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Le retour en force de la GPEC

Enquête | publié le : 18.10.2005 | Anne Bariet

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Le retour en force de la GPEC

Crédit photo Anne Bariet

Boudée à la fin des années 1990, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences fait un retour en force. Pour le gouvernement, l'objectif affiché est de sortir d'une gestion «à chaud» des restructurations. Les entreprises y voient aussi un moyen de maintenir leur compétitivité dans un monde de plus en plus mouvant.

Au commencement était la cartographie ou plutôt le tableau de bord, le camembert ou encore l'arbre de compétences. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), née au milieu des années 1970, reposait sur une idée simple : pour réussir le pari d'une gestion préventive, prévisionnelle et personnalisée des salariés, il fallait se munir d'une batterie d'instruments destinée à projeter, de la manière la plus rationnelle possible, les organisations à cinq ou dix ans. C'était le temps des référentiels de métiers et de qualifications, des répertoires de compétences et des parcours individuels de formation. Un travail extrêmement fastidieux mais peu probant. « Il s'agissait d'une photographie parfaite de l'entreprise à l'instant donné, mais en aucun cas d'une projection sur l'avenir », constate Bernard Brunhes, vice-président de BPI, qui vient de passer au crible une douzaine d'accords d'entreprise (1). Has been, la GPEC ? Boudée dans les années 1990, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est, pourtant, de retour.

Mobilité interne

Areva a signé, le 29 janvier, un accord, avec six syndicats, qui fait la part belle à la mobilité interne. « L'entreprise est vraiment à un moment charnière, indique l'un des porte-parole du groupe. Nous nous acheminons vers le renouvellement de l'ensemble du parc nucléaire, que ce soit aux Etats-Unis, en Chine ou encore en France. Les réacteurs de deuxième génération cèdent la place aux réacteurs de troisième génération, une évolution qui entraîne, de facto, un renouvellement de nos compétences en interne. »

Veolia Environnement (110 000 salariés), de son côté, a décidé une réorientation de sa stratégie en visant le marché des grands industriels, alors que l'entreprise se concentrait, jusqu'ici, sur les contrats des municipalités. Pour relever le défi, elle a misé sur la formation de son personnel en proposant à 3 000 recrues, en septembre dernier, des contrats d'apprentissage ou de professionnalisation. Une opération qui résulte d'un accord de groupe sur le développement des compétences, signé en octobre 2004 par les syndicats.

Déficit quantitatif

Ce n'est pas un hasard, non plus, si Rhodia s'est également reconvertie à la GPEC, en 2003. Il s'agissait, pour le groupe, de prendre en compte deux exigences : le déficit quantitatif d'une complète classe d'âge, puisque 38 % des salariés du groupe sont âgés de plus de 50 ans et, par ailleurs, la charge physique importante des salariés postés ou anciennement postés.

« Ce qui change, aujourd'hui, analyse Jean-Philippe Toutut, directeur d'Alpha Conseil, un cabinet de conseil en ressources humaines de Castres, c'est la demande de l'entreprise. »

Du concret

Fini les démarches théoriques qualifiées d'usines à gaz. « L'entreprise veut du concret et du court terme. Comment développer la polyvalence d'un atelier, organiser un plan de succession ? Monter en compétences ? Dans un environnement qui change constamment, bousculé par la mondialisation, les repères ont été modifiés : l'entreprise a besoin de se moderniser pour maintenir sa compétitivité. C'est presque une question de survie », commente le consultant. Le gouvernement l'a d'ailleurs bien entendu. Jean-Louis Borloo, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Cohésion sociale, vient de rendre obligatoire une négociation sur la GPEC tous les trois ans dans les entreprises de plus de 300 salariés. « La GPEC est un facteur déterminant pour éviter les restructurations brutales, a indiqué Gérard Larcher, ministre chargé des Relations du travail, lors d'un colloque de la Fondation Concorde, le 6 octobre. Notre culture consistait, jusqu'ici, à faire des restructurations à chaud. C'est au pied du mur que le chef d'entreprise se décide à restructurer. »

