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Le déclassement des diplômés, un phénomène en croissance

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 29.11.2005 | Pauline Rabilloux

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Le déclassement des diplômés, un phénomène en croissance

Crédit photo Pauline Rabilloux

L'ascenseur social est en panne pour nombre de jeunes diplômés et la divergence entre la formation et l'emploi semble de plus en plus profonde. Mais une parfaite correspondance entre les deux paraît peu compatible avec la réalité économique et les attentes des employeurs.

E & C : Nombre de jeunes diplômés sont obligés, pour entrer sur le marché du travail, d'accepter des emplois en dessous de leur niveau de qualification. Comment le Céreq définit-il ce déclassement ?

Jean-François Giret : On parle de déclassement lorsque le niveau de formation requis normalement pour un emploi est inférieur à celui de formation initiale. A partir de cette définition, on peut envisager le déclassement de trois manières différentes.

Dans le premier cas, le niveau de formation requis «normalement» est, concrètement, celui généralement demandé pour occuper un poste. Cette définition a l'inconvénient de ne pas prendre en compte la palette très étendue des situations particulières et ne permet pas de les comprendre. Elle est donc trop abstraite.

Sur ce point, la définition subjective est plus intéressante, car elle permet de comprendre des attitudes communes aux personnes qui se vivent comme déclassées. Celles-ci, en effet, tendent à être peu satisfaites de leur emploi, peu motivées et à s'estimer sous-payées. Le turn-over est donc important dans cette catégorie. Mais le problème est, précisément, la subjectivité de cette appréciation. A diplômes et emplois équivalents, les garçons ont plus tendance que les filles à se sentir déclassés. Par ailleurs, pour certains diplômes, notamment dans le tertiaire, le sentiment de déclassement peut augmenter avec le temps, alors que d'autres mesures indiquent, au contraire, une diminution du déclassement.

La définition qui paraît, théoriquement, la plus satisfaisante est celle des techniciens spécialistes du travail, qui consiste à analyser de manière détaillée, pour chaque emploi, le lien entre les fonctions exercées, les compétences demandées et le diplôme qui y correspond. Pour que cette norme fonctionne parfaitement, il faudrait qu'elle soit sans cesse réactualisée, ce qui paraît difficile en raison de l'évolution incessante des compétences requises et des diplômes. Néanmoins, elle reste celle qui permet de comprendre le mieux les évolutions du marché du travail.

E & C : Quelle est, aujourd'hui, la situation du déclassement ?

J.-F. G. : Le phénomène de déclassement est massif. Trois ans après la sortie du système scolaire, il concerne 40 % à 50 % des jeunes. Après sept à dix ans de vie professionnelle, 30 % des jeunes se sentent encore utilisés en dessous de leurs compétences. C'est énorme. Le déclassement dépasse donc le seul phénomène de génération des «jeunes diplômés», car, si le reclassement existe bien au fil de la carrière, il n'efface pas le hiatus initial compétence/emploi. D'autre part, si, en 1980, un tiers des jeunes salariés (mais seulement un salarié sur 10 sur l'ensemble des générations !) restaient en dessous du niveau d'emploi attendu, vingt ans plus tard, le déclassement concerne 40 % des jeunes ayant trois ans d'ancienneté sur le marché du travail.

La progression de ce taux n'est cependant pas régulière, elle dépend de la conjoncture économique. Ces modulations sont expliquées par des «changements de files d'attente», notamment pour les plus jeunes. Les chercheurs d'emploi révisent leurs ambitions en fonction de leurs difficultés à trouver un poste correspondant à leur niveau de diplôme. Lorsque la conjoncture est mauvaise, ils vont postuler sur des emplois moins qualifiés et concurrencer les salariés moins diplômés. Au final, et moyennant le risque de déclassement, le diplôme semble donc une bonne protection contre le chômage, mais, en bout de chaîne, les non-diplômés tendent à se retrouver exclus d'un marché de l'emploi placé sous le signe de la concurrence entre les individus. De même, la solution individuelle qui consiste à prolonger ses études se révèle déqualifiante au long cours pour les cohortes de diplômés, de plus en plus nombreux.

E & C : Quelles évolutions peut-on anticiper ?

J.-F. G. : Face à ce qui ressemble à un dysfonctionnement, la solution serait de mieux ajuster les contenus de formation et l'emploi. D'ailleurs, le déclassement semble minoré dans les filières professionnelles, davantage en prise avec les réalités professionnelles et, plus généralement, les attentes de l'entreprise. Cependant, la croyance selon laquelle existerait une correspondance qui va de soi, une possible allocation optimale des ressources, met le chercheur mal à l'aise. L'orientation finale est tributaire de la mise à l'épreuve des motivations au cours des premières expériences professionnelles et de l'intérêt des intéressés, et il est important de laisser leur place aux stratégies d'acteurs.

Par ailleurs, la recherche d'une correspondance parfaite entre formation et emploi, aussi bien en termes de niveaux que de spécialités de formation, supposerait de figer le paysage des professions et de l'emploi, ce qui ne correspond ni à la réalité d'une économie moderne ni même aux attentes véritables des employeurs, quelle que soit leur insistance à réclamer des profils calibrés pour les emplois qu'ils proposent à l'instant T.

Le destin des générations, structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, L. Chauvel, PUF, 2002 [2e éd].

80 % au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, S. Beaud, La Découverte, 2002.

Quand les jeunes entrent dans l'emploi, M. Arliaud et H. Eckert, La Dispute, 2002.

parcours

Jean-François Giret est ingénieur de recherche et chargé d'études au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Docteur en sciences économiques, il est également chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les ressources humaines et l'emploi (Lirhe).

Il vient de codiriger l'ouvrage Des formations pour quels emplois, avec A. Lopez et J. Rose (éd. La Découverte).

Auteur

  • Pauline Rabilloux