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« Les DRH peuvent orchestrer l'improvisation pour innover »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 22.11.2005 | Violette Queuniet

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« Les DRH peuvent orchestrer l'improvisation pour innover »

Crédit photo Violette Queuniet

En favorisant l'innovation de rupture, l'improvisation est une démarche au service de la compétitivité des entreprises. Les DRH peuvent jouer un rôle central dans la promotion et la reconnaissance de cette démarche dans leur organisation.

E & C : Il est admis que l'innovation est un facteur majeur de compétitivité des entreprises. Or, vous constatez un déficit de méthodes pour la favoriser. L'improvisation en est une. Quelles sont ses caractéristiques ?

Sylvie Blanco : Aujourd'hui, les entreprises savent bien faire de l'innovation incrémentale, c'est-à-dire améliorer l'existant. Par contre, le déficit de méthode concerne l'innovation de rupture. Plus le degré de nouveauté est fort - du point de vue du contexte, de l'idée, des clients, des utilisateurs -, moins on sait faire. Soit on se réfugie dans ce que l'on sait faire et on n'agit pas ; soit on fait appel à l'intuition, au feeling, sans forcément maîtriser les démarches que l'on met en oeuvre.

L'improvisation rompt avec la tradition qui consiste à planifier, à élaborer des plans d'action et, ensuite, à mettre en oeuvre, c'est-à-dire à exécuter et à agir. L'improvisation consiste à rapprocher ces deux temps, voire à les faire coïncider de manière imbriquée de façon à donner lieu à des formes de réflexion dans l'action.

L'improvisation favorise l'innovation dans des contextes où la connaissance initiale et le référentiel d'analyse font défaut. Ce référentiel sera créé en favorisant l'action et l'interaction. L'innovation arrive, en effet, quand on favorise beaucoup l'interaction avec l'environnement et les acteurs qui sont partie prenante.

E & C : Comment, paradoxalement, organise-t-on l'improvisation ?

S. B. : Je parlerais plutôt «d'improvisation maîtrisée». Cela consiste, dans un premier temps, à définir le contexte dans lequel on va utiliser l'improvisation ainsi que sa valeur ajoutée. L'improvisation peut être motivée par des facteurs d'environnement - turbulence, nouveauté, vitesse - et par des facteurs internes : faire face à une crise, tenir des objectifs ambitieux - notamment des objectifs de délai. Il est possible d'activer le mode improvisation où que ce soit dans l'organisation. Par exemple, face à une grève, le service RH doit pouvoir passer en mode improvisation.

Seconde étape : il faut donc être capable d'élaborer un système d'évaluation de l'efficacité de l'improvisation. Cela suppose d'avoir des indicateurs mesurant sa valeur ajoutée. Ils peuvent, par exemple, être reliés au temps. On sait que l'accélération des cycles d'innovation est liée au temps d'apprentissage, de capitalisation de l'expérience et des connaissances par une équipe. L'indicateur peut donc être : « En combien de temps a-t-on été capable de comprendre le processus d'achat de notre client ? ». Quand une entreprise ne connaît pas du tout son client, que celui-ci ne la connaît pas, ni son produit innovant, il y a beaucoup de choses à apprendre. Il est recommandé, pour ce faire, d'interagir avec ce client sans savoir, au demeurant, ce qui va se passer, donc sans avoir un plan d'action très élaboré. Interagir avec le client va consister à essayer de comprendre son problème et de proposer une solution, de percevoir son intérêt par rapport à cette solution, de percevoir ses contraintes, les conditions d'acceptabilité de la solution, etc. Le processus est le même lorsqu'on interagit avec un fournisseur potentiel ou un financeur : un grand nombre de questions nouvelles surgissent, auxquelles, dans l'interaction, on va trouver des réponses.

E & C : Quel rôle le DRH joue-t-il dans cet aspect du management de l'innovation ?

S. B. : Je crois beaucoup aux expériences pilotes : associer les RH à un projet d'innovation qui nécessite de l'improvisation permettra ensuite de sensibiliser et de former les collaborateurs aux démarches d'improvisation. Ce ne sont d'ailleurs pas des méthodes et des techniques très précises, il s'agit plutôt d'une démarche heuristique - essai/erreur. Ensuite, le rôle majeur du DRH est de prendre en compte, dans l'évaluation du personnel et dans le système de reconnaissance, les résultats de la démarche d'improvisation. Car, même si les résultats sont avérés, s'ils ne sont pas pris en compte au niveau RH, la démarche ne sera ni valorisée, ni reproduite, ni diffusée. Enfin, dans la mesure où les RH reconnaissent la valeur de ce comportement, il est possible de mettre en oeuvre une action d'impulsion appropriée, dans des contextes appropriés.

Le DRH est donc totalement partie prenante pour que l'improvisation puisse se passer et bien se passer. Mais il n'en est pas le moteur. Le moteur de l'improvisation est souvent «bottom up», un peu dans l'esprit de l'intrapreneuriat. L'improvisation est souvent le fait d'individus poussés par des équipes sur le terrain et relayés par le management intermédiaire. En revanche, arriver à rééquilibrer et à mettre en valeur le potentiel d'improvisation de certains individus fait partie du rôle des RH.

Managing the unexpected : assuring high performance in an age of complexity, Karl Weick et Kathleen Sutcliff, Jossey Bass Publishing, 2001.

Tous innovateurs. La dimension humaine de l'innovation : leviers et bonnes pratiques, H. Jaoui, Dunod, 2003.

Organizational improvisation, K. Kamoche, M.-P. Cunha, J.-V. Cunha, éd. Routledge (London), 2001.

parcours

Docteur en sciences de gestion, Sylvie Blanco, professeur associé à Grenoble Ecole de Management, responsable du Hall de l'entrepreneuriat technologique (équipe de recherche et de formation dans le domaine de la création de valeur par l'innovation et la technologie).

Elle est l'auteur, avec Jean-Claude Sabonnadière, de La création d'entreprises innovantes : l'entrepreneur innovateur (éd. Hermès Lavoisier, 2005) et de l'article L'improvisation, une démarche utile pour l'innovation, in Moderniser la gestion des hommes dans l'entreprise, sous la direction de M. Matmati et M. Le Berre (éd. Liaisons, coll. Entreprise & Carrières, 2005).

Auteur

  • Violette Queuniet