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Défaite joyeuse

Demain | Chronique | publié le : 25.10.2005 | De P.-L. Chantereau

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Défaite joyeuse

Crédit photo De P.-L. Chantereau

Situation d'appel d'offres.

Toute l'entreprise est mobilisée, parfaitement consciente de l'enjeu pour la survie des activités d'un site industriel menacé par la concurrence féroce des pays de l'Est. Il faut donc se battre pour construire l'offre la plus alléchante, et repenser, tant qu'on y est, l'ensemble des conceptions de travail pour gagner les quelques points de marge qui permettront de l'emporter.

On travaille dur.

Il s'agit d'abord de diviser le projet d'intervention en autant de sous-chantiers qu'il y a de «lots» dans cet appel d'offres, et de confier chacune de ces parties à une équipe spécialisée, en charge de rechercher toutes les meilleures solutions possibles pour que la proposition de l'entreprise soit attractive.

« Pas attractive. Irrésistible. Je veux que nous soyons irrésistibles », répète à l'envi le responsable commercial, qui assume la coordination de tous les groupes de travail et veille à la compatibilité de toutes les innovations proposées.

Le plus frappant est de voir l'implication des plus jeunes parmi les chefs d'équipe : les voilà en réunion avec les compagnons les plus expérimentés pour rechercher avec eux des solutions techniques rusées, extraire la liqueur de leur expérience, inventer des combinazione inédites, à faire dresser les cheveux (enfin, le peu qu'il en reste) sur la tête du directeur technique et celle du responsable qualité.

Par des indiscrétions obtenues à force de ruse, on finit par connaître les prix des concurrents. Pas de quoi se réjouir. C'est un assassinat en règle pour les marges, la Berezina du compte d'exploitation. Un désastre programmé.

Pas forcément. On peut encore faire mieux. Faire travailler les machines autrement, acheter comme ci, simplifier comme ça, tirer, pousser, recommencer. On s'y emploie.

A force, on finit par être vraiment très près du prix des autres, avec des garanties de qualité un peu supérieures. On soumet la proposition, comme un élève sa copie.

Attente. Coup de fil. C'est perdu. Les Polonais l'emportent. De peu, mais l'emportent quand même. Abattement collectif ? Pas du tout. C'est le DG qui parle aux équipes, encore sonnées par l'information de la défaite.

« Vous croyez que c'est une défaite. Non, c'est une bataille perdue dans une guerre de long terme. En réalité, nous n'avons jamais été aussi soudés, aussi forts, aussi concurrentiels. Tout ce travail assure notre avenir. Nous n'avons pas perdu. Ils ont gagné le marché qui nous a permis d'être prêts désormais pour gagner tous ceux qui vont se présenter. C'est notre meilleure avancée depuis des années. J'en suis fier et content. Bravo et merci. Et champagne pour tout le monde ! »

Alors là, il m'épate !

Pierre-Loïc Chantereau <www.equation-management.com>

Auteur

  • De P.-L. Chantereau