Aides pour les petites entreprises

Les plus petites entreprises se voient, elles, aidées financièrement dans l'élaboration de leur plan de GPEC. Elles peuvent, désormais, solliciter l'appui d'un consultant, l'Etat prenant en charge jusqu'à 50 % des coûts du conseil. Ces dispositions contribueront-elles à donner une nouvelle impulsion à la GPEC ? Robert Dufaur, Pdg des Ateliers de Montredon et de la Société de constructions industrielles métalliques, employant au total une trentaine de salariés, apprécie la démarche. Cet appui-conseil lui permettra d'organiser un plan de succession pour lui et pour son meilleur commercial. Il servira également à améliorer l'adaptation de ses salariés aux nouvelles machines à commandes numériques et à réfléchir à de nouvelles niches commerciales. Mais, pour l'heure, à peine la moitié des crédits de ce dispositif sont utilisés.

Distraction technocratique

Du côté des grandes entreprises, le mouvement est à peine perceptible. Aucun accord de GPEC n'a été signé depuis la loi du 18 janvier dernier. Bernard Brunhes ne cache d'ailleurs pas son scepticisme : « Je ne crois pas aux vertus de la loi. C'est une distraction technocratique. »

Pour autant, sans attendre le législateur, la plupart des grands groupes ont pris les devants. De Total à Saint-Gobain, en passant par Rhodia, le Crédit Lyonnais ou encore AXA, les directions des ressources humaines se sont engagées, après quelques démarches hasardeuses, dans de véritables démarches compétences. Toutes en attendent un retour sur investissement.

C'est ainsi que Total s'est doté, voilà huit ans, d'un outil très précis «d'études et d'emploi» pour réfléchir sur l'évolution de ses métiers. Une dizaine de démarches compétences ont été lancées en interne dans différentes familles de métiers. Les finances cogitent, par exemple, sur les nouvelles exigences de la fonction, l'acquisition de compétences en gestion, alors que les savoir-faire des salariés sont davantage concentrés sur la comptabilité analytique. Le groupe cherche également à détecter des compétences émergentes dans le domaine des géosciences comme, par exemple, de nouveaux savoir-faire techniques concernant l'extraction de pétrole. Des compétences déjà décelées au Venezuela.

Emplois stratégiques

Chez Saint-Gobain, c'est l'analyse des emplois stratégiques qui retient toutes les attentions ; 15 000 postes clés de cadre (sur un total de 19 000) ont été identifiés comme essentiels pour l'entreprise. Des plans de succession ont été mis en place, avec, à la clé, des formations, pour faire monter en compétences 15 000 hauts potentiels destinés à prendre la relève. Pour les métiers critiques (porteurs de risques quantitatifs ou qualitatifs), le groupe verrier a cherché à capitaliser les savoirs des plus anciens pour en organiser la transmission aux nouvelles générations ou aux salariés nouvellement intégrés dans le groupe, via des actions de tutorat. Car, chez SaintGobain, ce sont les seniors, ingénieurs ou ouvriers, détenteurs d'un savoir-faire maison unique, qui partent former les nouveaux salariés, dès l'acquisition d'une usine à l'étranger. Pour les métiers sensibles, le groupe a créé ses propres écoles de formation, du CAP à bac +2, notamment pour les vendeurs.

Mieux ciblée

D'après l'étude qualitative réalisée par BPI, il existe bien, aujourd'hui, une nouvelle façon de faire de la GPEC, « plus modeste, moins exhaustive, mais davantage ciblée ». « On a essayé de faire des scénarios, d'imaginer des possibilités, comme la perte de savoir-faire, par exemple... » Deux caractéristiques : primo, la plupart des accords privilégient, à l'instar de Saint-Gobain, l'analyse des métiers stratégiques, sensibles ou critiques. Secundo, ils impliquent à la fois les opérationnels (responsables de site, d'établissement, de division...) et les DRH.

Des démarches prometteuses mais difficilement mesurables. Quel sera l'impact sur les résultats de l'entreprise ? Pour l'heure, peu de preuves tangibles existent pour valider le bien-fondé de telle ou telle démarche. Si les méthodes se sont affinées, la GPEC reste toujours en quête de crédibilité.

(1) Les cahiers Bernard Brunhes, octobre 2005, Anticiper l'emploi, étude réalisée à partir d'entretiens avec des responsables RH de grandes entreprises du privé et du public et d'accords d'entreprise récents.

L'essentiel

1 La gestion des emplois et des compétences (GPEC) revient en force dans les grands groupes. Plus modestes, davantage ciblées qu'auparavant, les démarches des entreprises visent à détecter les métiers stratégiques et sensibles.

2 Les motivations sont diverses : départs massifs à la retraite de baby-boomers, intensification des recrutements, allongement de la durée d'activité lié à la réforme des retraites de 2003 ou maintien de la compétitivité dans un environnement mouvant...

3 Le gouvernement tente d'encourager la démarche. La loi du 18 janvier 2005 rend obligatoire une négociation sur la GPEC tous les trois ans dans les entreprises de plus de 300 salariés. Objectif : prévenir les mutations industrielles. Reste à convaincre les entreprises de taille moyenne.

Ce qu'il faut savoir

Pour les PME : une aide de l'Etat

Départs en retraite anticipés ou retardés, adaptation et évolution des compétences, organisations du travail... Pour inciter les entreprises à mieux anticiper les besoins de main-d'oeuvre à moyen et long termes, l'Etat s'implique financièrement. La circulaire du 29 mars 2004 précise le dispositif d'aide prévu par la loi de modernisation sociale de janvier 2002. Il s'agit d'une aide au conseil destinée aux PME de moins de 250 salariés dans leur élaboration d'un plan de GPEC.

Deux types de conventions : des conventions d'aide à l'élaboration des plans de GPEC

> La convention «individuelle» est conclue entre l'Etat et une entreprise. Celle-ci choisit librement un consultant. L'Etat prend en charge jusqu'à 50 % des coûts de conseil externe, sans dépasser 15 000 euros. Cette convention est conclue pour une durée d'un an maximum et prévoit un bilan, six mois après son terme. > La convention «interentreprises» est conclue au niveau d'un bassin d'emploi, d'une filière économique ou d'un secteur d'activité. Le consultant élabore un plan de GPEC pour chaque entreprise et préconise également des projets collectifs (coopérations, actions mutualisées...). L'aide de l'Etat, limitée à 50 % du coût d'intervention du consultant, est alors plafonnée à 12 500 euros par entreprise. Aucun seuil d'effectif n'existe. Des PME et des entreprises de plus de 250 salariés peuvent s'associer. Pour l'heure, 222 entreprises ont bénéficié de ces deux dispositifs, avec 36 conventions individuelles et 27 conventions interentreprises. D'après Gérard Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, moins de « la moitié » des crédits est utilisée.

Des conventions de «sensibilisation»

> Ces conventions visent à promouvoir et à démultiplier les démarches de GPEC. Elles sont conclues avec des organismes professionnels ou interprofessionnels ou toute structure territoriale susceptible de représenter et d'animer un réseau d'entreprises. Exemple : les chambres de commerce, les comités de bassin d'emploi, les groupements d'employeurs... L'aide de l'Etat peut atteindre 70 % du coût total du projet. A ce jour, 179 conventions ont été signées avec des acteurs territoriaux.

Pour les plus grandes entreprises : la loi Borloo crée une obligation de négocier

Les entreprises de plus de 300 salariés se voient imposer une obligation triennale de négociation. Celle-ci porte sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise, sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi et les salaires. Elle porte également sur la mise en place d'une GPEC, ainsi que sur les mesures susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de VAE, de bilan de compétences et d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Cette négociation doit avoir lieu en même temps que celle sur les conditions d'accès et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle. Elle peut également porter sur le contenu des accords de méthode. Pour l'heure, aucune entreprise ni branche professionnelle ne semble avoir bouclé de négociation.

Auteur

  • Anne Bariet