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Un principe de malus pour les entreprises qui licencient

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 25.10.2005 | Pauline Rabilloux

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Un principe de malus pour les entreprises qui licencient

Crédit photo Pauline Rabilloux

Pour limiter la rotation de la main-d'oeuvre et lutter contre la précarisation, il faudrait calculer le montant des cotisations chômage de l'entreprise en fonction de son comportement en matière de licenciements et de recours aux emplois temporaires. Une solution qui reprend le principe du bonus-malus des assurances.

E & C : L'économiste que vous êtes, par ailleurs spécialiste des questions d'emploi et de chômage, peut-il apporter une contribution à l'épineuse question de savoir s'il faut ou non taxer les licenciements ?

Denis Fougère : La question prend son sens dans un contexte où la baisse des coûts de licenciement est souvent envisagée comme une solution aux problèmes de chômage qui pénalisent notre pays. Or, une baisse des coûts de licenciements à des effets opposés. D'une part, elle incite les entreprises à se séparer d'une partie de leur main-d'oeuvre, d'autre part, elle les pousse à accélérer l'embauche de nouveaux travailleurs. Le problème est que les études empiriques qui ont essayé de mesurer rigoureusement l'impact des coûts de licenciement sur le niveau de l'emploi n'arrivent à mettre en évidence, au mieux, que des effets de faible ampleur. Dès lors, proposer une baisse des coûts de licenciement ne peut constituer la pièce centrale d'une réforme. Proposer de réformer le mode de financement du système paraît plus intéressant.

Les chiffres montrent que la flexion conjoncturelle qui accompagne les cycles économiques repose majoritairement sur les salariés nouvellement entrés dans l'entreprise, et ce, quelle que soit la taille de celle-ci. S'il est vrai que les grandes sociétés tendent à pérenniser l'emploi de leurs salariés, après trois ans passés dans l'entreprise, les derniers entrés, dans les grandes comme dans les petites, font les frais des ajustements des effectifs. Face à cette vérité statistique, l'idée s'impose de jouer sur les facteurs permettant de limiter la rotation des salariés. Ce que ne permettent pas les dispositifs d'aide à l'embauche tels que les allégements de charges sociales pour l'employeur, les contrats aidés et autres contrats emploi-solidarité, qui favorisent bien l'accès à l'emploi, mais très rarement à l'emploi durable. Ils tendent à précariser les trajectoires professionnelles en augmentant la part relative des emplois temporaires.

De même, les dispositifs d'activité réduite, qui permettent de cumuler salaire et chômage, ne facilitent pas le retour à l'emploi durable. Ces dispositifs incitent, au contraire, à l'alternance de périodes de chômage et d'emploi. Le système semble donc aujourd'hui trop favorable à la rotation de la main-d'oeuvre, tandis que, dans le même temps, les entreprises qui participent peu à ce mouvement de précarisation paient, en quelque sorte, pour les autres, puisque le système d'assurance chômage est mutualisé. Que l'entreprise soit vertueuse, ou, au contraire, qu'elle profite des failles du système, le coût pour elle reste identique.

E & C : Comment l'empilement des mesures successives des politiques de l'emploi, et leur inévitable conséquence en termes d'effet d'aubaine, peuvent-ils être évités ?

D. F. : Les politiques sont souvent amenés à gérer des situations de crise et, en France au moins, ils négligent les apports des évaluations quantitatives des politiques publiques, qui pourraient les aider à mieux cibler leurs interventions. Cela dit, le risque économique et social est lié à l'économie de marché. Cependant, partant de ce principe, la répartition du risque pourrait largement bénéficier de l'expérience des assureurs, ces professionnels du risque. Si interdire les licenciements n'a pas vraiment de sens à l'heure de la mondialisation, réguler la répartition des risques entre les entreprises, de telle sorte que le dispositif soit à la fois plus efficace et plus équitable, en a un.

Comme il existe un système de bonus-malus pour encourager les bons conducteurs et responsabiliser ceux qui coûtent le plus cher, on peut tout à fait envisager de moduler les frais de l'indemnisation du chômage en fonction des politiques de licenciement ou de recours aux emplois temporaires. Il est techniquement tout à fait possible de faire la différence entre les entreprises qui n'ont pas d'autre solution, à un moment précis, que de licencier, et celles qui profitent des effets d'aubaine et de la rotation de la main-d'oeuvre pour augmenter leurs profits à court terme.

E & C : Concrètement, est-ce que ce système de bonus-malus existe déjà quelque part ?

D. F. : Ce que les économistes appellent l'internalisation du coût du risque, par opposition à sa mutualisation, existe en effet, notamment aux Etats-Unis, où les entreprises contribuent à financer l'assurance chômage en fonction de leur utilisation du dispositif. L'exemple le plus récent de mise en place de ce système, dans l'Etat de Washington, montre que le taux d'embauche n'en a pas pâti, pas même à la marge, mais que les phénomènes de chômage temporaire ont été largement réduits.

Bien sûr, envisager de recourir à cette solution ne peut constituer une fin en soi. L'une des contreparties les plus importantes doit s'exprimer en termes de formation. L'argent ainsi récolté devrait servir à la reconversion des salariés les moins formés, donc les plus fragiles. Il est clair que la précarisation de l'emploi ne va pas dans le sens du professionnalisme. Or, plus que jamais, la compétence s'avérera décisive à l'avenir. L'objectif n'est pas de pénaliser mais bien de responsabiliser.

Exercices spirituels et philosophie antique, Pierre Hadot, Albin Michel, 2002.

Humanisme et démocratie, Edward W. Said, Fayard, 2005.

Quand le capitalisme perd la tête, Joseph E. Stiglitz, Fayard, 2003.

parcours

Denis Fougère est directeur de recherches au CNRS et professeur en économie et économétrie à l'Ecole nationale de l'administration économique (Ensae), et à l'Ecole polytechnique. Il est membre du Centre de recherches en économie et statistiques (Crest-Insee) depuis 1993.

Il est conseiller scientifique au Commissariat général du Plan depuis 1994, et au ministère de l'Education nationale depuis cette année. Ses domaines de recherche sont l'évaluation des politiques publiques, l'économétrie du chômage, l'intégration des immigrés et de leurs enfants, et l'analyse des déterminants socio-économiques de la délinquance.

Auteur

  • Pauline Rabilloux