels et donc, d'un système de fixation d'objectifs et d'évaluations qui tient la route. » Faute d'outils de management de ce type suffisamment pertinents, les hiérarchiques disposent de deux ressources : le «saupoudrage» ou le «tourniquet».

Augmentations à tour de rôle

Dans le premier cas, on distribue un peu à tous ; dans le second, si, par exemple, une direction ou une DRH a imposé des guidelines pour renforcer l'individualisation, on augmente à tour de rôle, de sorte que, sur plusieurs années, avec un jeu de rattrapage, les rémunérations de l'équipe peuvent rester relativement proches.

Cet entre-deux est, évidemment, d'autant moins satisfaisant que la majorité des entreprises affirment vouloir renforcer l'individualisation. Elles ne pourront le faire qu'au prix d'une réelle réflexion managériale, selon Dominique Paris, en menant des audits de compétences, en dotant les managers d'outils d'évaluation incontestables. L'enjeu sera structurant, notamment dans les secteurs où se profilent des départs de baby-boomers : « Ceux-ci créeront sans doute une souplesse supplémentaire en matière de salaire. Les entreprises devront savoir et expliquer à quoi elles l'utiliseront. »

Nécessité de critères d'évaluation viables

La CFDT-Cadres, qui a enregistré à la fois la tendance à l'individualisation et la faveur de l'encadrement pour cette pratique, concentre ses revendications autour d'un socle d'augmentations collectives et de la nécessité de critères d'évaluation mesurables et négociés pour l'individuel (alors que les cadres sont souvent exclus de l'accord salarial collectif). « Nous pensons que ces critères doivent être examinés dans la négociation collective obligatoire, martèle, depuis plusieurs années, Philippe Fontaine, responsable du panel Oscar réalisé par la confédération. Ils doivent être transparents et compris. L'enquête Oscar de cette année indique, d'ailleurs, que les cadres savent rarement comment fonctionne leur rémunération. »

Dimension collective dans la rémunération

Pour les entreprises elles-mêmes, c'est d'autant plus dommage qu'elles ne se limitent pas au cash fixe. « N'oublions pas les éléments variables, comme l'intéressement et diverses primes qui réinjectent une dimension collective dans la rémunération, indique la responsable rémunération d'une filiale française d'un groupe américain. Dans beaucoup d'entreprises, le variable est construit en trois tiers : entreprise, équipe, individuel. »

L'évolution de la rémunération collective peut ainsi glisser du fixe vers le variable, dans une logique de pilotage de la masse salariale. Cette gestion financière est devenue plus fine encore avec les éléments du package liés à la santé, à la prévoyance, à l'épargne et à la retraite. Des formes de rétribution souvent mal identifiées par les salariés et que l'entreprise aimerait voir considérées comme des éléments de la rémunération. D'autant plus qu'elles sont souvent optimisées fiscalement et socialement.

L'essentiel

1 Alors que les budgets annuels d'augmentation restent plafonnés autour de 3,5 %, l'individualisation des rémunérations continue de s'imposer.

2 Les entreprises considèrent l'individualisation, y compris pour les non-cadres, comme un outil de motivation efficace.

3 Pourtant, faute de dispositifs d'évaluation fiables, les managers, éprouvant des difficultés à justifier des refus d'augmentations, restent peu sélectifs.

4 Le manque de critères objectifs d'augmentation, associé à la complexité croissante des packages (avantages sociaux, actionnariat, épargne salariale...), ne facilite pas la lisibilité des rémunérations.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard